ANTONELLO GRIMALDI: Banc de touche

Tiré du roman de Sandro Veronesi, « Caos calmo » est un drame italien qui parle du deuil et de l’aliénation de l’existence moderne. Un film poussif malgré un Nanni Moretti en pleine forme.

Il ne suffit pas de s’éterniser sur un banc pour explorer les tréfonds psychologiques du deuil et de la disparition.

En rentrant de la plage, Pietro Paladini (Nanni Moretti) découvre Claudia, sa fille, éplorée. La fillette vient de passer plusieurs heures auprès du cadavre de sa mère, décédée brutalement dans le jardin de la maison de vacances familiale. Accablé par les remords de n’avoir pu préserver son enfant et de ne savoir pleurer son épouse, ce cadre supérieur sombre insidieusement dans le « chaos calme » de la dépression. Un jour, alors qu’il accompagne
Claudia à la porte de son école, il décide soudain de ne plus quitter le banc qui fait face à l’établissement, jusqu’à la sortie des classes.

Adapté d’un roman à succès, recompensé par de nombreux prix tant en Italie qu’à l’étranger, ce film d’Antonello Grimaldi a secoué la botte en raison d’une scène d’amour particulièrement explicite, qui s’arrête de justesse au slip tendu de Nanni Moretti. Ce n’est, bien entendu, pas un quelconque soupçon de vulgarité qui a effrayé les médias italiens. Autant craindre de noyer son poisson rouge dans un bol d’eau. Simplement en cette terre de contrastes qu’est la leur, l’exhibitionnisme le plus poussé s’accomode sans difficulté avec un conformisme de presbytère. Et ces quelques minutes de coït sur pellicule ont plus fait pour la notoriété du film que sa galerie d’acteurs ou ses qualités cinématographiques – d’ailleurs douteuses.

Tout ne commence pourtant pas si mal. L’on suit d’abord avec émotion cet homme choqué par la disparition d’une femme dont il ne connaissait pas toutes les zones d’ombre, écrasé par l’inéluctabilité de la mort, renvoyé à sa propre insignifiance et bien incapable d’expliquer à sa fille ce qu’il ne peut lui-même accepter. Mais lorsqu’une oeuvre traite d’un sujet aussi douloureux et aussi pesant que le deuil, l’on espère en tirer un enseignement, aussi infime soit-il, sur l’art de vivre et de disparaître. Lorsque de surcroît l’on sait que Nanni Moretti est à l’affiche, l’on s’attend à y retrouver un soupçon de cette profondeur qu’il avait lui-même su donner à sa bouleversante « Chambre du fils ». Au lieu de quoi l’on se retrouve avec une sorte de succédané de « La vie est belle ».

« Caos calmo » s’enlise en effet très vite dans une inexorable marée montante de lieux communs. L’on y apprend ainsi avec surprise que la vie moderne serait pleine de faux-semblants, le monde de l’entreprise aussi vide que perfide, que l’argent ne fait pas le bonheur – surtout lorsque l’on dispose d’une villa sur la côte, d’un grand appartement dans le centre de Rome et d’une grosse cylindrée de marque allemande – et, oh révélation ! – que l’amour, ça nous transcende.

L’amour au sens large s’entend, celui de son prochain. Alors, tout à coup, Pietro commence à accorder du temps à ses proches, se lie d’amitié avec un gamin trisomique et charme une jeune fille de vingt ans, belle, blonde et longiligne, avec un regard timide à faire fondre une enclume et des lèvres humides à faire des moues boudeuses. Car, comme tout le monde le sait, ce genre de naïades a du mal à se contrôler face à un quinquagénaire dépressif qui passe ses journées assis sur un banc public. Le tout est encore alourdi par une intrigue secondaire où il est question d’une fusion entre la société de Pietro et une multinationale américaine.

Dans ces conditions, ni la très juste interprétation de Nanni Moretti, ni l’alléchante galerie de seconds rôles français – Hypolite Girardot, Denis Podalydès, Charles Berling – ne parviennent à sauver les meubles. Quant à la très furtive apparition de Roman Polanski, l’on ne peut y voir qu’un vain clin-d‘?il en direction des cinéphiles. En conclusion, il en va de « Caos calmo » comme de certains tiramisùs : de prime abord ça a l’air délicieux mais finalement ça se révèle trop lourd, trop sucré et trop mouillé.

« Caos Calmo », à l’Utopia.


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