STEPHEN GAGHAN: Syriana

Une histoire d’espionnage et de terrorisme, d’intérêts pétroliers et de manipulations politiques. Dans „Syriana“, cela est prétexte à un regard critique sur le monde d’aujourd’hui.

Dialogue des civilisations? Le prince et son nouveau conseiller.

Comment rendre compte d’un film, dont l’enchaînement de scènes appartenant à de multiples trames forment
un enchevêtrement complexe économique, politique et guerrier? En tant que spectateur, on cherche encore à saisir les implications d’un dialogue entre hommes d’affaires washingtoniens, qu’on se trouve déja en plein Beyrouth, nez à nez avec des gardes islamiques en train d’enlever l’agent secret Bob Barnes (George Clooney). Bien sûr, „Syriana“ raconte une histoire et se termine avec un dénouement dramatique, comme tout bon „thriller“. Mais peu de thrillers font naître une telle envie de revoir le film, même si on en connaît la fin, pour mieux saisir tel détail, telle explication, tel dialogue. C’est qu’au delà de deux heures d’action époustouflantes, „Syriana“ dresse un tableau du Proche-Orient, de l’univers du pétrole, du monde moderne.

Nous, consommateurs occidentaux de pétrole, sommes confrontés à une réalité pour ainsi dire de l’autre côté de la pompe à essence. L’émir de Syriana est montré comme hôte généreux pour ses invités à Marbella, mais aussi comme autocrate qui exploite les richesses naturelles et les travailleurs immigrés pour son propre bien et celui des compagnies de pétrole. Celles-ci s’inquiètent des réserves d’hydrocarbures qui s’épuisent et des nouveaux acteurs qui apparaissent, tels la Chine, grande consommatrice. Que le prince Nasir accorde une concession aux nouveaux venus, et les acteurs attitrés comme la société texane Connex réagissent. Ils font jouer leurs relations dans les circuits gouvernementaux américains, jusque dans les services secrets. Au centre du réseau: le „Comitee for the Liberation of Iran“ – où convergent les intérêts commerciaux des compagnies pétrolières et les intérêts stratégiques présumés des Etats-Unis.

Les intrigues des costumes-cravates washingtoniens, qui entrecoupent les scènes d’action aux quatre coins du globe, sont à vous donner le vertige. Même la présence de l'“afro-american lawyer“ de service (Jeffrey Wright) n’y change rien, bien au contraire – le film présente les jeux de pouvoir américains comme uniformément maléfiques. Quant au jeune consultant Bryan Woodman (Matt Damon), qui soutient les projets de réforme de Nasir (Alexander Siddig), on se demande jusqu’à la fin s’il a changé de vision du monde ou juste changé de patron.

Le portrait que „Syriana“ brosse du monde islamique, s’il est loin d’être rose, est bien plus nuancé et innovateur. Cela va de la jeune femme iranienne en jeans moulant de la première scène jusqu’au sympathique prince Nasir, qui voudrait introduire la démocratie et l’égalité des droits pour les femmes. Mais jusqu’où va son progressisme? Après tout, il se situe dans une logique d’efficacité économique. Ainsi, son projet de démocratie ne se rapporte sans doute qu’aux Syrianien-ne-s de souche. Les travailleurs immigrés, qui font tourner l’industrie du pétrole, sont et resteront des exclus.

Avec beaucoup d’empathie, le film attire l’attention sur cet aspect méconnu de la prospérité des émirats. Wasim (Mazhar Munir) est l’un de ces jeunes Pakistanais tenus en situation de quasi-esclavage par leurs coréligionnaires syrianiens. Le personnage gagne rapidement le coeur du public, avant de succomber à la tentation de l’islamisme. A ses côtés, le „frère“ barbu, chaleureux et … coach de l’équipe des kamikaze.

Le finale du film est dédoublé: d’abord le macchiavéllisme et la technologie occidentaux semblent triompher des velléités d’indépendance orientales. Mais la riposte ne tarde pas. Cela nous invite à réexaminer les termes du choc des civilisations. Il s’agit plutôt d’un choc des barbaries, le terrorisme aveugle ne faisant que répondre à une machine de guerre économique toute-puissante. Dans „Syriana“, ceux qui cherchent leur chemin entre les deux finissent par se faire écraser. Et dans la réalité?

Georges Clooney estime que son film n’a pas à faire la leçon, mais peut initier des discussions. Mission accomplie.


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