NOBEL ET MICROCREDITS: Sauvés par les banques?

Le microcrédit est à l’honneur. Une raison pour faire le bilan des mérites de cette approche en matière d’aide au développment et mettre en garde contre tout enthousisme excessif.

L’attribution du prix Nobel de la paix au „père du microcrédit“ fait l’objet d’un large consensus. „Mohammed Yunus, ‚prêteur d’espoir'“, titre Libération, et la Neue Zürcher Zeitung (NZZ) exulte: „La paix par le développement“. Alors que le choix du Nobel de littérature Orhan Pamuk engendre des affrontements politiques, tant d’unanimité pour le „Nobel politique“ a quelque chose de réconfortant. C’est précisément cela, moins que l’attribution en elle-même, qui laisse dubitatif.

Le choix de l’économiste bengali Mohammed Yunus, ainsi que de la banque Grameen qu’il a fondée, pour le Nobel de la paix a le mérite de rappeler à l’opinion mondiale la réalité et l’importance des inégalités Nord-Sud. Le fantastique succès – 6,6 millions de bénéficiaires de crédits depuis 1976 – traduit aussi l’immensité des besoins des populations pauvres auxquelles les banques classiques refusent de prêter. A juste titre, on souligne également le cercle vertueux qui s’établit entre statut social des femmes et développement: 97 % des bénéficiaires sont de sexe féminin. Enfin, ce type d’aide au développement se révèle bien plus efficace que les méga-projets qui sont décidés par-dessus la tête des populations locales. En première approche, le microcrédit est un type d’aide qui part d’en bas et permet aux gens de prendre leur destin en main.

Le premier aspect critiquable est qu’en ayant recours à des mécanismes de marché, la microfinance apporte une caution idéologique au discours néolibéral. Libération cite d’ailleurs Yunus expliquant aux Français que „votre système d’assistance a fini par institutionnaliser un système de charité“. La NZZ ne s’y trompe pas et situe les mérites du microcrédit dans le fait qu’il serait „plus proche du marché et plus réaliste qu’une grande partie des autres aides“. Le choix du comité Nobel d’honorer une entreprise plutôt qu’un politicien ou une ONG est également relevé par le quotidien suisse: le comité reconnaî trait que ce n’est pas le marché qui fait obstacle à la paix, mais bien la politique.

Ces conjonctions idéologiques peuvent sembler embarrassantes, mais elles restent abstraites. Plus concrètement, les mécanismes de microcrédit sont souvent mis en oeuvre en dehors de toute dimension politique, ce qui limite le côté prise en main des populations. En effet, les pays concernés sont souvent ceux qui mettent en oeuvre un démantèlement massif des infrastructures publiques, sous pression des institutions internationales comme la Baque mondiale. Plutôt que d’organiser la résistance contre cette politique, l’aide par la microfinance se contente de payer les pots cassés.

L’enthousiasme devrait également être tempéré par le fait que la plupart des instituts de microcrédit font du déficit et ne continuent d’exister que grâce à des aides publiques ou privées, qui font défaut ailleurs. C’est peut-être cela qui explique l’engouement récent des banques commerciales pour le microcrédit. Leur motivation ne serait donc ni la philanthropie – qui l’eût cru -, ni la reconnaissance de la solvabilité des pauvres – une chimère -, ni même l’amélioration de leur image, mais bien l’espoir de prélever un tribut sur ces flux d’argent-là aussi. Quand on voit la différence entre les taux des crédits internationaux subventionnés et les taux élevés des microcrédits, cet espoir apparaî t justifié.

Enfin, et c’est là que se rejoignent idéologie et pratique, l’engouement pour la microfinance – outil sans doute adapté à certains besoins – met en danger l’ensemble des efforts en matière d’aide au développement. Dans la mesure où les institutions internationales et les donateurs privés misent tout sur la carte du microcrédit, les autres dimensions de l’aide – éducation, programmes sociaux, infrastructures collectives – passent à la trappe.

Ce n’est sans doute pas ce qu’a voulu Mohammed Yunus en fondant sa banque, ni le comité Nobel en lui attribuant son prix.


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