Avec „Bin Jip“, primé à la Mostra de Venise,
le réalisateur coréen Kim Ki-duk, livre une histoire d’amour intense.
Il était une fois, un jeune homme en partie réel, à moitié fantôme. Aussi discret et banal que les affichettes qu’il colle sur les serrures des maisons, dans lesquelles il s’installe pour la nuit. Il vérifie simplement si les propriétaires n’ont pas enlevé l’affichette, ce qui trahit leur absence. Une combine aussi simple qu’efficace. Pourtant ce n’est pas un cambrioleur, il ne vide que les frigos et dort dans des lits pas faits pour lui. En contrepartie, il répare des choses oubliées, comme une vieille montre ou s’occupe du linge des absents. Une sorte d’artisan clandestin, qu’on n’a jamais appelé.
Tae-suk remplit ces chambres de ses rêves, et chasse la dure réalité qui s’est incrustée dans ces murs. Surtout il ne parle jamais, ne donne aucun indice sur sa personne, il lui suffit de regarder et de se rendre invisible.
Jusqu’au jour où il se prend à son propre jeu. Dans une demeure luxueuse, trop grande pour lui, il tombe sur un magnifique portrait de femme. Il s’éprend d’elle, se photographie devant son portrait, tout en ignorant que cette même femme est en train de l’épier par derrière les angles des murs. Elle le surprend couché sous un duvet, en train de se masturber sur son image. Commence alors une histoire d’amour fragile, toujours en fuite, vaguant vers le tragi-comique pour aboutir dans un flou onirique.
„Bin Jip“ du réalisateur coréen Kim Ki-duk est un film à facettes multiples. Les images se superposent pour former un vrai langage cinématographique. A travers l’histoire du couple inégal qui se trouve, le réalisateur met en scène la société coréenne avec ses tabous, ses normes et conventions très strictes. Ainsi Sun-hwa, la femme de la brochure devenue réalité, est battue par son mari, malheureux et maladroit avec cette belle femme qu’il ne comprend pas et qu’il ne peut posséder que par la violence. Mais son amant aussi a un potentiel de violence; en jouant au golf dans la rue, il tue par erreur une jeune femme qui passe en voiture. D’ailleurs le golf a une position prépondérante dans ce film, signifiant en même temps un passe-temps réservé aux riches et une arme redoutable contre les adversaires – il reste le seul lien là où toute conversation est impossible.
La relation amoureuse elle-même est de nature étrange, pas de mots, peu de gestes. La communication ne semble passer que par des regards et des signaux: comme une chanson (toujours la même) qu’ils mettent dès qu’ils pénètrent une nouvelle demeure. Ils sont à la recherche d’une routine dans laquelle ils retrouveraient un sentiment de sécurité, alors que leur situation reste toujours précaire.
Kim Ki-duk s’abstient de s’enfoncer trop dans un pathétique social, il montre les choses telles qu’elles sont, sans explication, sans arrière-fond didactique. Il se contente de faire voir le monde à travers les yeux du couple, ce qui ne manque pas de produire des effets involontairement drôles, dignes des films de Jaques Tati. Ainsi lors de leur première soirée assis sur un canapé étranger, ils restent main dans la main pendant un long moment, exactement dans la même position que la photo des propriétaires que seul le spectateur peut voir.
Après l’arrestation de Tae-suk et le retour forcé de Sun-hwa chez son mari, la narration bascule dans le surréel. Comme si la réalité ne pouvait plus toucher à cet amour. Peu importe si Tae-suk revient vraiment aux côtés de Sun-hwa pour vivre désormais avec elle sans que son mari le remarque, en se cachant toujours derrière et en piquant sur son assiette, ou qu’il ne s’agisse que d’un fantasme d’une femme devenue folle d’amour et de souffrance. Ce qui compte c’est que leur histoire échappe toujours à
la dure réalité qui les tient prisonniers.
A l’Utopia