PAUL KIEFFER: Jhempi d’Arabie

Dans « Nuits d’Arabie », Paul Kieffer nous raconte l’histoire d’un contrôleur des CFL dont l’existence est chamboulée par une rencontre. Une histoire qui prend racine dans le quotidien luxembourgeois, mais qui tend vers l’ailleurs.

La raison pour laquelle un honnête employé CFL peut perdre la tête …

Georges Turmes est un brave type. Un contrôleur aux CFL, qui joue au foot le weekend et voit sa petite amie le soir. Un gars qui vit avec un père invalide et acariâtre, avec lequel il partage de ces soupers aux silences aussi épais et éloquents que la cancoillotte dont il badigeonne ses tartines. Un matin, il fait la connaissance de Yamina, une jeune Algérienne égarée. Ce qui aura commencé dans un train entre Bettembourg et Bonnevoie, se terminera dans un erg algérien.
Pour son dernier film, le journaliste et réalisateur Paul Kieffer a choisi d’adapter le genre du mélodrame au contexte luxembourgeois. Sa caméra colle littéralement au quotidien de ce « Lëtzebuerger Michel » dont il narre l’histoire. Avec, parfois, un soupçon de cruauté, comme dans cette scène où on le voit penaud et déconfit dans son petit costume, jouant de son petit trombone, avec un chapeau de père noël sur le crâne, le soir avec la fanfare, sur la place d’Armes. Mais la tendance à la caricature est contrebalancée par une tendresse certaine, comme pour ces petits-bourgeois perdus des chansons de Brel.

L’idée du scénario serait née à un moment où Paul Kieffer prenait régulièrement le train entre Dudelange et Luxembourg. Tout usager du réseau ferré luxembourgeois connaît cette abolition du temps qui lui est propre et qui doit, en effet, être propice à l’épanouissement de l’inspiration.

La langueur de ces voyages en train a peut-être même imprimé son empreinte à une mise en scène taiseuse, lente, parfois claustrophobe, qui met l’accent sur les atmosphères : la pluie de décembre qui frappe les vitres, les nuits glacées de Luxembourg, les petits matins brumeux, humides, boueux, dans la vallée de la Pétrusse. Et bien sûr, par contraste, la lumière éblouissante des étendues sahéliennes.

Il est d’ailleurs à noter que les scènes algériennes ont bel et bien été tournées dans le Sud-Ouest de ce pays, dans la région de Béchar. L’équipe de « Nuits d’Arabie » fut la première équipe de tournage étrangère à pénétrer la région depuis le déclenchement de la guerre civile, au début des années 1990. Et, vu l’évolution de la situation, elle n’est pas prête d’être imitée.

En ce qui concerne la distribution, l’on notera la présence de visages connus du cinéma luxembourgeois comme Pol Hoffmann (l’ami) et Marco Lorenzini (le père), pudiques et efficaces. L’actrice française Sabrina Ouazini, découverte dans « L’Esquive », est tout aussi naturelle que sensuelle et énigmatique. Quant à Georges Turmes, il est interprété par Jules Werner, dont c’est le premier grand rôle dans un long-métrage. Si son charme nous rend son personnage attachant, l’on peut toutefois regretter certaines approximations théâtrales. Il en est ainsi de ces regards par trop souffreteux qui émaillent le film. D’un autre côté, tout repose sur lui. Tout ce que le spectateur voit, il le voit à travers ses yeux.
Car finalement ce film n’est pas un film d’amour. La romance n’est qu’un prétexte – sauf à prendre au premier degré un dénouement qui, dans cette éventualité, serait tragiquement grotesque. Yamina disparaît après la première partie et ne reparaîtra plus. Elle s’est contentée d’allumer une étincelle, finalement morbide, chez un personnage qui évoque ceux de certains films islandais comme « Reykjavik 101 » ou « Noï Albinoï ». Un homme assommé par une existence atonale, faisant face à cette trentaine qui se rapproche. Mais ce qui est peut-être luxembourgeois chez lui c’est cette Sehnsucht – ce mot intraduisible en français et qui renvoit autant à la mélancolie qu’au désir -, ce besoin d‘ailleurs. Un sentiment qui emplit ces vieux contes luxembourgeois qui parlent de jeunes paysans partis pour les Croisades, ou la guerre de Trente ans et qui, au bout de leur épopée, ne trouvent que la solitude et la mort.

Nuits d’Arabie, à l’Utopolis


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