ETAT-PROVIDENCE: Subsidiarité contre solidarité

Faire payer plus aux riches permettrait-il de renflouer les caisses de l’assurance maladie? En considérant la valeur symbolique d’une telle mesure, cela apparaî t comme une fausse bonne idée.

Lancée par Jean-Claude Juncker il y a quelques semaines, l’idée d’une franchise pour les gens aisés au niveau des remboursements de l’assurance maladie soulève la question du pourquoi et du comment de l’Etat-providence („Sozialstaat“).

A première vue, rien de plus juste qu’une telle mesure. L’assurance maladie, en butte à des difficultés financières, se tourne vers ceux et celles auxquel-le-s on peut demander de payer plus. Les gens à revenus modestes continuent à être entièrement couverts et les riches sont couverts contre les grands risques qui entraî nent des coûts supérieurs à la franchise. Cela s’appelle le principe de subsidiarité: l’Etat-providence n’intervient qu’à partir du moment où l’individu est incapable de s’en sortir seul.

Alors que le CSV a endossé la proposition de son chef de file, le LSAP l’a rejetée vivement. Ce choix n’a pas dû être facile, car l’idée de franchise, lancée par le Premier ministre fils d’ouvrier, a sonné juste aux oreilles de l’électorat populaire. Mais aux yeux du LSAP, l’introduction de la franchise constitue un pas supplémentaire en direction de plus de participation individuelle. Une telle franchise pourrait ultérieurement être généralisée à tou-te-s les bénéficiaires de l’assurance maladie.

Un autre risque est également évoqué par les socialistes: celui du passage à un système de soins de santé à deux vitesses. La franchise, sorte de responsabilisation pour personnes aisées, justifierait l’introduction d’assurances maladie privées. Ces assurances pourraient conduire à l’émergence d’une médecine privée. Celle-ci serait de haute qualité, mais pratiquerait des tarifs largement au-dessus des tarifs conventionnés par l’Etat et attirerait les meilleurs médecins. Dans cette hypothèse, les petites gens n’auraient pas de franchise à payer, mais seraient cantonnées à des soins médicaux de seconde classe.

En fait, derrière l’idée de désolidariser l’assurance maladie à travers l’introduction d’une franchise pour les riches se cache une certaine vision de l’Etat providence. L’économiste suédois Gosta Esping-Andersen, dans son étude „The three worlds of welfare capitalism“, parle du „modèle conservateur“ qu’il caractérise comme suit: il craint l’égalité sociale et favorise le maintien d’une société hiérarchisée. L’Etat-povidence doit servir à maintenir une société de classes sans l’inconvénient de la lutte des classes. Dans le cas de la franchise, le traitement particulier des malades riches, même s’il leur est défavorable, établit une inégalité. Une telle approche est aux antipodes de celle du second modèle, l’Etat-providence universaliste des social-démocraties scandinaves (le troisième étant le modèle libéral, tourné vers les mécanismes de marché).

„Jidder eenzelnen zielt“, chaque individu compte, c’est le titre que le CSV avait donné à son programme fondamental en 2002. Mais cet individu doit s’intégrer dans la société à la place qui lui est destinée: pour les riches, la responsabilité sociale, pour les pauvres, l’assistance et la miséricorde – et pas d’égalitarisme forcé, s’il vous plaî t. Cette approche transparaî t également dans la loi sur le „chômage social“ de François Biltgen. La loi en question fixe les droits et les devoirs de personnes considérées comme inemployables dans l’économie normale. Fidèle aux idéaux chrétiens-sociaux, les conditions matérielles offertes à ces individus sont relativement convenables. Mais la loi cantonne ces personnes dans une sorte de troisième marché du travail jusqu’à la fin de leur vie.

Reconnaissons à Jean-Claude Juncker et à ses proches politiques d’avoir bravé la traditon du CSV sur d’autres terrains. Les investissements publics dans les crèches, les éléments d’individualisation fiscale et la remise en question des différences entre statuts d’ouvrier/ ère, d’employé-e et même de fonctionnaire sont à contre-courant de l’Etat-providence conservateur, patriarcal et corporatiste, décrit par Gosta Esping-Andersen. Il reste que l’idée de faire payer les malades riches pour combler le déficit de l’assurance maladie est stupide et dangereuse. S’il y a des actions à envisager, pourquoi ne pas relever les cotisations ou les rendre dégressives? Ou bien augmenter les impôts? Or, comme par hasard, le CSV les a baissés il y a trois ans … sous les applaudissements du LSAP.


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