MITTAL-ARCELOR: „Etablir d’autres types de coopération“

„Il faut proposer des alternatives aux OPA.“ Alain Morin tente de dépasser le clivage entre acceptation et refus total de la fusion Mittal-Arcelor. (photo: RK)

woxx: Etes-vous surpris par ce soudain revirement en faveur de Mittal?

Alain Morin: Pas vraiment surpris, non. Je pensais depuis le début que Lakshmi Mittal arriverait à ses fins. Il avait bien vu que le capital d’Arcelor était très fragilisé faute d’actionnaires de référence. Face à un capital fortement distribué dans le public, augmenter l’attractivité financière de son offre représentait un argument efficace.

Les actionnaires sont donc les grands bénéficiaires de l’opération.

Ceux qui ont spéculé vont en tout cas avoir des plus-values considérables. Au total, les actionnaires bénéficieront d’environ six milliards d’euros, un capital qui manquera pour développer l’entreprise. Cette reprise s’est faite selon les règles des marchés financiers. Face aux exigences de rentabilité, les travailleurs risquent d’en essuyer les frais.

Pourquoi les syndicats n’ont-ils pas bougé pendant tous ces mois?

Légalement, ils n’ont pas les moyens d’agir. Les droits des salariés en cas d’OPA se réduisent à l’information et à la consultation. Qu’ils soient d’accord ou non, cela ne change rien. Mais ce n’est pas seulement un problème de moyens légaux ou de rapport de force. Les syndicats n’ont pas de solutions alternatives à proposer. Ils voient bien qu’il y a un problème, que la fusion répond aux exigences de la mondialisation. Dans la situation actuelle, il faut donc montrer qu’il existe des alternatives. On peut répondre autrement que par des OPA à la nécessité, par exemple, de coopérer entre sidérurgistes.

Les résistances se sont plutôt articulées en termes de patriotisme économique, chaque pays se préoccupant de l’avenir de ses sites.

Penser de cette manière, ce n’est pas penser l’avenir. Aujourd’hui, il n’y a plus de solutions nationales aux problèmes. Face au besoin de recherches extrêmement coûteuses, on a recours à des réseaux mondiaux. Ce n’est pas au niveau d’une nation qu’on peut financer le développement d’un nouveau produit sidérurgique.

Vous ne plaidez donc pas pour un retour à une industrie lourde étatisée?

Non, c’est un autre type de coopération qu’il faut. Le PCF a lancé l’idée d’une grande concertation au niveau européen, avec les Etats et les grands sidérurgistes, pour faire le bilan des besoins en termes d’emploi, de production et de recherche. On pourrait établir un protocole de coopération visant à développer ensemble des produits sidérurgiques et à dégager les financements nécessaires.

Les grandes fusions-acquisitions comme celle de Mittal-Arcelor ne produisent-elles pas le même effet?

Il ne s’agit pas d’une véritable coopération au niveau de l’ensemble de la filière. Lors d’une telle fusion, un groupe se renforce afin de mieux concurrencer, voire ruiner ses rivaux. Mais il est vrai que cette opération exprime le besoin de coopérer entre sociétés et de se rapprocher des fournisseurs et des sous-traitants, le besoin de partager les coûts de la recherche et du développement.

La fusion Mittal-Arcelor ravive les inquiétudes sur la fermeture de sites et leur délocalisation vers les pays du Sud. Faut-il avoir peur des Indiens et des Chinois ou plutôt y voir une redistribution de la richesse à l’échelle mondiale?

Développer le Sud ne devrait pas passer par une guerre économique contre les pays développés. La croissance économique de pays comme la Chine devrait favoriser l’émergence d’une population qui consomme elle-même plus de biens. Et non pas se réduire à la fabrication de produits uniquement destinés à l’exportation vers le Nord. Il y a suffisamment de besoins non satisfaits dans les pays du Sud. Si la demande mondiale est insuffisante, c’est que le développement humain est insuffisant à l’échelle mondiale. Il faut donc oeuvrer au développement des populations du Sud, en répondant à leurs besoins: individuels, sociaux, de services publics, de santé. Ce qui nécessite une réorientation des financements, rendue aujourd’hui difficile par la manière dont les marchés financiers accaparent les capitaux disponibles.

Faut-il envisager de „fermer la bourse“, comme l’a proposé Jacques Nikonoff, le président d’Attac?

Je ne suis pas un partisan de la bourse, mais je ne poserais pas la question en ces termes-là. J’ai souligné moi-même que l’importance de la spéculation handicape une croissance saine. Mais il ne faut pas en déduire qu’il n’y aurait plus de stratégies industrielles, que la logique spéculative déterminerait tout. Il n’y a pas de coupure totale entre la finance et l’industrie. Une partie des investisseurs recherchent justement des entreprises qui créent des richesses, et sont intéressés par les projets industriels. Une des raisons pour lesquelles les capitaux vont plutôt aux Etats-Unis est le niveau élevé des dépenses de recherche et développement là- bas, qui laisse espérer des profits futurs.

Ces investissements passent néanmoins par les marchés financiers.

Justement, il faudrait favoriser des types de financement, des mobilisations de ressources financières qui ne soient pas boursiers. On pourrait mettre en place un système de crédit sélectif pour des investitions favorables à l’emploi, notamment dans les PME. Des taux préférentiels seraient financés par l’argent public. En contrepartie, le crédit faisant appel aux marchés financiers serait renchéri à travers des mécanismes comme la taxe Tobin. Il faut arrêter de dire qu’on aurait besoin de la bourse. Souvenons-nous que suite à la crise de 1929, le rôle des bourses a fortement diminué. Le redémarrage de l’économie mondiale dans l’après-guerre s’est fait sans les marchés financiers.

Alain Morin
C’est dans le cadre d’un colloque sur Mittal-Arcelor organisé par Déi Lénk que nous avons interviewé Alain Morin. Il est rédacteur en chef de la revue „Economie et Politique“, proche du Parti communiste français (PCF). D’autres experts issus des gauches radicales et syndicales des différents pays concernés par la fusion Mittal-Arcelor ont participé, parmi lesquels Jacques Nikonoff, président d’Attac-France. Ils ont tenté d’interpréter l’opération et de définir une stratégie internationale pour préserver les intérêts des travailleurs.


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