LITTERATURE ESPAGNOLE: « Ces jours bleus et ce soleil de l’enfance »

Parmi les exilés qui n’ont pas eu l’occasion de retourner en Espagne se trouve le poète Antonio Machado, décédé à Collioure le 22 février 1939, quelques jours après avoir traversé la frontière. Le professeur de littérature espagnole de l’université de Saragosse, José-Carlos Mainer donne des détails sur son sort et son art.

ANTONIO MACHADO
Poète espagnol, né en 1875 et mort en 1939. Il fut un membre du mouvement littéraire connu sous le nom de génération de 98. Ses textes mélancoliques et intimistes racontent son amour de la terre mais aussi les tragédies qui le frappèrent de son vivant, comme la mort de sa jeune femme Leonor. Il fut en contact avec des contemporains illustres, notamment le poète français Paul Verlaine.

woxx : Comment se sont déroulés les derniers jours d’Antonio Machado?

José-Carlos Mainer : Ils ont été aussi dramatiques qu’exemplaires. Je pense que Machado a accepté le destin de son peuple vaincu sans être un militant, en partant de son libéralisme radical et en surmontant son profond nihilisme philosophique, par pure volonté de sacrifice. Cet ultime vers écrit sur un bout de papier trouvé dans la poche de son manteau m’émouvra toujours: « Ces jours bleus et ce soleil de l’enfance ». Nous ne saurons jamais s’il pensait aux jours bleus mais froids du mois de février 1939, sur la côte française, ou simplement au souvenir toujours présent de son enfance à Séville. Il continuait inévitablement à dialoguer avec « l’homme qui m’accompagne toujours », c’est-à-dire avec lui-même.

Quel héritage nous a-t-il laissé dans les domaines politique, philosophique et littéraire ?

Dans le domaine politique, la cohérence et le désir de comprendre et de raisonner ; dans le domaine philosophique, Machado représente comme très peu l’agonie de l’idéalisme de souche kantienne, une certaine méfiance envers l’intimisme émotif de Bergson et, en fin de compte et par-dessus tout, l’expérience du nihilisme qu’il partage avec le philosophe et auteur espagnol Baroja. Dans le domaine littéraire, certaines parties de sa poétique sont très vivantes, au-delà même de certains vers que nous pouvons ne pas aimer. Entre autres, je souligne la fonction de la mémoire émotionnelle comme mécanisme qui organise le poème, le sens prodigieux de la suspension et de l’ellipse ainsi que de nombreuses idées sur la poésie en tant qu’incarnation de la sensibilité collective.

Que pensez-vous des écrivains des Brigades internationales ?

Je pense que, malgré les simplifications et les erreurs du `compromis‘ comme devise générationnelle des années trente, la présence d’écrivains dans la guerre d’Espagne et du côté des républicains est une leçon de générosité admirable. On ne peut pas se sentir fier d’une guerre civile, mais il est évident aussi que dans les campagnes de notre pays ont été écrites de très belles pages d’un rêve international de liberté, ainsi que des pages terribles. Je ne veux pas oublier ces dernières, mais je ne peux pas accepter non plus de voir prendre le dessus cette image de la guerre `ethnique‘ qu’a représenté dès 1969 la malheureuse dédicace de « San Camilo 1936 » de Cela, « Aux enrôlés de la classe de 1937 », qui exclut expressément « les aventuriers étrangers, fascistes et marxistes, qui ont tué des Espagnols comme des lapins du matin au soir et auxquels personne n’avait donné voix à ce chapitre qui a été notre propre enterrement ». Malheureusement, l’opinion de la `nouvelle bibliographie` qui a commencé à se développer dans les années quatre-vingt-dix, sous l’égide intentionnée du régime d’Aznar et du désir de revanche de la hiérarchie de l’église catholique, suit cette voie et les Vidal et les Moa, qui incarnent le courant révisionniste, ont beaucoup de lecteurs.


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