STEVEN SODERBERGH: « Hasta la victoria » : Episode One

Les diptyques sont à la mode en ce moment. Après Mesrine 1 et 2, voici le biopic en deux parties que Steven Soderbergh consacre à Ernesto « Che » Guevara. Sortie cette semaine du premier volet : « Che : The Argentine ». Un film minutieux et didactique.

Même la révolution a besoin de sa pause-cigares syndicale …

En novembre 1956 une petite troupe de Cubains embarque sur un mauvais rafiot, le Granma. Ils partent libérer leur île du dictateur Batista. A leur tête se trouvent les frères Fidel et Raul Castro. Un jeune médecin argentin est également du voyage, Ernesto Guevara, surnommé « Che » en raison d’un tic de langage de son pays d’origine. Réfugiés dans la Sierra Maestra, un massif forestier du Sud de l’île, les guerilleros vont organiser un mouvement révolutionnaire bientôt très populaire, qui aboutira à la prise de la Havane en décembre 1958. Le 11 décembre 1964, le commandant Guevara, désormais héros de la révolution cubaine et ministre de l’industrie, prononce un discours devant l’Assemblée générale de l’ONU.

C’est sur ces deux tranches d’histoire, guérilla et voyage à New York, que Steven Soderbergh a construit le premier volet de son diptyque consacré à Guevara, « Che : L’Argentin ». Dans une forme qui n’est pas sans rappe-ler celle qu’il avait déjà adoptée pour « Traffic », il entremêle ces deux trames en donnant à chacune une lumière particulière : couleurs vives pour la partie cubaine, noir et blanc pour la partie américaine. Une mise en scène aussi efficace que banale, plutôt cuistre de surcroît, ce qui est malheureusement peu étonnant de la part d’un cinéaste qui ces dernières années, entre chaque épisode de la série « Ocean’s », nous a offert des réalisations indépendantes plutôt décevantes, comme son remake de « Solaris » en 2002 ou « The Good German » en 2006. L’on regrette d’au-tant plus cette médiocrité formelle si l’on songe à « Soy Cuba » (1964), du réalisateur soviétique Mikhaïl Kalatozov, le chef-d’oeuvre par excellence consacré à la révolution cubaine.

Pourtant ce film ne mérite pas d’être étrillé. Premièrement, en raison de la prestation lumineuse de Benicio del Toro, qui se fond littéralement dans son personnage. Deuxièmement, parce qu’il n’y a aucune malhonnêteté intellectuelle dans cette oeuvre qui pêcherait plutôt par son excès de didactisme. Soderbergh s’est livré à un très minutieux travail de documenta-tion. Son scénario est en grande partie inspiré des écrits du Che qui, contrairement à ce que l’image romantique de celui-ci laisse supposer, auraient tendance à se distinguer par leur aridité. Comment organiser les tours de gardes, éviter les cors aux pieds ou bien préparer son sac à dos avant une marche de trois jours dans la jungle : tels étaient les sujets d’inspiration d‘ « El Commandante ».

Le résultat de ce travail est, pour sa partie cubaine, une reconstitution détaillée de la construction matérielle et politique de la guérilla ainsi que de ses opérations militaires. La partie américaine consiste en une sélection d’extraits du discours de Guevara qui a le mérite de confronter un large public, venu voir un film hollywoodien, à des notions telles que « bourgeoisie », « impérialisme », « capitalisme » ou « révolution ». Des termes qui, il y a peu encore, paraissaient aussi ringards que les bustes de Lénine et les dîners de gala chez l’oncle Mao, mais qui dans le contexte actuel, alors que la fin de l’histoire promise il y a vingt ans semble remise aux calendes grecques et que le sacro-saint Marché se mange un méchant vent, retrouvent une acuité certaine, pour peu qu’on veuille bien les soumettre à débat.

Reste la figure du Che. Certains commentateurs ont reproché au film d’avoir un aspect hagiographique. Pourtant, il se veut largement moins empathique que les très beaux « Carnets de voyage » du brésilien Walter Salles , qui mettaient en scène le jeune Ernesto. Et puis, il faut se rendre à l’évidence. Le Che était bel et bien un saint. Cet homme donna sa vie au nom d’une conception généreuse de l’homme et d’un idéal de justice sociale. Simplement du saint, il avait aussi les défauts : la psychorigidité, le masochisme, le fanatisme. Le film de Soderbergh ne fait pas l’impasse sur cela et c’est son mérite.

« Che : The Argentine », à l’Utopia.


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