EXPULSIONS: Comme d’habitude

Malgré leurs promesses, certes informelles, de ne plus expulser des demandeurs d’asile en été et surtout pas vers le Kosovo, les deux ministres socialistes continuent d’extrader en toute tranquillité.

Mettez-vous à leur place, ne serait-ce que pour quelques minutes. Imaginez votre pays divisé entre plusieurs fractions rivales, un taux de chômage environnant les 80 pour cent, des soldats un peu partout et une nouvelle guerre civile à l’horizon. Qu’est-ce que vous feriez pour protéger votre vie et celle des êtres qui vous sont chers? Vous ficheriez probablement immédiatement le camp. Vers l’étranger donc. Disons vers un Etat riche et accueillant pour les étrangers, quelque part dans l’Union Européenne, ce conglomérat d’Etats divers réunis sous la bannière de valeurs comme l’humanisme, les droits de l’homme et autres belles idées. Vous vous y installez avec votre famille, vos enfants fréquentent l’école, vous cherchez et même trouvez peut-être un travail – qui vous permet de subvenir à vos besoins et de ne pas trop dépendre des subventions de l’Etat qui a bien voulu vous accueillir et garantir votre sécurité. Vous n’êtes peut-être pas heureux à cent pour cent, mais cette situation vaut toujours mieux que de rentrer chez vous où ne vous attendent que la désolation et un futur, pour l’instant du moins, compromis. Maintenant, imaginez-vous que ce pays – qui vous a accueilli au nom des valeurs humaines – décide de vous renvoyer, moyennant quelques paperasses. Et ce en faisant appel à une police qui force les portes de votre maison au petit matin et vous emmène manu militari à l’aéroport comme si vous étiez de grands criminels.

Difficile à imaginer, non? Pourtant c’est ce qui arrive régulièrement à des familles provenant de pays en crise qui ont trouvé réfuge dans notre pays. En se fondant sur un dossier jugé insuffisant ou encore une situation dans le pays d’origine jugée apaisée, on expulse à tour de bras. Et le fait que les ministères des affaires étrangères et de l’immigration soient tenus par deux individus se qualifiant de socialistes n’y change rien.

Parole contre parole

Venons-en aux faits. Un communiqué de presse commun de l’Unel, Jonk Gréng et du Groupe „Migrations“ de cette semaine relate l’extradition de onze ressortissant-e-s d’ex-Yougoslavie et précise que dans un cas, la force gouvernementale aurait envoyé une cinquantaine de policiers pour intercepter une famille de refugié-e-s à Differdange. Ces actions sont décrites avec le terme – historiquement pesant – de „rafles“. Et, dans un certain sens, on peine à trouver un autre vocable pour des scènes où des gens sont expulsés de force au petit matin juste à cause de papiers pas en règle. Les organisations rappellent également la situation explosive au Kosovo, où s’affrontent non seulement Serbes et Albanais, mais aussi les grandes puissances qui les soutiennent – respectivement les Etats-Unis et la Russie. Ce n’est pas nouveau que des grands pouvoirs choisissent des conflits régionaux pour s’affronter dans ce qu’on peut appeler un conflit par procuration. Mais ce qui est intéressant, c’est la position de l’Europe, ou plutôt de l’Union Européenne, à l’égard de ce conflit. A priori elle aurait intérêt à ce que la situation n’escale pas, car il s’agit tout de même d’un territoire pas si éloigné de ses frontières et surtout d’une région qui aspire intégrer un jour l’Union. Or elle continue à expulser comme si rien n’était des personnes vers ces régions. Une solution diplomatique promue par la politique européenne semble d’ailleurs d’autant plus improbable que l’Union peine à établir ne seraient-ce que les bases d’une politique extérieure commune.

Que les politiciens attendent l’été pour expulser a plusieurs raisons. Pratiques d’un côté, car le pays est en vacances et surtout la chambre des députés ne siège pas et ne peut donc pas contrôler le travail du gouvernement. Mieux vaut rester discret sur certaines choses. Et puis, les responsables pourront toujours dire qu’ils respectent les demandes de certaines ONG de ne pas expulser des enfants pendant l’année scolaire. Il est vrai que quand la police extirpe des élèves de leurs bancs d’école primaire ou de lycée, cela donne lieu à des échos des médias du plus mauvais effet pour les politiciens en charge. Alors que personne ne se demande si les enfants expulsés plus discrètement durant l’été trouveront une éducation équivalente là où ils atterrissent, ou si leurs niveau d’éducation sera reconnu par les autorités locales.

Un ticket vers Pristina

Même si des scènes pareilles font depuis longtemps partie de la traditionnelle pause d’été, cette fois-ci quelque chose est différent. Une promesse non tenue. L’histoire n’est pas simple et dépend un peu avec qui l’on parle. Une chose est sûre pourtant: pendant une entrevue au ministère entre l’association de soutien aux travailleurs immigrés (Asti) et le ministre de l’immigration Nicolas Schmit, portant sur l’avant-projet de loi sur l’immigration, ce dernier aurait promis de ne pas ordonner d’expulsions pendant l’été. En sortant de l’entrevue, les représentants de l’Asti ont aussi croisé le ministre des affaires étrangères Jean Asselborn, qui a à son tour promis de ne renvoyer en aucun cas des gens vers le Kosovo. „Il a précisé que ce serait absolument intolérable, vu la situation au pays“, rapporte Serge Kollwelter de l’Asti, témoin de la scène. Et de rajouter que même si des informations précises quant au statut éthnique des personnes expulsées manquaient – à cause de la politique d’information pas très parlante du gouvernement sur des dossiers gênants – „il est absolument sûr que ces gens ne sont pas partis de leur plein gré“.

On constate sans surprise que les deux ministres en charge de ces dossiers sont en train de se compromettre. Au lieu de changer de politique en matière d’immigration, comme ils l’avaient promis à maintes reprises avant leur élection, ils continuent à appliquer telle quelle la politique d’expulsion de leur prédécesseur Luc Frieden. Ce dernier avait au moins l’avantage de ne pas devoir ruser, son coeur froid et son esprit bureaucratique étant presque devenus son image de marque. Mais la duplicité des deux ministres socialistes choque. Philippe Schockweiler, porte-parole des Jonk Gréng et co-auteur du communiqué, s’emporte: „Le pire c’est l’hypocrisie des ministres. Malgré leurs promesses, ils continuent la politique du CSV dans tout ce qu’il y a de pire. On manque d’informations sur les personnes expulsées et sur la procédure d’expulsion, le gouvernement se cache derrière son habituelle arrogance. Et le fait qu’ils font cela pendant l’été montre bien qu’ils considèrent eux-mêmes ces actions comme étant problématiques.“

Deux faits peuvent étonner cependant dans la manière de l’opposition extra- et intraparlementaire de traiter le problème: si on demande aux auteurs du communiqué d’où ils tiennent la promesse faite par Schmit et Asselborn, ils renvoient à l’Asti. Or, cette dernière a décidé de ne pas participer à la manifestation qui a eu lieu hier jeudi sur la place Clairfontaine, au cours de laquelle il était prévu de donner un aller simple pour Pristina à un des ministres pour qu’il puisse aller voir sur place. Elle exprime juste son soutien aux manifestant-e-s et se dit contente de voir la jeunesse luxembourgeoise prendre part à l’opposition à la politique gouvernementale. Officiellement ce fût le choix du conseil d’administration de l’Asti de ne pas participer, sans que l’on puisse en savoir plus sur les motifs.

„C’est peut-être parce qu’ils veulent garder une marge de manoeuvre pour maintenir le dialogue avec le gouvernement“, estime Claude Frentz du groupe „Migrations“, un des organisateurs de la manifestation. Et de continuer: „Mais je ne crois pas qu’un dialogue avec un tel gouvernement puisse apporter grand chose, vu qu’il ne cesse de nous mettre devant des faits accomplis.“

Parlant de faits, le ministre de l’immigration Nicolas Schmit se défend – comme on pouvait s’y attendre – d’avoir promis quoi que ce soit: „Ni Monsieur Asselborn, ni moi-même avons fait des déclarations de ce genre. Cela m’avait même été demandé par voie de question parlementaire, à laquelle j’ai malheureusement oublié de répondre“, explique-t-il. Quant aux gens expulsés, Schmit assure qu’il ne s’agit pas de personnes appartenant à des minorités en danger. „Il s’agit de kosovars d’origine albanaise, ils ne courent donc aucun risque pour leur sécurité personnelle. Nous ne renvoyons personne qui pourrait se retrouver en danger de mort dans son pays d’origine. Pour chaque reconduite, nous attendons le feu vert des autorités compétentes. Dans ce cas, c’était l’Etat bosniaque et l’Unmik qui se sont portés garants de la sécurité de ces gens.“

En ce qui concerne la procédure d’extradition, le ministre renvoie au fait que la Crox Rouge luxembourgeoise a delegué pour la première fois un observateur indépendant. „Ils m’enverront un rapport. Ce que j’en ferai, je ne le sais pas pour le moment. Mais, je crois que le nombre de cinquante policiers et la brutalité décrite dans le communiqué sont un peu exagérés.“ Pour Schmit, les personnes expulsées savaient ce qui les attendait, et pourtant elles ont refusées de partir de leur plein gré ou même avec des incitations financières. „Elles ne sont pas en danger dans leur pays d’origine, donc elles ne peuvent pas prétendre à un droit d’asile. Si le droit d’asile veut dire que tout un chacun qui vient peut rester pour toujours, alors le terme même perd son sens. Ne pas expulser des gens est un faux message à tous ceux qui veulent profiter du droit d’asile pour pratiquer une immigration économique“, explicite le ministre. „Je veux promouvoir une immigration – même économique – réglementée. Celles et ceux qui veulent rester doivent passer par le canal légal.“ Vu la situation économique désastreuse de beaucoup d’Etats à l’est et au sud-est de l’Union Européenne, cette vision du ministre Schmit risque de rester un voeu pieux. Ce qui restera de toute cette affaire seront quelques flyers par terre devant le ministère, la satisfaction de tous les participants d’avoir fait leur devoir et un groupe de onze personnes avec femmes et enfants qui se retrouvent dans un pays qui leur est devenu étranger avec rien dans les poches.

Luc Caregari


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