PRO: « Israël n’avait pas d’autre choix »

Mario Hirsch : Israël ne prétend pas seulement défendre sa population, mais a l’obligation de le faire. Après tout, garantir la sécurité de ses citoyens est un des principaux devoirs de tout gouvernement, surtout dans un contexte démocratique où les gouvernements sont redevables de leurs actes et omissions. La menace des tirs de roquettes est bien réelle, même si ceux qui accusent Israël de dépasser les bornes se livrent à une comparaison douteuse en comptabilisant les pertes civiles de part et d’autre. Ils oublient tout d’abord que dans le cas du Hamas, les victimes civiles sont préméditées et voulues, tandis que dans le cas des opérations militaires de l’Etat hébreu elles sont accidentelles et à ranger dans la catégorie des dommages collatéraux. Minimiser les dégâts causés par les roquettes, de plus en plus sophistiquées et à une portée de plus en plus grande, n’est pas très sérieux. Après tout, depuis 2004, 17 ressortissants israéliens ont perdu la vie à cause de ces tirs et des centaines d’autres ont été blessés. Aujourd’hui, de grandes agglomérations comme Ashdod, Ashkelon, Beersheva, voire la banlieue de Tel Aviv sont à la portée de ces engins de mort. Si disproportion il y a, surtout en termes de « body count », ce n’est pas la faute à Tsahal, l’armée israélienne, mais du Hamas, qui utilise délibérément les populations civiles comme bouclier humain. La preuve a été fournie depuis longtemps que les rampes de lancement extrêmement mobiles sont installées dans des zones d’habitation et à proximité d’établissements civils (écoles, mosquées, hôpitaux etc…). Comme l’élimination de ces nuisances est le principal objectif d’Israël dans la campagne en cours, l’on comprend que, dans ces circonstances, on ne peut malheureusement pas être trop regardant en ce qui concerne l’identification des cibles. Il faut d’ailleurs relever que Tsahal avertit les populations civiles avant les frappes, surtout si celles-ci visent des objectifs civils.

Le gouvernement israélien dit ne pas vouloir chasser le Hamas du pouvoir, mais n’est en même temps pas clair sur les objectifs qu’il veut atteindre. Est-ce qu’en fin de compte, le but visé n’est pas de démoraliser la population dans l’espoir de la voir se retourner contre le Hamas ?

Si tel était le cas, cela serait à coup sûr contreproductif. La population civile est prise en otage par le Hamas dans sa détermination de régler son compte à Israël. Les victimes civiles sont malheureusement des victimes par défaut. Hamas devra non seulement rendre des comptes à sa propre population mais aussi aux autres Etats arabes qui voient d’un très mauvais ?il l’installation d’un Califat à leurs portes et qui n’ont pas manqué d’avertir le Hamas des conséquences suicidaires de son comportement. La crise humanitaire à Gaza finira par se retourner contre le Hamas. On ne joue pas impunément avec le feu, surtout si cela a pour effet d’enfoncer dans la misère et dans le désespoir toute une population qui déjà ne menait pas bien large bien avant le déclenchement de la crise actuelle, provoquée dans une très large mesure par le comportement irresponsable du Hamas. Même si tel n’est pas l’objectif recherché par Israël, l’éviction du pouvoir du Hamas pourrait être une des conséquences secondaires de l’opération militaire actuelle, ceci d’autant plus qu’Israël a, tout au long de l’opération, pris bien soin d’en atténuer les conséquences pour la population civile en multipliant les convois humanitaires et les opérations de secours aux populations civiles, brisant en cela le monopole du Hamas en matière d’assistance. Il faut rappeler à cet égard qu’en dépit du discours sur le verrouillage de la bande de Gaza, Israël a maintenu l’approvisionnement du territoire avant et après le déclenchement des hostilités. Il est donc faux d’affirmer que la population gazaouie a été abandonnée à son triste sort. Les statistiques sont là pour prouver qu’à aucun moment, Israël n’a pratiqué la stratégie de l’exacerbation ou de la terre brûlée.

N’y a-t-il pas le risque qu’une telle stratégie aboutisse à un double désastre : une population complètement anéantie qui se solidarise encore plus avec ses « défenseurs » ?

Je le répète : telle n’est pas la stratégie d’Israël ! La classe politique, du moins les éléments responsables et raisonnables qui sont aux affaires actuellement jusqu’à nouvel ordre est parfaitement consciente des risques de l’opération en cours. Ils connaissent les limites à ne pas franchir. Ils veulent éviter à tout prix de faire le jeu du Hamas qui entend rallier autour de sa cause en misant sur sa capacité de résistance face à l’ennemi héréditaire. C’est une cause très populaire, certes, mais le moment viendra ou même les populations arabes, remontées contre Israël, feront la part des choses et demanderont des comptes à leurs dirigeants.

Au moment où l’administration Obama n’est pas encore en place et celle de Bush en train de faire les valises, n’est-ce pas une évidence qu’Israël tente de profiter d’un contexte politique international instable pour marquer des points ?

Israël n’a pas profité du vide du pouvoir à l’échelle internationale, même si l’interrègne à Washington a certainement augmenté sa capacité de man?uvre. Le contexte international a joué dans un tout autre sens. Israël souffre du complexe d’assiégé. Les nuages noirs s’accumulent de tous côtés. La frontière avec le Liban est loin d’être pacifiée. Les perspectives sont inquiétantes du côté de l’Iran et les perspectives d’un accord de paix avec la Syrie incertaines. Chaque nouveau front n’est pas pour rassurer un peuple obsédé par sa sécurité. En Israël, la conviction est très répandue que dès lors qu’il s’agit de la sécurité à long terme de l’État hébreu, l’on ne peut faire confiance à personne et qu’on est livré à soi-même. Les atermoiements des uns et des autres dans la crise actuelle le prouvent à suffisance !

A quelques semaines d’élections nationales qui font suite à une crise politique interne, le ministre de la défense, Ehoud Barak, remonte dans les sondages. Est-ce que la tête de liste du parti travailliste mène sa campagne électorale en écrasant la population de Gaza ?

C’est vrai que le parti travailliste ne menait pas large dans les sondages d’opinion avant le déclenchement de la crise. De là à en conclure qu’Ehoud Barak s’est lancé dans l’aventure d’une opération militaire à Gaza pour redorer son blason, c’est aller un peu vite en besogne. Répétons-le : indépendamment des échéances électorales, Israël n’avait pas d’autre choix que de frapper fort, à moins de voir descendre en vrille sa capacité de dissuasion et d’ébranler irrémédiablement sa sécurité.

On nous dit que la population israélienne supporte très largement les actions militaires de son armée dans le territoire de Gaza. Qu’en est-il de l’opposition à cette guerre en Israël même ?

C’est vrai que l’opération « Plomb durci » bénéficie d’un très grand appui parmi la population israélienne. Celle-ci accepte dans sa très grande majorité qu’Israël n’a pas été payé en retour d’avoir fait preuve d’une grande retenue face aux piques de Hamas. C’est pourquoi elle accepte maintenant qu’il n’y ait plus d’autre option qu’une opération militaire. Cela ne veut pas dire qu’il y a le même consensus quant à la façon dont cette opération est menée, sa durée, son ampleur et ses objectifs. Jusque dans les rangs de la coalition actuelle, des opinions divergentes se manifestent. Comme Israël est une société ouverte et démocratique, le débat public est intense, surtout que le camp de la paix reste très fort et vocal.

D’un point de vue militaire, Israël semble avoir tiré les bonnes leçons de la dernière guerre au Liban. Mais est-ce qu’on ne va pas droit à une impasse politique comme en 2006?

Si impasse politique il devait y avoir à l’issue de l’opération en cours, elle proviendrait du fait, plutôt improbable, que le Hamas sortira renforcé de l’épreuve actuelle. Tout le pari consiste à réduire la capacité de nuisance du mouvement islamiste. Sa popularité est bâtie sur cela. On peut compter sur Israël pour priver le Hamas de son ascendant sur la population de Gaza. Mais à supposer que cela réussisse, l’avenir de ce territoire meurtri est loin d’être clair.

Est-ce qu’on peut imaginer, du côté d’Israël, une sortie « politique » de cette crise ?

Il faut espérer qu’Israël dispose d’une stratégie de sortie. Pour des raisons compréhensibles, cela n’est pas encore ouvertement discuté, mais il est clair que l’avenir de la bande de Gaza passera inévitablement par le renforcement des forces politiques dites modérées, c’est-à-dire tous les éléments qui auront compris que la stratégie de confrontation avec Israël ne paie pas. Ce qui est rassurant à ce propos, c’est qu’une majorité d’Israéliens ont compris que quoi qu’il advienne, les Palestiniens vont rester leurs voisins. Une politique de « bon voisinage » s’impose plus que jamais.

Qu’en est-il du processus de paix ?

Le processus de paix, tout comme son dernier avatar, le processus d’Annapolis, est la principale victime de la crise actuelle. Il est dans l’impasse. La balle, de ce point de vue, est très clairement dans le camp d’Israël qui doit enfin donner des gages à l’Autorité palestinienne en cessant enfin les tergiversations en matière de colonies de peuplements, d’élimination des points de contrôle vexants et humiliants en Cisjordanie et d’établir un Etat palestinien digne de ce nom, doté des attributs et des moyens d’agir associés à la notion de souveraineté.

Mario Hirsch est directeur de l’Institut Pierre Werner et président des « Amis d’Israël », il s’exprime ici à titre personnel.


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