POLITIQUE CULTURELLE: Nouvelle(s) direction(s)

Kevin Muhlen est depuis quelques mois le nouveau et très jeune direc-teur artistique du Casino-Forum d’art contemporain. Le woxx a fait le point avec lui.

Nouvelles perspectives : Kevin Muhlen n’a pas froid aux yeux.

woxx : Comment se sent-on quand on arrive si jeune au sommet de sa hiérarchie ?

Kevin Muhlen : Je ne le vois pas comme un aboutissement, mais plutôt comme un début. Ici, j’ai beaucoup de possibilités et d’opportunités – et le fait que je sois encore si jeune me permettra de collecter des expériences importantes pour un futur développement hors du Casino. Qui sait ce que l’avenir apportera. De l’autre côté, il y a bien sûr beaucoup de pression et d’attentes. Et bien sûr la question de savoir si je suis à même de combler ces attentes.

Ton souci principal, c’est quoi ?

Je n’ai pas vraiment de gros soucis. Ce qui importe, c’est que je trouve mon chemin et l’énergie de le suivre jusqu’au bout. Et surtout que je ne copie pas le passé juste pour plaire aux gens ou au nom d’une fausse continuité. C’est un poste qui me permet de communiquer beaucoup d’éléments qui m’importent. Je ne dois pas rester dans une certaine tradition, seulement parce que le public attend cela.

Quelles seront tes principales innovations par rapport au travail d’Enrico Lunghi ?

Montrer de nouvelles directions artistiques, de nouvelles propositions, avec un regard différent sur l’art. Je ne suis pas aussi poétique et philosophique qu’Enrico Lunghi. Je préfère miser sur mon sens d’esthétique qui est différent: inclure la culture quotidienne dans le processus de l’art. Cela servira à mettre un peu plus de vie dans cet établissement, d’inclure une génération plus jeune, de devenir plus ouvert.

En ce qui concerne les missions du Casino : quelles sont tes priorités ? Et changeront-elles ?

Il y a des discussions là-dessus en ce moment. On veut renforcer le volet du forum d’art contemporain. Un lieu qui serait plus qu’une salle d’exposition, mais où beaucoup d’autres choses se passeraient en parallèle. Que ce soit ensemble avec les expositions, où nous ferons passer d’autres messages complémentaires ou dans le cadre de programmes parallèles. L’important c’est de communiquer que l’art contemporain est beaucoup plus que des expositions et des oeuvres d’art. C’est aussi une façon de voir et de penser le monde.

Vous miserez alors sur une ouverture sur la réalité sociale ?

Exact. Il s’agit avant tout d’ouvrir des discussions où se croiseront divers milieu qui pourront discourir de façon active sur ce qu’ils voient chez nous.

Y aura-t-il aussi des créations in situ ?

Pourquoi pas ? La création est importante. Il n’y a pas plus contemporain que les oeuvres d’art qui sont créées sur le site de l’exposition elle-même. De là aussi l’idée de faire des résidences d’artistes dans l’aquarium du Casino. Cela nous permettra de garder les artistes ici plus longtemps. Et d’avoir un regard plus attentif et intense sur leur façon de procéder que de juste leur dire par courriel que l’on veut bien exposer telle ou telle pièce. Leur présence ici deviendra de plus en plus pertinente.

Quel est ton regard sur la scène d’art contemporaine luxembourgeoise ?

Je la trouve très vivante et très active, surtout par rapport à il y a quelques années, quand je suivais encore mes études. On constate une certaine capacité des artistes à prendre en main les choses et à s’organiser entre eux. Même s’ils ne sont pas encore autonomes à cent pour cent, il y a des initiatives intéressantes et on peut se montrer à l’étranger sans complexes.

Les réseaux luxembourgeois se seraient-ils améliorés ?

Il y a encore beaucoup de travail de ce côté-là. Les réseaux au Luxembourg fonctionnent assez bien. Mais beaucoup peinent à étendre leurs relations au-délà des frontières nationales.

Est-ce une des missions du Casino de monter de tels réseaux ?

Quand je suis invité en tant que commissaire à l’étranger, je considère que ma mission consiste aussi à emmener des artistes luxembourgeois. Je préfère cela plutôt que de les montrer tous ici dans une exposition collective dont le seul propos serait de réunir tous les artistes contemporains luxembourgeois – je trouve que cela ne fait pas grand sens. Même si après tout, c’est à l’artiste lui-même de trouver son chemin. Car, je ne prends pas l’artiste par la main en lui disant : viens, on va faire une exposition là ou là, il faut aussi qu’il montre une certaine disponibilité et qu’il soit prêt à faire ce pas.

Les relations entre le Casino et le Mudam vont-elles changer ?

Je pense qu’elles resteront les mêmes, on n’approfondira pas nos collaborations de façon trop intensive. Ce sont deux mondes différents, ne serait-ce que par leur taille et leur budget. Le Mudam a un lieu et un nom différents ainsi qu’un budget plus élévé. Un musée c’est autre chose qu’un forum, c’est une image de marque qui attire beaucoup plus de gens. L’important, c’est que nous arrivions à nous distancier encore un peu plus. Car ces dernières années, il y a eu un nombre d’événements qui se sont déroulés en même temps ici et au Mudam et cela a peut-être prêté à confusion. Il nous faut trouver notre niche qui correspond à l’identité du Casino. Par exemple j’ai regretté un peu l’expérience de la Cloaca de Wim Delvoye en 2007, une exposition que nous avons partagée avec le Mudam. A la fin, le public se rappelait seulement le volet au Mudam – peut-être parce que la machine à digérer était plus grande ou parce que Léa Linster l’a nourrie. Toujours est-il que la grande partie des machines se trouvait ici au Casino et qu’elles sont passées presqu’inaperçues. Je voudrais bien éviter de telles expériences à l’avenir, afin de ne pas encourager une confusion qui n’a pas lieu d’être, parce qu’elle nous nuit plus qu’elle ne nous sert.

Le Mudam vient de perdre un de ses sponsors : le Casino ressent-il également les revers de la crise financière ?

Le Mudam est plus dépendant de l’argent privé que nous. Nous avons un budget fixe du ministère qui ne sera probablement pas en hausse, mais restera le même, du moins probablement. Par contre, pour trouver des sponsors pour des expositions précises, ce sera plus difficile à l’avenir. On ne peut plus se dire qu’on va tout simplement demander à la Fondation Indépendance – de la Dexia – ou d’autres de nous aider sur un projet précis. Ils sont en train de réduire leurs effectifs internes, alors tu ne peux plus vraiment leur demander de t’aider à monter un projet en tant qu’externe.

En général, quels sont tes voeux pour la politique culturelle luxembourgeoise à venir ?

Avant tout une meilleure promotion des artistes à l’étranger. Comme je l’ai déjà mentionné avant, l’important pour nos artistes, c’est de franchir le pas hors de nos frontières. Bien sûr que c’est toujours un peu plus délicat quand un ministère cherche à vendre ses artistes à l’étranger, car cela peut produire des amalgames douteux. Il faut faire attention de ne pas tomber dans la surenchère.

L’attitude française ne serait donc pas un exemple ?

On est loin d’un impérialisme culturel à la française et c’est bien comme ça. Quand tu vois des expositions dénommées ‚La force de l’art‘ – qui te donnent l’impression que leur seul propos est de te démontrer de façon abusive comment et pourquoi l’art français est bien et supérieur aux autres, tu commences à douter des bienfaits d’une telle politique. Même si l’exposition elle-même peut ne pas être mauvaise en soi, si son seul message reste politique, elle manque de profondeur.

Dans ta vie privée, tu es le guitariste de la formation death-metal Ex-Inferis. Comment faire le lien entre l’art contemporain et cette musique ?

Très bien, dans le sens où c’est une issue personnelle pour moi. Cela sert à me libérer un peu de toutes les préoccupations de l’art contemporain et du travail. C’est un exutoire musical pour moi. Je le fais depuis longtemps, j’aime le faire et ce n’est pas quelque chose dont j’aurais honte. Même si ça peut sembler incongru à certaines personnes, ça appartient à ma personnalité et je peux vraiment oublier le reste en faisant cette musique. Et surtout, ça me permet aussi de vivre ma créativité, mais autrement.

Les métalleux ne se foutent pas de toi ?

Non, pas tellement. Bien sûr qu’il y a des blagues, car les milieux sont tout à fait différents et la plupart de celles et de ceux qui appartiennent à la scène métal ne s’intéressent pas vraiment à l’art contemporain. En tout, je n’ai jamais eu de réactions entièrement négatives. Par contre, des dialogues très intéressants s’installent de temps en temps et peuvent même mener à des conclusions assez intéressantes.


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