THEATRE: Mammouth-Man

Avec « Mammuthus Exilis », l’ex-journaliste et désormais programmateur théâtral de la Kulturfabrik, Jérôme Netgen, a crée une pièce (auto-)ironique sur l’immobilisme intellectuel.

L’auteur, ses lunettes et son entourage naturel…

C’est un type hors d’âge, ce Netgen. Caché derrière ses lunettes de soleil et les ronds de fumée qui émanent de sa cigarette, on pourrait penser que ce type au t-shirt slacker – qui cache mal un petit tatouage – et en jean serait de la génération des twenty-somethings au climax de leur quarter-life-crisis. Mais les cheveux grisonnants, qui apparaissent ça et là au niveau des tempes et juste au-dessus des oreilles trahissent un homme qui n’a rien à voir avec ces créatures qui peuplent les terrasses des cafés en été, clope au bec et mains sur le clavier de leur MacBook dans une pose comme s’ils étaient en train de révolutionner le monde.

« En fait je déteste ces gens », remarque-t-il, comme pour confirmer cette petite pensée. « C’était pendant un séjour en Islande, où je me suis retrouvé dans un de ces cafés avec plein de jeunes intellos qui faisaient l’important, que je me suis rendu compte que je n’avais rien à voir avec ces gens-là », dit-il en reprenant une gorgée de Super Bock, dans le petit café portugais qui longe la Kulturfabrik, et qui – juste pour info – n’a ni terrasse, ni réseau sans fil. Netgen se considère lui-même comme appartenant à une « génération perdue » : trop jeune pour revendiquer mai 68 ou les années 70 rebelles mais trop vieux pour appartenir à la génération internet. C’est le groupe de celles et ceux qui ont vécu leur adolescence pendant les années 80, décade perdue entre les « bons vieux jours » et la folie positiviste des années 90. Décade qui ne voyait pas venir la fin de la guerre froide et qui se complaisait dans de visions du futur qui aujourd’hui en feraient rire plus d’un. Un peu comme les personnages de sa pièce : « Ils vivent dans un milieu intello, qui se complait dans la nostalgie ou se projette sans cesse dans un futur hypothétique », les décrit Netgen. « En agissant de la sorte, ils oublient malheureusement le présent et courent le danger de s’isoler totalement du monde. »

Dans la pièce, un couple, Bib et Viv, vit dans son appartement dans le Sud du pays. Lui est un intello désabusé qui ne voit que le mal au monde dont il souhaite qu’il aille au diable. Elle, une employée d’une boîte de pub, qui partage le même phlegme, mais essaie d’y échapper en caressant le projet d’aller vivre à la campagne. S’y ajoutent encore Alvisse, le meilleur pote de Bib, et le seul à vraiment comprendre le couple, ainsi que Julie, jeune étudiante en cinématographie qui veut tourner un court-métrage expérimental sur ce couple d’isolés. Ce qui explique aussi le titre de la pièce « Mammuthus exilis » : les mammouths exilés existaient vraiment. Ce fût une espèce à part, qui a réussi à tromper l’impitoyable sort de l’évolution, en s’exilant sur une île, devant les côtes californiennes. Là-bas, leurs ennemis naturels – qui décimaient totalement l’espèce des mammouths sur la terre ferme – ne pouvaient les atteindre. Par contre, ils avaient aussi un nouvel environnement auquel s’adapter, et par conséquence ils rétrécissaient pour finalement n’être pas plus imposants que des veaux. Jolie petite métaphore du Luxembourg en quelque sorte, et aussi – comme l’auteur le révèle au détour d’un sourire suggestif – une part d’autobiographie.

De plus, c’est crédible. Jérôme Netgen a été pendant des années le rédacteur culturel du Tageblatt, une sorte de fonctionnaire intellectuel à la merci de la culture événementielle, comme le sont tous les rédacteurs de cette branche. Ce qui lui a aussi permis de connaître parfaitement les rouages du business culturel dans le microcosme luxembourgeois. Qu’il prenne avec humour les absurdités que produit une telle scène repliée sur elle-même est tout à fait à son honneur. D’autre part, pleurer ne sert à rien. Mais peut-être est-ce aussi pourquoi il ne fait pas grand cas de sa personne. Difficile de le dire, d’une part on sent chez Netgen la tension de celui qui montre pour la première fois une oeuvre au public et met donc en jeu sa propre personne, de l’autre il semble tout à fait détaché de ce business, comme quelqu’un qui a fait la paix avec un vieil adversaire. « En tout cas, je ne cours pas derrière les interviews », se contente-t-il de remarquer, en riant un peu derrière ses lunettes de soleil.

Nous sommes tous des mammouths exilés

Quant à la pièce, « Mammuthus exilis » est loin d’être une comédie dans le genre « Kaméidistéck » dont le public luxembourgeois est tellement friand, même pas du cabaret. « Je crois qu’Anne Simon est en train d’en faire une pièce drôle, mais ce n’est pas seulement pour rire », décrit-il le travail de « sa » metteuse en scène.

Et l’intéressée de répondre « C’est une tragicomédie, comme le sont toutes les bonnes pièces. C’est un travail très intéressant que de mettre en scène une pièce luxembourgeoise d’un certain niveau. De plus, je jouis d’une liberté entière pour mon travail, on a même pu fignoler un peu les textes. » Simon apprécie la bonne collaboration en équipe, et le fait de pouvoir mettre en oeuvre toute son expérience acquise au cours des dernières années. « En tant que responsable du théâtre d’enfants et d’adolescents du TNL, j’ai pu pratiquer mon métier avec plus de flexibilité par rapport aux codes rigides qui normalement définissent la mise en sène. »

Le casting de la pièce est également bien choisi. Qui d’autre peut se targuer d’avoir un conseiller communal de Déi Lenk – Marc Baum en l’occurrence, fondateur de la troupe ILL qui co-produit la pièce – pour jouer un intello de gauche désabusé et alcoolique ? Les autres rôles aussi sont bien reparties entre Jean-François Wolff – récemment au grand écran dans « JCVD » (voir critique cinéma dans la partie agenda) -, Mireille Wagner qui vient de retrouver enfin les planches de la scène et la jeune Rosalie Maes, fille de Jean-Paul, qui n’en est tout de même pas à sa première performance. Avec cette équipe dans le dos, la première pièce de Jérôme Netgen est entre de bonnes mains.

Mais que veut-il dire par sa pièce ? « C’est la question à un million d’euros ? », renchérit-il, « en fait il n’y a pas de vraie morale dans ma pièce, elle consiste plutôt en un survol en perspective d’oiseau de la situation de ces personnes. Quoiqu’à la fin, ils ont quelques illusions de moins ». Un peu comme l’auteur aussi, mais lui du moins sait qu’il est un mammouth, ça aide.


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