P. T. Anderson: Punch Drunk Love

Avec „Punch Drunk Love“ le régisseur P.T. Anderson s’est fait une faveur: pour éviter l’ennui et pour se divertir lui-même, il bouscule les règles des genres auxquels il s’intéresse.

Lena (Emily Watson, enfin dans une comédie) qui fait irruption dans la vie de Barry.

Quand la comédie sentimentale se prend un électrochoc

Comment réussir une comédie romantique avec Adam Sandler, cet acteur qui est au cinéma américain ce que Bernard Menez est au cinéma français et Emily Watson, dont le talent est inversement proportionnel à celui de Sandler.

Seul P.T. Anderson pouvait se coller à cet improbable assemblage avec autant de brio que de malice, pulvérisant joyeusement les règles engluées de la comédie romantique.

Le choix d’Adam Sandler, champion du navet made in America, chouchou des adolescents attardés et des adultes au QI inférieur à 60, s’il est une surprise, venant du metteur en scène de „Magnolia“ et de „Boogie Nights“, reflète pourtant la recherche perpétuelle de l’inattendu du réalisateur. Souvenons-nous du rôle de Tom Cruise en obsédé sexuel dans Magnolia. Nul n’aurait osé lui proposer ce second rôle, sauf P.T. Anderson.

Sept soeurs dérangeantes

Sandler interprète donc le rôle de Barry, un vendeur de produits tous plus invendables les uns que les autres. Le voilà à tenter de fourguer des brosses à WC au manche rempli de bonbons pendant qu’une de ses sept soeurs ne cesse de le déranger pour des petits rien. Materné à la puissance sept, le pauvre Barry voit sa vie sentimentale prise en charge par ses frangines, dont l’aboutissement suprême serait de lui coller une nana dans les bras, et cela, rien que grâce à elles! Cela a évidemment un prix, et cela coûte cher à Barry en harcèlements divers, privation d’intimité; de liberté de mouvement, chantage affectif, toute la panoplie du frérot à la virilité étouffée.

C’est par ce biais que l’adorable Lena (Emily Watson, enfin dans une comédie) fait irruption dans la vie de Barry qui de son côté semble plus attiré par le pudding dont il achète des palettes entières.

On se demande où ce diable de P.T. Anderson va nous emmener cette fois-ci. Après la pluie de grenouilles de „Magnolia“, et l’explosion d’une voiture en guise d’intro dans „Punch Drunk Love“, le spectateur sait qu’avec ce film, il ne sera pas promené sur les sentiers battus et rebattus de la comédie sentimentale. C’est principalement du travail sur les sons que nous vient la surpise: ici, la musique n’est pas utilisée pour enrober les sentiments, mais plutôt pour créer tour à tour la tension et le rire, lequel surgit aussi bien des répliques que des décalages sonores. Ce rapport au son rappelle immanquablement Jacques Tati, ce dont Anderson ne sa cache pas: „Tati est une influence majeure pour moi. Sa façon d’utiliser le son fut révolutionnaire. Je me suis inscrit dans cette voie, d’abord de manière inconsciente puis, cela m’est apparu plus clairement dans ‚Playtime‘. J’écris en pensant à la musique, c’est elle qui me conduit émotionnellement“.

Si Anderson apprécie tant bousculer les règles des genres auxquels il s’intéresse, il s’agit avant tout de le faire pour se divertir lui-même, éviter l’ennui: „Quoi de plus ennuyeux qu’une comédie romantique aujourd’hui? C’est tellement codifié, routinier, il n’y a plus d’amour entre les personnages. Il ne s’agit pas de chercher le contre-pied, de faire le contraire, mais plutôt d’être sincère, par rapport à ce que je ressens“. Dans „Punch Drunk Love“, vous ne trouverez pas ces obstacles se multipliant sur la route des deux coeurs solitaires, seulement les sept soeurs qui se chargent de dégôuter le héros des femmes, au point qu’il souhaiterait que la nature l’ait fait homosexuel. Si Adam Sandler n’est pas un second Jim Carrey arraché à ce qu’Hollywood fait de pire, il tient quand-même la route, sans pour autant tenir le volant, ce dont se charge avec bonheur le reste de la distribution.

Séverine Rossewy

Au Ciné Utopolis


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