GUS VAN SANT: Last Days

„Last Days“, ce n’est non seulement la déchéance d’une rock star, mais surtout celle d’un réalisateur, qui n’a visiblement plus rien à dire.

Un homme marche à travers la forêt. Il grogne. Il enlève ses vêtements et se baigne dans un fleuve. Il rentre à la maison et se prépare des Choco Crispies. Au loin, un buisson s’agite un peu. L’homme grogne. Il met une robe et se maquille. Un représentant des pages jaunes lui rend visite. L’homme grogne. Il regarde dans le vide. Son ami, assis sur le canapé, fredonne une chanson. Et il fredonne. Un buisson s’agite. Longtemps.

Cette critique vous ennuie? Et bien, dans ce cas n’allez surtout pas voir „Last Days“ de Gus Van Sant, parce que vous allez passer les 97 minutes les plus interminables de votre existence. Même en fan inconditionnel du réalisateur américain, il est impossible de ne pas être déçu par son dernier opus. Annoncé comme un hommage à Kurt Cobain, „Last Days“ est surtout une plongée dans l’enfer cinématographique.

Pendant 5.830 secondes (et je vous assure que vous allez compter les secondes …), Blake, un musicien sur le déclin, tourne en rond. En grognant. C’est tellement ridicule, qu’à la fin, on se demande si Van Sant n’a pas voulu se moquer de son public. Surtout la séquence dans laquelle l’esprit du protagoniste, transparent et nu comme un ver, monte vers le ciel. Si ça, c’est pas de l’ironie, alors c’est vraiment très, très, très mauvais.

Dans „Elefant“, le réalisateur avait déjà renoncé à la narration subjective pour adopter plutôt le point de vue de ses personnages – cela en avait irrité certains, mais la démarche était cohérente et le résultat captivant. Dans „Last Days“, le procédé est le même. Sauf que cette fois, Gus Van Sant ne raconte strictement rien. Pire – il n’a strictement rien à dire. Il sert sur un plateau tous les clichés de la rock star défoncée: Blake, son protagoniste, incarné par un Michael Pitt sous-employé, déambule dans un coma chimique permanent, fait joujou avec un grand pistolet dangereux, traîne avec ses copains tout aussi paumés (qui changent mystérieusement de sexe au cours du film), gratte parfois sur sa guitare et a surtout l’air incroyablement malheureux. C’est normal: il est riche, célèbre, certes mal entouré, mais il est bien connu que la pire chose qui puisse nous arriver, c’est de voir nos rêves se réaliser.

Ne cherchez surtout pas dans „Last Days“ une analyse à deux balles des affres de la célébrité, ni rien d’autre d’ailleurs. Ce film n’est rien. Le regard faussement objectif de Van Sant présente Blake/Kurt comme un personnage risible, qu’on n’a même pas envie de plaindre, mais à qui l’on a surtout envie de botter les fesses. Antoine Prüm et Boris Kremer avaient adopté une démarche semblable dans „Tour de Force“, en faisant de la caméra une présence apparemment neutre et en ne craignant pas les longueurs, mais au moins la sauce prenait. L’art ne doit pas être cohérent, ni compréhensible pour tou-te-s, mais il devrait au moins être touchant ou poétique, voire même provocateur. Le film de Gus Van Sant n’est rien de tout cela.

En regardant „Last Days“, on se dit que Kurt Cobain méritait mieux. Car il était avant tout un grand musicien et, même s’il était lui-même passé maître dans la mise en scène de son propre mal de vivre, il ne devrait pas rester dans les mémoires comme une espèce de figure christique lobotomisée.

„Last Days“, c’est un peu les nouveaux habits du roi. A lire les articles dithyrambiques des critiques français, on se demande s’ils n’ont pas agi selon le principe du „je n’y comprends rien, alors ça doit être génial“. Regarder ce film, c’est comme observer son poisson rouge tourner en rond dans son bocal. C’est comme passer une journée à regarder le linge qui sèche. Sauf que ça au moins, c’est du vrai.


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