EIS SCHOUL: Une nouvelle école nouvelle

Le « pendant » primaire et préscolaire du Neie Lycée va bientôt ouvrir ses portes. Trois semaines après le vote de la loi, les responsables du projet sont fébrilement à la tâche.

Apparences peu spectaculaires: le bâtiment qui accueille Eis Schoul est anodin, tout comme son environnement au Kirchberg. Mais c’est le contenu qui compte…

Une chose est sûre : plus d’un couple de parents d’enfants a soif d’alternative scolaire. A peine voté le 30 avril dernier par la Chambre des députés, le projet de loi de l’école projet dénommée « Eis Schoul » a connu un véritable « rush » d’inscriptions : pas moins de 600 demandes pour un total de 108 places. Pourtant, l’intitulé du projet de loi est sibyllin : il s’agit d’une « école préscolaire et primaire de recherche fondée sur la pédagogie inclusive ». Après le Neie Lycée qui a ouvert ses portes en 2005, voilà un nouveau projet-pilote, aussi bien attendu que décrié, notamment dans les milieux syndicaux.

A la rentrée prochaine, le rêve du Groupe luxembourgeois pour une éducation nouvelle (Glen) va se réaliser. Cette association qui regroupe enseignants et pédagogues oeuvre depuis plusieurs années à une réforme de fond de l’enseignement. « Tous chercheurs, tous créateurs, tous capables ! », telle est leur devise. Une logique également partagée par les fondateurs du « Neie Lycée », mais pourfendue par certains enseignant-e-s. De plus, la critique récurrente qui est adressée à l’attention de la politique de la ministre de l’éducation nationale Mady Delvaux-Stehres (LSAP) : une floraison de projets-pilotes ne saurait constituer une politique d’éducation nationale. Reste à se demander jusqu’à quel point l’ensemble du corps enseignant, dans toute son hétérogénéité des mentalités et des pratiques, serait prêt à accompagner une réforme fondamentale d’une manière d’enseigner qui a démontré ses limites.

En septembre donc, la petite école située dans la rue des Maraîchers au quartier du Kirchberg ouvrira ses portes à 108 élèves du préscolaire à la sixième année d’études primaires. Pour cette première année toutefois, l’école offrira l’enseignement primaire seulement jusqu’à la cinquième année, l’équipe d’Eis Schoul préférant attendre une année de fonctionnement et donc d’évaluation avant de permettre aux élèves de fréquenter la sensible année précédant l’entrée au secondaire. 108 sur 600 candidatures, forcément, il faut sélectionner. C’est ce à quoi s’est attelée l’équipe de l’école ensemble avec le Statec. L’objectif d’Eis Schoul est en effet d’accueillir un panel d’élèves reflétant les réalités luxembourgeoises : les élèves ont donc été recrutés en fonction de l’origine socio-professionnelle et nationale de leurs parents. En plus, elle comprend automatique 10 pour cent d’élèves à handicaps. Cette sélection a été effectuée par une commission mixte d’enseignants, chercheurs et pédagogues. Aussi, cette commission a veillé à respecter le principe de proximité entre l’école et le lieu de résidence ainsi que celui de fratrie, afin de ne pas déraciner les élèves de leur environnement local et familial.

Reflet de la société

Cette école, qui a pour but de « mieux gérer l’hétérogénéité des élèves et intégrer tous les enfants, quelles que soient leurs différences, en respectant la diversité de leurs rythmes d’apprentissage », repose sur deux axes : la pédagogie inclusive et la recherche. « Pédagogie inclusive » : qu’est-ce qui se cache derrière ce mot barbare ? Contrairement à l’enseignement traditionnel qui dispense principalement un lot de savoirs standard selon un rythme et une méthode supposés assimilables par tou-te-s les élèves, la pédagogie inclusive mise sur la différenciation et l’individualisation. L’idée est de partir du postulat que tout-e élève peut se montrer capable d’utiliser à bon escient ses ressources si son éducation correspond au mieux à sa personnalité, ses facilités ou difficultés.

La recherche est elle aussi un élément constitutif de cette école. L’approche scientifique ne se veut pas dissociée de l’expérience pratique et se base sur le principe de l’« action research ». Accompagnés par l’Université du Luxembourg, qui les fournit notamment en littérature spécifique, les enseignants et éducateurs mettent en question leurs propres pratiques et problématisent certaines situations. De manière collective, ils peuvent alors décider de s’engager de manière plus approfondie dans la recherche scientifique de tel ou tel problème. D’ailleurs, le cadre horaire de leurs tâches prévoit trois heures hebdomadaires dédiées à leur projet de recherche. Aussi, un réseau d’« amis critiques », d’enseignants travaillant dans des classes du primaire « traditionnel », rencontreront le personnel d’Eis Schoul tous les quelques mois. Ses contacts ont déjà été initiés au sein du Glen, afin d’échanger des expériences et de rester en contact avec des professionnels qui ne sont pas investis directement dans le projet.

Cette manière différente d’enseigner présuppose une préparation des parents, fortement impliqués dans le projet, notamment à travers des réunions mensuelles avec le personnel scolaire et qui seront même invités à être présents lors des cours. Actuellement, le personnel est en pleine phase de préparation avec les parents d’élèves, les rencontrant afin de mieux les initier à une scolarité qui sort des sentiers battus.

En effet, le quotidien au sein de cette école pilote ne ressemblera pas vraiment à celui des établissements « normaux » du primaire. L’arrivée (tout comme le retour), assurée par un service autobus de la ville de Luxembourg, pourra débuter dès sept heures du matin, même si les cours ne commenceront qu’à huit heures. Pendant ce laps de temps, les élèves présents pourront y prendre leur petit-déjeuner. L’enseignement ne se fera plus selon les plages horaires traditionnelles (un cours équivalant à 50 minutes). La journée sera subdivisée en trois blocs : un premier bloc de 8 à 10 heures, suivie d’une pause d’une demi-heure, pour continuer jusqu’à 12.15 heures, ensuite une pause déjeuner d’une heure et demie. Le dernier bloc d’enseignement débute alors à 13.45 pour se terminer à 15.30 heures. Mais les élèves pourront continuer à fréquenter l’école jusqu’à 18.30 heures pour vaquer à leurs activités parascolaires. Les plus petits, c’est-à-dire les élèves de l’éducation précoce et du préscolaire, seront un peu plus chanceux et pourront disposer d’un peu plus de temps de pause et seront également libérés un peu plus tôt. Aussi, la séparation traditionnelle en classes est quelque peu éclatée : l’enseignement se fera en « groupes multi-âges » : de 3 à 5 ans, de 6 à 8 ans et de 9 à 11 ans.

Project manager

Les principales nouveautés résident pourtant dans la manière de travailler, basée sur des « projets ». Exemple : s’il est décidé de traiter le sujet de l’eau, le liquide sera abordé sous ces différents aspects parallèlement dans les différents domaines. L’eau en littérature, tout comme en sciences naturelles ou en mathématiques (et oui, les fameuses baignoires qui peuvent contenir tant de volume et remplies par des robinets qui en déversent tant…). Vous l’aurez compris, l’enseignement se fera au sein de six « domaines de développement et d’apprentissage » distincts : langues, mathématiques, sciences, corps et santé, arts, mais aussi vie en commun et valeurs.

Ce dernier point souligne les limites d’un projet novateur dans le cadre de loi scolaire actuel qui cimente l’intrusion de la religion au sein de l’école publique. Définition politiquement plus correcte, « vie en commun et valeurs » est en quelque sorte le précurseur (déjà pratiqué au Neie Lycée) de ce dont pourrait avoir l’air la fameuse « éducation aux valeurs ». Dans un langage consensuel, le papier de présentation parle d’une « démarche interculturelle, fondée sur des valeurs humanistes, qui tiendra compte aussi des croyances et non-croyances des élèves provenant d’une société luxembourgeoise pluraliste où les expressions religieuses et laïques se côtoient au quotidien ». En clair : dans un esprit de relativisme éthique, l’on ouvre la porte à toutes les croyances religieuses, les enseignant parallèlement à des courants de pensées rationnels et progressistes. Rien de mieux que l’éducation aux valeurs pour réhabiliter et doter d’un vernis scientifique. Mais bon, Eis Schoul doit bien respecter la loi de 1912…

Même si rien ne peut être parfait dans le meilleur des mondes, Eis Schoul risque de tenir ses engagements de réussite. Le projet scolaire de Bielefeld en Allemagne, dont Eis Schoul s’inspire, semble en tout cas avoir tenu ses promesses. Car la véritable « phase-test » se déroule lorsque les élèves issus de ce genre d’école doivent intégrer l’enseignement « normal ». Si les élèves passés par Bielefeld ne disposent pas de l’ensemble des connaissances requises dans les matières exigées, ils se montrent par contre ensuite plus aptes à assimiler de nouvelles connaissances. Finalement, ils sont plus nombreux à réussir l’examen de fin d’études secondaires. Rendez-vous dans quelques années pour voir si l’expérience Eis Schoul comblera ces attentes.


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