JAZZ: Faïences qui swinguent

Avec son parcours peu orthodoxe, le contrebassiste Marc Demuth est une figure singulière de la scène de jazz locale.

Végétarien en blouson de cuir … Marc Demuth a plutôt l’air d’un rockeur que d’un jazzman.

Difficile de le cerner ce jeune homme. De noir vêtu, il a plutôt l’air d’un rockeur que d’un jazzman, et le fait qu’il commande des bières luxembourgeoises dans un restaurant italien ne rend pas les choses plus faciles. Et en plus il s’étonne du fait que sa piedina contient de la graisse de porc : « En fait », raconte Marc Demuth, « je suis végétarien, mais bon, je porte aussi des chaussures en cuir ». C’est bien un homme aux facettes multiples qu’on a devant soi.

Marc Demuth est originaire d’une petite bourgade sans histoires dans le Sud-est du Luxembourg, et le jazz n’a pas été son premier amour. « J’ai toujours été fan de rock », rapporte-t-il, « tout ce que je voulais, c’était jouer dans un groupe de rock. » Le rêve de presque tous les jeunes en somme. Et, en plus, il s’est réalisé, car il a pendant des années été le bassiste de Purple Onion, groupe de rock éphémère des années 90. C’est à cette époque que le jeune Marc Demuth prend goût à son instrument de prédilection : la basse. Mais ? et les musiciens entre nos lecteurs le sauront ? une basse électrique est aussi éloignée d’une contrebasse que la lune de mars.

Ce n’est que sur le tard, que ce gros instrument, et avec lui la musique de jazz, sont entrés dans la vie de Marc Demuth. « Vu que je voulais améliorer mon style de basse électrique, je me suis résolu à prendre des cours, d’abord à une école privée de musique. Puis on m’a réorienté vers le conservatoire de la ville de Luxembourg, qui disposait déjà d’une section pour bassistes électriques », se rappelle-t-il. Mais voilà, dans cette section il était à l’époque obligatoire de prendre des cours de contrebasse en même temps. Ce que fait Demuth, et bientôt il ne peut plus se passer de ce grand instrument indispensable à toutes les formations jazz et au-delà. « Ce fut un véritable coup de foudre. J’ai délaissé la basse électrique pour me plonger dans ce nouvel instrument, qui me procurait des sensations inouïes. Même si les débuts ont été difficiles. » Puis il part à l’étranger parfaire ses études de jazz, ses stations étant Bruxelles, La Haye et Barcelone.

S’ensuivent les premiers engagements en tant que contrebassiste dans des formations de jazz. Et aussi la vie « on the road » en tant que musicien professionnel. Une existence qu’il a abandonnée de nos jours, en acceptant un poste de chargé de cours à l’école de musique d’Echternach, où il préside le département de jazz. Cette décision n’a que partiellement à voir avec des soucis matériels: « J’aurais pu continuer comme ça », estime Demuth, « mais c’est difficile, surtout au Luxembourg où les occasions de faire du jazz restent restreintes, du fait de la petite taille du pays. Pour vivre de sa musique, et surtout du jazz, il faut rester dans les grandes villes. Dès que je me suis éloigné de la scène bruxelloise par exemple, les demandes pour participer à des projets, des jam ses-sions ou encore des enregistrements se sont raréfiées. Même si tout le monde sait que la distance est minime entre la capitale belge et le Luxembourg. Il faut vivre avec ça. »

Visiblement, ça n’a pas été un choix entièrement libre de Demuth. Mais il ne le regrette nullement, car pour vivre et travailler au Luxembourg, pas besoin pour lui d’abimer sa carrière. « Heureusement, nous avons un directeur qui permet à ses chargés et musiciens d’accepter des offres de concerts, même pendant les périodes scolaires. Bien sûr que je dois rattraper les cours perdus, mais je peux me sentir plutôt libre en ce qui concerne mes engagements. »

Libre de choisir, même au Luxembourg

En ce qui concerne sa carrière récente, Marc Demuth a un parcours qui peut rendre jaloux. En tombant sur Sofia Ribeiro, pendant son séjour à Barcelone, il sait qu’il a fait une rencontre importante. « Sofia a une voix magnifique, mais en dehors de ça, elle connaît aussi les traditions portugaises comme le fado et elle est prête à l’expérimentation. J’adore travailler avec elle », raconte-t-il. Le duo Demuth-Ribeiro est né de cette rencontre, mais aussi d’une nécessité de jouer ensemble. Car, remarquera-t-on, les duos chant-contrebasse ne sont pas monnaie courante, même dans le jazz contemporain. « Le duo est né aussi du fait que nous éprouvions des difficultés à nous entourer de musiciens constants. Pour répéter et pour créer surtout », insiste-t-il, « car la plupart des musiciens de nos jours sont très occupés, ont un carnet archiplein, et la première chose qu’ils laissent de côté sont toujours les répétitions. C’est aussi un peu ça qui nous a conduit à enregistrer notre premier album en solo. »

Une initiative qui a été couronnée d’un franc succès. Même si le premier CD – ce qui est aussi le cas pour le deuxième – n’a pas été fabriqué en collaboration avec un label, la distribution a plutôt bien marché. « On a vendu notre CD par internet, sur des sites comme CD-Baby – par le biais duquel nous avons aussi pu vendre des CDs aux Etats-Unis – et puis en Europe nous sommes aussi distribués par quelques firmes locales. Mais le plus étonnant a été l’intérêt que nous avons suscités sur le marché japonais. Là-bas, nous sommes distribués par Bomba Records, qui n’est pas des moindres. C’est fou, quand même qu’un enregistrement sur lequel se trouvent un luxembourgeois et une portugaise se retrouve dans les rayons japonais », s’étonne-t-il, un peu fier. En effet, Bomba Records n’est pas un vrai label, ni distributeur exclusif de jazz, dans nos latitudes il est plutôt connu pour ses artistes expérimentaux comme Ruins et autres fous du bruit.

Mais cela ne dérange guère Marc Demuth, qui n’est pas de ceux qui croient aux chemins pré-tracés. D’ailleurs, le business musical change et n’épargne pas le jazz. Jouer au festival de Montreux, même en off sans label était chose impensable. Mais faire presser des disques est à la portée de tout le monde de nos jours, comme l’est aussi le fait d’enregistrer. Le dernier disque de Marc Demuth et Sofia Ribeiro s’est ainsi fait en une nuit à l’Inouï de Rédange, ce petit club dont l’adresse s’est retrouvée sur tous les calepins d’amateurs de bonne musique en un temps record. Ils y sont accompagnés par l’autre forma-tion de Marc Demuth, le quartette qui porte son nom et qui est composé de Pascal Schumacher au vibraphone, Joachim Badenhorst aux clarinettes et Yves Peeters aux percussions. « Normalement, je prends garde à bien séparer le travail que je fais au sein du quartette – où nous invitons régulièrement des solistes – et le duo avec Sofia. Mais pour cette occasion, on s’est décidé à joindre les efforts. »

Et bien leur en a pris. Non seulement le CD est enrichi par les autres membres de ce quartette peu orthodoxe – il ne doit pas y en avoir des tonnes qui combinent vibraphone et clarinette – mais les titres reflètent aussi à merveille la flexibilité de cette jeune formation. A côté des standards inévitables sur chaque album de jazz, se retrouvent aussi des pièces écrites par Sofia et Marc et même une qui est née d’une collaboration avec Pascal Schumacher.

L’album en prend une note tout à fait personnelle, surtout sur « Ourique », la chanson-titre composée par Marc Demuth, en hommage à la ville portugaise d’Orik, où elle a été écrite et dont sont aussi inspirées les faïenceries qui se trouvent sur la couverture. « Je voulais exprimer ma gratitude à ce beau coin de terre », s’explique Demuth, « et puis, rien de mieux que de le faire savoir par une belle pièce de musique. »


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