MARCELO PINEYRO: Il ne peut en rester qu’un

Jusqu’où iriez-vous pour un bond qualitatif dans votre carrière? „El Método“ de Marcelo Piñeyro l’illustre brillamment en enfermant sept cadres dynamiques pour un entretien d’embauche peu commun.

Avant la tempête: les sept candidats font connaissance, mais l’affrontement n’est plus très loin.

Les entretiens d’embauche font partie des expériences les plus humiliantes de la société moderne. Soumis à une concurrence de plus en plus forte, il faut savoir se vendre. La meilleure lessive, c’est vous. Vous lavez encore plus blanc.

Dans „El Método“, de Marcelo Piñeyro, sept candidat-e-s (cinq hommes et deux femmes) ont atteint la dernière étape d’un processus de sélection pour un poste important dans une grande multinationale. Enfermé-e-s dans une salle de réunion en haut d’une tour du centre de Madrid, qui est, au même moment, le théâtre d’une grande manifestation contre le FMI et la Banque mondiale, les sept cadres s’apprêtent à jouer aux requins. Pour eux, ce n’est pas un autre monde qui est possible, mais une autre carrière, un autre salaire. De toute façon, la tour de verre dans laquelle ils se trouvent les isole de ce qui se passe dans les rues. Plusieurs mondes sont possibles. Ils ont choisi le leur.

Avec pour seuls intermédiaires la secrétaire Montse (Natalia Verbeke) et des écrans d’ordinateurs qui leur fournissent des instructions, ils comprennent vite que l’entretien d’embauche est d’un genre tout à fait différent: la multinationale applique la méthode Grönholm. Une méthode de recrutement qui vient des Etats-Unis, se disent-ils. Pas vraiment, leur explique-t-on plus tard. Elle vient bien des entreprises américaines, qui l’ont récupérée de l’armée britannique, qui elle-même l’a apprise durant la seconde guerre mondiale de la Wehrmacht. C’est dire qu’elle doit être efficace dans la guerre du capitalisme mondialisé.

Les sept candidats ne sont pas naïfs. Ils sont immédiatement conscients qu’ils vont être jugés sur leur interaction dans le groupe, leur profil psychologique, leur capacité à faire face aux pressions. La première épreuve va d’emblée semer le trouble dans ce groupe hétérogène et courtois: la multinationale leur annonce par écrans interposés qu’elle a infiltré parmi eux une taupe. A eux de la dénicher. Ainsi, l’histoire nous plonge vite dans l’ambiance d’un film d’espionnage où le spectateur ne sait plus qui ou que croire à force de jeux de dupes, de trahisons et de manipulations psychologiques.

Et des profils psychologiques, il y en a: du „macho ibère“ Fernando (Eduard Fernández) adepte de l’autorité militaire et porté sur le sexe et l’alcool, en passant à l’opportuniste indécis Enrique (Ernesto Alterio) au critique Ricardo (Pablo Echarri) et à la „working woman“ sentimentalement frustrée Nieves (Najwa Nimri) – d’ailleurs confrontée à Carlos (Eduardo Noriega), autre candidat et ancien flirt de plage.

Les „jeux“ des recruteurs – que l’on ne voit jamais, le film se déroule en huis-clos – vont peu à peu exacerber les personnalités de chaque candidat et dévoiler leurs failles. Un-e à un-e, les postulant-e-s aux CV impressionnants sont éliminé-e-s et ces surhommes et surfemmes du début n’ont plus que leurs costumes et leurs tailleurs pour rappeler qu’ils font partie des „gagnant-e-s“ de l’économie de marché. „Jusqu’où êtes-vous prêt à aller pour être élu?“, demande le sous-titre du film. La salle de réunion est en fait une petite jungle dans laquelle se toisent et s’affrontent sept fauves parés des rites civilisés du genre humain. Comme quand Carlos fait comprendre à Ana (Adriana Ozores), qu’avec ses 40 ans dépassés, elle a atteint la date de péremption économique – jugement qu’il veut objectif et impersonnel, bien sûr. Ainsi, la multinationale n’a pas trop besoin d’intervenir pour tester et affaiblir les candidats. Ils s’en chargent eux-mêmes.

Inspiré d’une pièce de théâtre de Jordi Galcerán, „El método“ est une comédie dramatique aux allures de thriller psychologique d’une facture très intense et parfois angoissante. Pendant presque deux heures qui ne sont jamais ennuyantes, le spectateur est le témoin de joutes verbales et de combats émotionnels qui s’emboî tent et se suivent parfaitement. C’est ce qui fait le succès de l’oeuvre de Piñeyro: à l’allégorie critique du néolibéralisme (la manif altermondialiste en toile de fond s’invite régulièrement dans l’histoire), s’ajoute un scénario et des dialogues fluides, logiques et intelligents soutenus par huit acteurs et actrices brillant-e-s. Ils méritent amplement d’être „recrutés“ pour d’autres films …

À la Cinémathèque.

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