IMMIGRATION: Accueil de l’étrange

Le projet de loi sur l’accueil et l’intégration des étrangers qui vient d’être déposé incarne l’obsession du corps étranger mal assimilé.

Parce qu’ils ne trouvaient pas d’emploi, qu’ils étaient frappés par la misère, voire menacés de famine ou tout simplement poursuivis pour leurs opinions politiques ou appartenances ethniques, des millions d’hommes et de femmes ont échoué dans cette grande république d’outre-atlantique, les Etats-Unis d’Amérique. Bientôt, au cours du 19e siècle, cette jeune nation devait commencer à organiser un tant soit peu l’arrivée massive de ces rejetons majoritairement européens : Ellis Island, dans l’Etat de New York, était devenu le centre de tri des nouveaux arrivants. Lorsque peu à peu les pays d’origine des vagues d’immigrations se déplacèrent vers l’Est et le Sud de l’Europe, les autorités américaines commençaient à se montrer plus méfiantes : contrairement aux Irlandais, Anglais ou Allemands, ces nouveaux venus avaient des us et coutumes bien plus exotiques. Leur capacité d’assimilation était mise en doute et on renforça les tests de lectures et les examens médicaux.

Retour au 21e siècle, retour en Europe. Les dernières vagues d’émigration vers le nouveau monde datent du second conflit mondial. Depuis, la stabilité politique conjuguée à une relative augmentation du niveau de vie a changé la tendance : à son tour, l’Europe devient terre d’immigration. Même les nations européennes traditionnellement « exportatrices » d’immigré-e-s, comme le Portugal ou l’Italie, accueillent désormais des nouveaux venus. L’Europe vieillissante, en quête de main-d’oeuvre, a besoin de nouvelles vagues de migrants. Mais l’Europe en crise, avec ses écarts d’égalité croissants a peur, ou se fait peur, c’est selon. Ces nouveaux migrants viennent de loin et leurs moeurs sont si différentes.

L’exposé des motifs du projet de loi sur l’accueil et l’intégration des étrangers au Luxembourg que la ministre de la famille Marie-Josée Jacobs (CSV) a déposé le 31 décembre est clair à ce sujet : « Le Grand-Duché de Luxembourg devra à terme se préparer à accueillir de plus en plus d’immigrés non européens venant de plus en plus loin, dont l’ethnie, la religion et la culture seront très différentes de celles de la population autochtone. L’arrivée de cette nouvelle génération d’immigrés rendra l’intégration et la cohésion sociale particulièrement difficiles et oblige les autorités politiques à adapter la législation nationale. »

Venus de ces terres inconnues

Si les Luxembourgeois ont entre-temps intégré l’idée que l’économie nationale ne peut se passer de la main-d’oeuvre issue de la Grande Région, le projet de loi rappelle qu’il faudra, à l’avenir, aller la chercher bien plus loin : « il serait fantaisiste de penser que face à la demande accrue de travailleurs, le marché du travail luxembourgeois puisse se ressourcer ad aeternam dans la Grande Région ou dans les pays de l’Europe du Sud et de l’Est, qui connaissent eux-mêmes une démographie déficitaire et un manque considérable de main-d’oeuvre. » Le tout sans oublier de rappeler que, selon les projections du Statec, les Luxembourgeois seront minoritaires au cours des années 2020 à 2030. Une vision qui devrait inciter le législateur à introduire le principe du droit du sol dans l’actuel projet de loi sur la nationalité.

Autre époque, autres moeurs ? Comme les Etats-Unis qui mirent en place des mesures plus restrictives à l’arrivée des Polonais et des Russes – voire des restrictions complètes aux immigrations asiatiques – les Européens, et donc le Luxembourg, se voient obligés de « gérer » les « flux humains ». Le conseil de Tampere, sous la présidence finnoise de 1999, avait jeté les grandes lignes de la politique d’immigration européenne. Reste que les politiques dites d’intégration continuent à relever des législations nationales, dont les orientations ont été définies par le programme de La Haye de 2004, regroupées autour de trois axes : la coordination, l’orientation et l’information et l’échange d’expériences. Depuis, la Commission produit un rapport annuel sur les « bonnes pratiques » en matière de politique d’immigration et d’intégration.

Ainsi, le ministère de la famille et de l’intégration propose, dans son projet de loi, un certain nombre de réformes, à savoir notamment la création d’un Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration (OLAI) qui aura pour mission principale la « mise en oeuvre et la coordination de la politique d’accueil et d’intégration ». Sorte de super-administration de l’intégration, le projet de loi attribue à l’OLAI pas moins de 14 missions, allant de l’aide à l’intégration à la vie sociale, économique, politique et culturelle, en passant par l’organisation de campagnes de lutte contre les discriminations, à l’aide matérielle et sociale. L’OLAI prendra également en charge les demandes de protection internationale.

Diplôme du bon étranger

Une des nouveautés du projet de loi est également de donner une définition du terme « intégration », sans cesse utilisé à tort et à travers par presque toutes couleurs politiques confondues. Manière euphémique pour désigner cette peur ancestrale et tribale de devoir abriter en son sein un corps étranger, la volonté de certain-e-s de vouloir « intégrer » les étrangers entre dans la terminologie administrative. L’exposé des motifs le concède : « L’intégration, concept aux définitions fluctuantes est ainsi de plus en plus définie comme un processus réciproque, nécessitant un partage et une bonne répartition des efforts, droits et devoirs entre le bénéficiaire et l’Etat. »

Afin de donner corps au concept d’intégration, le projet de loi prévoit un « contrat d’accueil et d’intégration » qui sera proposé à tout étranger désirant s’installer durablement au Luxembourg. Ensemble avec le ministère de l’éducation nationale, l’OLAI procédera, dans le cadre dudit contrat, à une « évaluation des compétences linguistiques des étrangers et propose en collaboration avec ce dernier une formation linguistique, d’instruction civique et d’intégration sociale ». A l’issue de ce « processus d’intégration », l’OLAI délivrera à l’étranger modèle une « attestation de compétence linguistique et d’instruction civique ». En attendant, les Luxembourgeois de souche pourront continuer à être nul dans la compréhension de l’Etat de droit et de ses institutions.

Evidemment, le contrat d’intégration ne sera pas obligatoire. Mais à celles et ceux qui refuseront de se plier à cet exercice ou qui n’en respecteraient pas « les stipulations », le projet de loi renvoie à l’article d’un autre projet en cours d’élaboration, à savoir celui sur la libre circulation et l’immigration. L’article en question (157, dans la mouture actuelle), réglemente en fait les demandes de renouvellement du titre de séjour ou l’obtention du statut de résident de longue durée… tout comme la décision d’éloignement du territoire.

Finalement, le projet de loi crée de nouvelles institutions ou redéfinit le fonctionnement d’institutions déjà existantes. Il faut dire que le Luxembourg l’a échappé belle. A peu de choses près, les auteurs du projet avaient prévu l’instauration d’un « Cercle interreligieux »… Finalement, ils s’en sont tenu à des propositions plus profanes comme un Comité interministériel à l’intégration. Autre innovation : la création, dans toutes les communes, de commissions consultatives d’intégration, chargées d’assurer « le vivre ensemble de tous les résidents de la commune et plus particulièrement des intérêts des résidents de nationalité étrangère ». Le texte ne dit pas si ces commissions remplaceront les actuelles commissions consultatives des étrangers, mais tout porte à le croire.

Le Conseil national pour étrangers (CNE) se voit également réformé. Le texte stipule que le CNE devra aviser tous les projets de législation portant sur les politiques « en faveurs des étrangers ». Il fallait bien un jour le préciser : l’actuel CNE s’est récemment plaint de ne pas avoir été consulté pour l’élaboration du présent projet de loi.


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