KEVIN MACDONALD: Un bourreau en kilt

l n’a jamais accédé au trône d’Ecosse, mais a décimé une partie de la population ougandaise. Kevin MacDonald décrypte la monstruosité d’Idi Amin Dada.

Le bourreau ougandais (Forest Whitaker) dans la posture du libérateur de son peuple – et accessoirement de l’Ecosse.

Pour fêter la fin de ses études de médecine, Nicholas Garrigan (James McAvoy) se jette, avec d’autres confrères et consoeurs fraî chement émoulus, dans les eaux troubles d’un lac écossais. Mais il ne compte pas mener une vie pépère de médecin de village dans son Ecosse natale. Son index stoppe net la rotation de son globe terrestre sur une ancienne colonie britannique. Plongeon pour l’Ouganda.

Dans le bus qui le mène vers un dispensaire tenu par un autre Britannique, Garrigan remarque la forte présence militaire sur les routes ougandaises. Le général Idi Amin Dada (Forest Whitaker) vient de renverser le président Oboté, soupçonné de velléités socialistes et tombé pour cause en disgrâce auprès du gouvernement de sa Majesté. Bientôt, le nouvel homme fort de l’Etat rend visite au village où officie Garrigan. La harangue impressionnante d’Amin fascine et enthousiasme Garrigan. Le hasard frappe à nouveau: lors de son départ, Amin Dada se blesse légèrement la main et l’armée vient recruter le jeune médecin. La rencontre des deux hommes ressemble à un coup de foudre. Le dictateur apprécie Garrigan. Non seulement parce qu’il n’a pas hésité à abattre une vache mourante de sang-froid, mais aussi parce qu’il est écossais, peuple admiré par le tyran (qu’il voudra par la suite libérer du joug anglais). Suite à cette rencontre, Amin Dada convoque Garrigan à son palais présidentiel en lui proposant de devenir son médecin personnel, ce qu’il va accepter.

„Le dernier roi d’Ecosse“ n’est ni une fiction, ni un documentaire. Inspiré d’un roman éponyme de Giles Foden, il tente d’établir le psychogramme d’un des dictateurs les plus sanguinaires du 20e siècle à travers les yeux candides du jeune médecin. Si Amin Dada avait en effet eu un médecin d’origine écossaise, Garrigan n’en est cependant pas le portrait. Ce dernier est plutôt une synthèse de différentes personnes ayant entouré le général.

A l’image de „La chute“, qui décrivait les derniers jours d’Adolf Hitler dans son bunker à Berlin, „Le dernier roi d’Ecosse“ a soulevé la polémique sur l’opportunité de vouloir percer la personnalité, voire l’humanité d’un personnage qui en incarne tout le contraire. La méthode choisie par le réalisateur Kevin MacDonald n’est pas sans intérêt. Notre perception n’est pas celle d’un spectateur de documentaire, mais devient celle de la subjectivité du jeune médecin inconscient de la réalité monstrueuse du régime et aveuglé par le jeu de séduction du dictateur, grand enfant tantôt joueur, tantôt capricieux, voire carrément cruel. Ainsi, une grande partie du film contient des scènes drôlatiques et l’empathie pour le personnage principal est communicative. Evidemment, le trouble s’installe auprès du spectateur averti, qui, contrairement à Garrigan, connaî t la cruauté d’un despote responsable de la mort de plusieurs centaines de milliers d’Ougandais-e-s (entre 300.000 et 500.000).

Mais MacDonald ne tombe finalement pas dans l’écueil d’un trop-plein de sympathie à l’égard d’Amin Dada. Si les scènes de meurtres et de massacres de villages entiers sont épargnées au public, la découverte de la véritable nature du régime de folie se révèle peu à peu, notamment lors de deux scènes particulièrement dures vécues par Garrigan. Par ailleurs, le développement de la folie croissante d’Amin Dada est soutenu par une mise en scène brillante, comme lors de cette fête nocturne accompagnée d’un mélange de sons traditionnels et psychédéliques très seventies. A partir de ce moment, la relation Garrigan-Amin entre dans une phase de dégradation, symbolisée notamment par sa relation amoureuse avec une des femmes du dictateur.

Faut-il revenir sur la performance de Forest Whitaker? Sa récompense aux Oscars n’est pas volée. Certains lui ont reproché d’avoir plutôt imité le personnage que de l’avoir interprété. Il lui est certes semblable jusque dans l’accent qu’il a assimilé à la perfection. Une critique perverse: sa maî trise du rôle en fait un Amin Dada presque plus crédible que l’original – tantôt envoûtant, tantôt effrayant. Et ce sentiment nous accompagne au-delà de notre sortie de la salle obscure.

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„The Last King of Scotland“, à l’Utopia


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