POLITIQUE CULTURELLE: Finie la philanthropie ?

Avec la crise financière faisant ses ravages aussi près de nous, il est peut-être grand temps de se questionner sur le futur du sponsoring culturel.

Surtout, s’il n’en reste plus…

La politique culturelle du grand-duché du Luxembourg est axée sur le prestige, comme nous n’avons cessé de le constater sur ces pages. Combien de fois un projet glamour – souvent importé de l’étranger – a-t-il eu raison de productions moins connues, mais parfois plus osées et assez fréquemment d’une qualité artistique plus élevée que ceux dictés par la culture événementielle ? Mais l’heure de la revanche n’a pas sonné, et il n’est pas question pour nous d’approfondir les contenus de la politique culturelle du moment – mais de nous demander comment les diverses institutions pourront garder leur niveau en ces temps de crise.

Le sponsoring n’est peut-être pas – encore – le garant de la vie culturelle, mais il y prend déjà une certaine place. A titre d’exemple, l’année culturelle 2007 a été financée à hauteur de huit pour cent par des sponsors. Ce qui n’est pas substantiel au premier regard, mais vu les sommes immenses que le cirque culturel de l’an passé a consommées, ce n’est pas rien non plus. De plus, travailler avec des sponsors n’est jamais sans risques. Ces entreprises ont souvent des exigences qui se marient assez mal avec la liberté artistique. Ainsi, l’an dernier une exposition dans le hall des Soufflantes à Esch-Belval, a dû faire place – temporairement – à un bal organisé par une banque partenaire de l’année culturelle. Si la censure explicite est – pour le moment encore – exclue, elle peut aussi avoir lieu à l’autre bout de la chaîne, sous forme d’autocensure dans les institutions sponsorisées. Hors des murs des institutions, les artistes, qui se confient par exemple à des galeries tenues par des banques ou autres instituts financiers, sont totalement à la merci de leurs « patrons ». La Banque et Caisse d’Epargne de l’Etat est passée maître dans cette discipline : pour la deuxième fois déjà elle vient de faire décrocher des tableaux dans sa propre galerie « Am Tunnel », sous prétexte que les oeuvres exposées pourraient « choquer le public ». Malheureusement, l’art qui n’émeut plus le spectateur est stérile. Ce n’est même plus de l’art pour l’art, c’est pire. C’est l’art pour le consommateur de belles choses, qui n’est en fin de compte que de la décoration.

Dans ce sens, chaque forme de sponsoring comporte des risques et celles et ceux qui se posent des questions de déontologie sur cette problématique sont rares. Et pourquoi devraient-ils y perdre leur temps d’ailleurs ? L’art est devenu au cours du siècle dernier un business comme les autres. Le temps, c’est de l’argent ici aussi. De plus, par les temps qui courent mieux vaut s’acheter des Picasso que des actions?

Pourtant, traiter les institutions culturelles de notre pays de suppôts du capitalisme de marché ne serait pas entièrement juste. Même si certains ne rechignent pas d’ouvrir largement leurs poches, il faut aussi dire qu’ils y sont vivement encouragés par le ministère de la culture.

Dans le rapport d’activité du ministère de la culture pour l’année 2007, on trouve quelques pistes de réflexion qui peuvent inquiéter. Sous la section XVII, intitulée « Financement de la culture : Comment rendre la philanthropie plus intéressante au Luxembourg », le taureau est pris par les cornes : « Il est évident qu’au cours des dernières années, les dépenses courantes relatives à ces mêmes infrastructures ne sont pas restées sans impact sur le budget du Ministère (?) La question qui s’impose dès lors est de savoir de quelle manière on pourrait intéresser à l’avenir le domaine privé, c’est-à-dire les entreprises et les citoyens, de participer non seulement à la réalisation mais aussi au financement de divers projets culturels organisés au Luxembourg ». En guise de réponse, on énumère trois facteurs-clés : la motivation du mécène, le cadre crée pour le sponsoring – qui englobe aussi bien des formules fixes, qu’un encadrement fiscal intéressant et la « capacité de satisfaire la demande du mécène potentiel ». Surtout le dernier point est dangereux, et pervertit la logique même du mécénat. A l’origine, un mécène est quelqu’un de désintéressé qui investit son argent pour le bien public et non pas une banque qui s’achète un spectacle pour se faire de la publicité. C’est ce glissement sémantique dans la définition du mécénat qui fait peur.

D’autant plus que ces pistes de réflexion trahissent aussi l’attitude d’un ministère qui n’est nullement prêt à lâcher les projets de prestige et d’investir dans une sorte de développement durable sur le plan culturel.

Un futur incertain ?

Dans la pratique courante, un certain nombre d’institutions culturelles luxembourgeoises qui ont fait le prestige de politique ces dernières années sont déjà partiellement dépendantes du sponsoring. Le Musée d’art moderne Grand-Duc Jean (Mudam), par exemple, est financé à 75 pour cent par l’Etat, le reste se divise entre les recettes du musée (entrées, Mudam-Shop et restauration) et le mécénat qui prend un volume d’environ 13 pour cent.

Pour Annick Spautz, la responsable du mécénat au Mudam, le futur proche ne fait pas forcément peur : « Parmi les noms qui sont tombés au cours des dernières semaines, aucun ne figure parmi nos grands donateurs », explique-t-elle.

Pourtant, elle n’écarte pas le risque que dans l’avenir les choses se corseront : « Ce sera certainement plus difficile dans les années à venir », admet-elle, « car si l’argent devient rare, les premiers budgets à être coupés sont ceux de la culture. Ce que je trouve assez normal d’ailleurs. Car avant de licencier des personnes travaillant dans des banques ou institutions financières, il faut diminuer les dépenses courantes ». Quant à savoir comment pallier à une éventuelle situation financière difficile, il n’existe pas de remède-miracle : « Le mieux qu’on puisse faire c’est de diversifier les mécènes. De ne pas se rendre dépendant d’une institution précise qui mettrait un gros bloc d’argent et qui pourrait le retirer à chaque instant. Pour l’instant, le Mudam n’est pas à la merci d’un seul sponsor et ça doit rester ainsi. Car, si un des gros mécènes ne renouvellera pas son soutien, ce ne sera pas la catastrophe. Par contre, si trois de ces derniers nous quitteraient en même temps, nous serions en difficultés. Mais, je pense que c’est improbable ».

Le problème du moment est que les contrats actuels du Mudam seront encore en vigueur jusqu’à la mi 2009 et après personne ne sait. Peut-être que la crise financière sera longtemps oubliée, peut-être aussi qu’elle aura fait davantage de ravages et atteindra nos musées et centres d’art.


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