ART (UN PEU) ENGAGÉ: La couleur sans l’odeur

En analysant un billet de banque, on trouve toute une variété de substances. On en oublierait que ce qui compte, c’est le nombre de zéros.

« Non olet », l’argent n’a pas d’odeur, à ce qu’on dit. Voilà sans doute pourquoi le centre de recherche sur la communication italien Fabrica, financé par la société Benetton, avait choisi d’aborder le sujet à travers « les couleurs » dans le numéro de février 2008 de son magazine. L’exposition « Colors of Money », au Carré Rotondes, reprend la photographie, le texte et le graphisme du magazine et les transpose dans une série d’installations d’art, afin d’obtenir « un itinéraire tout aussi pertinent du contenu que ludique par la forme ». L’objectif étant de « rendre accessible au grand public, aux professionnels de la finance et aux jeunes un sujet considéré comme étant hermétique », lit-on dans le dossier de presse.

Clairement, le pari d’informer les visiteurs tout en les divertissant a été tenu. L’argent, sujet a priori embarrassant ou rébarbatif, est abordé sous des angles suscitant l’intérêt et l’étonnement. On apprendra ainsi, grâce à une douzaine de portraits géants suspendus dans l’espace d’exposition, qui sont les hommes et les femmes représenté-e-s sur les billets de banque mongols ou suédois. Ou que les dents en or sont considérées comme une sorte de compte d’épargne dans de nombreuses régions du monde. Stupéfaction aussi en contemplant l’encombrant argent-pierre de l’île de Yap … et les étiquettes de prix affectées aux différentes parties du corps, s’appuyant sur des tarifs d’assurance et des transactions dans les pays riches.

Loin d’être de l’art pour l’art, « Colors of Money » s’engage dans le sens d’un altermondialisme bien-pensant. Ainsi elle présente l’« Ithaca Hour », une monnaie locale dans l’Etat de New York ainsi que le deal entre le Venezuela et Cuba, ce dernier envoyant des médecins à son pays frère en échange de pétrole à bas prix. Et bien sûr, une place de choix est réservé à Mohammad Yunus, « l’inventeur du microcrédit » et grand conciliateur entre le capitalisme et la lutte contre la pauvreté. On ne sera alors pas surpris de trouver, sur le panneau « Sueur », un éloge des banques qui sont « entrées » dans la micro-finance … ainsi qu’une collecte miniature. Peut-être un clin d’oeil aux partisans des micro-solutions aux macro-problèmes ?

Certains de ces problèmes sont également abordés, avec des panneaux expliquant l’étalon-or et les subprime … pour les nuls. Cette approche bric-à-brac, gênante sur certains éléments de l’exposition, fonctionne à merveille avec le montage vidéo « Local Money Visions », une série d’interviews de résident-e-s luxembourgeois-es, avec des enfants, des femmes de la rue, des banquiers et même l’un ou l’autre interlocuteur critique.

Cela mérite d’être relevé, car l’intention déclarée de l’exposition était de mettre des gants en traitant de la finance en général et de la place luxembourgeoise en particulier : « N’ayez crainte, il n’y aura ni périple larmoyant à travers les dérives du capitalisme, ni attaque frontale à la bonne ou mauvaise conscience des épargnants de toute l’Europe atterrissant au Luxembourg», lit-on dans un des textes de présentation. Ainsi, « Colors of Money », tout en affichant une orientation progressiste et une volonté d’analyse en profondeur, reste à la surface des choses. Pourtant, la crise actuelle ébranle profondément la pseudo-science économique et le mythe de la supériorité du système capitaliste. Surtout, la lumière qu’elle jette sur la financiarisation de l’économie nous rappelle que, sous des dehors brillants de mille couleurs, la réalité de l’argent a bien une odeur, celle d’une mécanique déshumanisante qui produit inégalités, oppression et misère.

Carré Rotondes, jusqu’au 1er novembre


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