DAVID CRONENBERG: Promesse non tenue

Le dernier David Cronenberg, « Eastern Promises », déçoit par une mise en scène mal ficelée, en dépit des idées et des images superbes.

Le mal, le bien et l’innocence: un trio un peu trop classique de nos jours pour faire un bon film.

L’univers ténébreux de la mafia a toujours attiré les grands cinéastes, que ce soit dans la trilogie « Le Parrain » ou dans « Scarface ». Si les classiques du genre s’inspirent plutôt de la mafia d’origine en version italienne, la mondialisation a fait que les cinéastes s’intéressent depuis peu aussi à sa variété russe.

Pourtant, même s’il existe dans « Eastern Promises » une forte relation entre un père mafieux et son fils, l’histoire que raconte Cronenberg ne fonctionne pas selon les schémas classiques du film de mafia. Son défaut est de vouloir en faire trop. L’histoire tourne autour de la présence-absence d’une jeune prostituée russe de 14 ans, dont le décès sur la table d’opération de l’infirmière Anna (Naomi Watts) lance l’intrigue du film. La victime laisse deux choses dans ce monde : son enfant qui a pu être sauvé au détriment de la mère, et un journal intime, malheureusement en russe. Cette entrée en matière – jeune fille russe qui émigre illégalement en Europe, attirée par de fausses promesses et forcée à la prostitution – rappelle étrangement « Lilya 4-ever ». Ce film de Lukas Moodysson avait fait un tabac en 2004, non seulement à cause de son réalisme cru, mais parce qu’il osait, pour la première fois dépeindre sans fard le chemin de croix impitoyable que traversent beaucoup de jeunes femmes de l’Est. On serait tenté de voir dans « Eastern Promises » un prolongement qui reprend exactement là où le film de Moodysson s’arrête : la mort.

Malheureusement, Cronenberg gâche cette idée en surchargeant son scénario de tournants parfois improbables. Il se trouve ainsi qu’Anna a un oncle russe qui pourrait traduire le journal intime de la jeune prostituée. Mais vu qu’il n’a pas envie, l’infirmière se confie à Semyon, patron d’un restaurant russe dont elle a trouvé l’adresse dans le journal. Bien sûr que derrière ce vieil homme aux manières parfaites (Armin Mueller-Stahl) se cache un patron de la mafia qui ne rechigne devant rien pour parvenir à ses fins. Epaulé par son fils et dauphin Kirill (Vincent Cassel) et par le mystérieux Nikolay (Viggo Mortensen), il règne presque sans partage sur le trafic de drogues et de prostituées dans la ville de Londres. Comme si cette accumulation invraisemblable de hasards ne suffisait pas, Cronenberg commet une autre erreur en surchargeant ses personnages. Cela les rend étrangement plats – même si un d’eux joue un double jeu.

Ainsi, le père ne perd jamais sa contenance… dont le fils – quelle originalité – ne semble pas avoir hérité. Ce dernier est devenu alcoolique à coups de cruautés que son père commet et lui fait commettre. Et alors que le caractère d’Anna pourrait jouer un rôle clé dans l’histoire, elle est confinée dans celui d’ange du bien qui n’en revient pas des horreurs qu’elle découvre au fil de l’histoire. Tout cela efface encore un peu plus la jeune prostituée, dont la fantomatique présence n’est assurée que par son journal. Mais là aussi, Cronenberg déçoit : au lieu de donner au spectateur une image psychique de la trépassée, elle est réduite aux scandales relatés dans les minces feuilles de son journal. Ce n’est pas elle ou sa jeune vie sacrifiée que les personnages se disputent, mais le contenu du journal qui pourrait faire tomber le patron de la mafia, une fois que le journal se retrouverait aux mains de la police.

En bref : dommage qu’un film qui profitait d’auspices favorables – un réalisateur connu et une combinaison d’acteurs intéressante et bigarrée – soit si faible, surtout qu’il évoque un thème actuel et brûlant.

À la Cinémathèque.


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