POLITIQUE CULTURELLE: Nous l’avons tant aimée

La ministre s’en va et le monde culturel est en pleurs: juste émoi ou dérive sentimentale?

C’était le sujet de discussion des deux dernières semaines: Erna Hennicot-Schoepges a dû plier bagage, puisque son parti l’a laissée tomber. Le sujet sort de la sphère politique: un vrai petit mouvement de solidarité s’est créé dans les cercles culturels. Une pétition a été mise en circulation, rassemblant un curieux mélange d’artistes et de fonctionnaires, pour la remercier de son „indéfectible appui“.

Osons une analyse plus objective. D’abord, la ministre a obéi sans vaciller aux ordres de Monsieur Juncker. Pourquoi ne s’est-elle pas battue pour son poste? D’autres sont restés collés à leurs sièges, tel Monsieur Boden, à qui on avait prédit une vie de pensionné à Majorque. Quant au mauvais résultat électoral de Madame Schoepges, ce n’est pas uniquement l’arithmétique qui compte, mais les qualités d’un-e ministre ou l’importance d’une mission à achever. Les réflexions stratégiques auront finalement primé. Entre le renouvellement, la représentation géographique et le surnombre de candidatures, le CSV a fait son choix – peu élégant, il est vrai – en démontrant ce que vaut pour lui la présence des femmes au Gouvernement. Comble de l’ironie, c’est Schoepges qui a placé le plus de femmes sur des postes à responsabilité.

L’engouement soudain pour une ministre doit cependant être opposé au travail qu’elle a accompli. En 1995, Erna Schoepges a repris un ministère de la culture délaissé par le CSV depuis qu’il l’avait arraché, en 1989, au LSAP. Après l’activisme culturel d’un Robert Krieps, l’ère Santer/Jacobs avait été une traversée du désert, interrompue seulement par la polémique autour du musée Pei. La nouvelle ministre n’a pas remis en cause ce projet, controversé même dans les milieux culturels, juste contribué à une réduction de sa taille. Il fait partie de ces projets prestigieux qui avaient ses faveurs: la Philharmonie, le centre Neumünster. Autre pierre d’achoppement: la cité judiciaire, dont le concept architectural anachronique a soulevé un débat animé. Madame Schoepges n’a pas voulu faire marche arrière.

Sa rigidité a peut-être été une des principales faiblesses de la ministre; l’autre a été sa confiance extrême dans les conseillers. Que ce soit dans le domaine de la culture (les innombrables circuits Vauban) ou dans celui des travaux publics (l’affaire des pierres du musée Pei), Erna Schoepges ne se laissait pas seulement conseiller, mais a parfois abandonné son pouvoir à des Calteux ou des Pesch.

Face à ces chantiers grandioses, des investissements plus terre à terre mais souvent plus urgents comme le musée d’histoire naturelle, la rénovation du musée national d’histoire, la Rockhal ou les nouvelles archives se voient mis en oeuvre avec des décennies de retard. Tandis que les projets originaux comme le Casino, résidu de l’année culturelle 1995, se comptent sur les doigts d’une main. Et si aujourd’hui, on trouve des militant-e-s- de la Kulturfabrik parmi les signataires de ladite pétition, on ne saurait oublier le combat pénible pour le financement de ce centre culturel autonome.

Les milieux artistiques qui font l’éloge de la ministre ont surtout apprécié qu’elle ait prêté l’oreille à leurs doléances – et leur ait ouvert sa bourse. Du statut des intermittents du spectacle au soutien inconditionnel au projet „Gëlle Fra 2“, celle qui avait jadis été une ministre de l’éducation mal-aimée a gagné l’estime de la scène culturelle luxembourgeoise. Il est vrai qu’au Luxembourg – cela devrait pourtant être une évidence – le fait qu’un-e ministre qui connaî t et se passionne pour son dossier semble plutôt extraordinaire. Ainsi la pétition est-elle peut-être une supplication camouflée: Jean-Claude tout-puissant, après ces neuf années fastes, ne nous renvoie pas dans le désert.


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