PROJET DE LOI RELATIF AUX CHIENS: Consensus cynologique

Finalement, (presque) tous les chiens pourront se promener en liberté. La politique a su entendre les voix s’opposant à la loi et a établi un consensus à la luxembourgeoise.

Mais non, ce n’est pas de la chair humaine… juste une racine d’arbre.

Une fois n’est pas coutume, soyons de bonne foi : oui, la classe politique luxembourgeoise sait écouter les petites gens et elle peut même se plier à ses exigences. Cela dépend seulement du dossier. Comparé à d’autres, le projet de loi relatif aux chiens n’est ? certes pas ce qu’on appellerait un dossier urgent Mais les chiens, cela concerne une bonne partie de la population et presque tout le monde a son mot à dire à ce sujet. Et le politicien avisé sait que sur ce terrain, l’électeur pourrait le prendre en grippe s’il prenait une décision qui lui déplairait. Dont acte. « Oui, nous sommes plutôt satisfaits de cette décision », se félicite Nico Feider, le président de l’association Mënsche mat Muppen (MMM). Petit rappel : Quand le ministère a voulu faire passer la loi en douce fin 2006 juste avant les fêtes, une vague de cris d’effroi a traversé le pays. En effet, la loi prévoyait de forcer tous les détenteurs de canins à tenir leurs chouchous en laisse quelle que soit leur race, leur taille ou l’état de leur dentition. Pour ne jamais avoir légiféré sur les chiens en matière de sécurité, le Luxembourg n’y allait pas de main morte et se proposait d’adopter une loi encore plus dure que celle de ses pays voisins, alors que ceux-ci, à l’instar de la Grande-Bretagne, avaient déjà fait marche arrière sur quelques points qui s’étaient révélés impraticables.

« L’élan de solidarité à notre égard a été énorme », raconte Feider, « beaucoup de gens nous ont proposé leur aide en plus de signer notre pétition ». Celle-ci a tout de même été l’argument le plus pesant face au ministère. A en croire Feider, ce seraient surtout les quelque 16.530 signatures qui ont su ouvrir les portes du ministère. Après avoir été reçus par la secrétaire d’Etat à l’agriculture Octavie Modert et entendus par la commission parlementaire en charge de l’agriculture, les amendements qui ont pu apporter un consensus ont vu le jour.

Le bémol : les races

Il faut dire aussi que la première mouture du projet de loi 4985 aurait été impraticable. Tenir les chiens en laisse tout le temps, même en se promenant dans la forêt, chaque propriétaire de chien sait que cela ne fonctionne pas, car être tenu en laisse n’est pas dans le naturel du chien. Autre problème de la première version du projet de loi : les chiens dits « dangereux ». Leur encadrement s’avère problématique, car chaque chien est potentiellement dangereux. Tout aussi problématique comme le terme « race » utilisé. Car on ne peut pas parler de races distinctes à l’intérieur d’une espèce. C’est la loi de l’interfécondabilité qui fait qu’il y a des races, et étant donné – en théorie du moins ? qu’un pékinois peut engendrer une dame dogue allemande, parler de races pour les chiens est scientifiquement faux.

Donc, vouloir bannir certaines « races » de chiens du territoire grand-ducal relève du non-sens. Non seulement les pitbulls à la mâchoire monstrueuse sont des chiens de nature peu agressive – sauf si on les « éduque » à la violence – mais interdire ces chiens aurait des effets pervers, comme des croisements entre chiens potentiellement dangereux. Car prohiber ces bâtards et corniauds serait impossible et vérifier tous les croisements pour voir s’ils ne contiennent pas des codes génétiques prohibés par la loi prendrait des décennies. Il aurait donc été bien d’enlever ce non-sens flagrant de la loi. Car ce ne sont pas les chiens qui sont a priori cons et agressifs mais leur maîtres. Et ce sont ces derniers qui devraient être davantage responsabilisés.

Le ministère n’a écouté cette dernière doléance que d’une seule oreille. Certes, on aura toujours le droit de se procurer un pitbull, un mastiff ou un tosa sur le territoire grand-ducal, mais ces chiens – et leurs détenteurs – seront soumis à des conditions. Ainsi, ils doivent passer un concours – qui est préparé par une formation – et le réussir. De plus, les détenteurs doivent être majeurs et pouvoir montrer patte blanche en ce qui concerne leur casier judiciaire. De plus, ils doivent s’acquitter de procédures spéciales dans leurs communes. « Ils ont introduit cet article pour se prévenir contre d’éventuels reproches qui pourraient venir  de gens qui sont toujours paniqués par les chiens `dangereux’», commente Nico Feider. Même si cela reste un bémol, la MMM se dit globalement satisfaite du nouveau projet de loi. « Si le projet est réalisé tel quel, la situation au grand-duché sera meilleure qu’en France, où la législation est beaucoup plus dure, mais n’est pas respectée ».

Chiens de police et de  chasse exceptés

Quant à la mise en pratique du projet de loi, quelques difficultés subsistent. Comme la formation pour chiens et détenteurs agressifs : qui va l’assurer ? Les opinions divergent à ce sujet. La MMM n’est pas seule à penser que ce sujet posera problème. « Nous restons sceptiques en ce qui concerne ces formations», commente Nic Schwab de l’Union cynologique St-Hubert du Luxembourg (UCHL). « Normalement, ce serait à nous d’assurer ces formations, mais le ministère ne nous a même pas mentionné dans son projet de loi », constate-t-il amèrement. De plus, l’UCHL pense aussi que le règlement pour les chiens dits « dangereux » ne fait aucun sens : « Je ne m’oppose pas aux formations obligatoires, mais je pense que la bonne solution aurait été de forcer chaque chien qui présente un comportement agressif à devoir passer par-là ». Or les chiens à comportement agressif sont bien mentionnés dans le projet de loi et soumis aux mêmes conditions que les pitbulls, mastiffs et tosa. Avec la seule différence que ceux-ci ne seront catégorisés comme dangereux qu’après « une décision du directeur de l’Administration des services vétérinaires ». Ce qui peut prendre du temps.

Un autre problème est que le nouveau règlement prévoit des exceptions. Celles-ci concernent les chiens de chasse et les chiens de garde et de police. Autrement dit, le citoyen lambda n’a pas le droit de rendre son chien agressif, tandis que la police et les chasseurs peuvent toujours utiliser leurs clebs en tant qu’armes. Si pour les forces de l’ordre cette exception reste compréhensible, quoique discutable, l’inclusion des chiens de chasse dans ces dispositions prouve une fois de plus que les chasseurs luxembourgeois disposent d’un bon lobby. « L’UCHL s’oppose à tous ceux qui élèvent leurs chiens comme une arme », commente Schwab, « même si nous avons des chasseurs dans notre union. Si un jour le conflit devient trop important à l’intérieur de l’UCHL, nous devrons en tirer les conclusions nécessaires », précise-t-il, tout en félicitant le journal satirique « Den Neie Feierkrop » d’avoir révélé ce problème. Les principaux intéressés, la Centrale du Chien de Chasse (CCC) campe en tout cas sur ses positions. « Chaque chasseur vous dira la même chose », affirme Bruno Negretti, le secrétaire de la CCC, « les chiens de chasse ne sont pas des chiens d’agrément et doivent bénéficier d’une formation que seule la CCC peut assurer pour le moment. Et nous avons un catalogue de critères fixes, dont le premier est la soumission totale du chien à son maître ». Cela promet. Quant aux autres formations – celles pour les chiens appartenant au commun des mortels mais jugés dangereux – la CCC ne veut pas s’en mêler pour ne pas taper dans le système d’autres fédérations canines.

En bref, c’est un consensus à la luxembourgeoise : tout le monde a eu un peu ce qu’il voulait, mais personne n’est vraiment satisfait de ce qu’il a eu et les privilèges restent du côté de ceux qui ont les meilleurs contacts. Mais bon, l’essentiel est là : personne ne veut plus forcer mamie à mettre en laisse son toutou en permanence. « Quand les gens ont su que ce point était tombé, plus personne n’a cliqué sur notre site web. Cela prouve bien qu’ils n’attendaient que ça », commente Nico Feider de la MMM.


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