JOËL AND ETHAN COEN: « Der mensch trakht un gott lakht »

« A serious man », le dernier film des frères Coen est probablement leur oeuvre la plus personnelle. A travers les mésaventures d’un professeur de physique quadragénaire, ils abordent l’identité de la communauté juive américaine dans cette comédie noire et philosophique.

Quand le monde entier se conspire contre vous, difficile de garder la tête claire : Michael Stuhlbarg dans
« A Serious Man ».

Larry Gopnik fait son possible pour être un homme responsable et digne de respect. En yiddisch: un « Mensch ». Mais comment tenir son cap lorsqu’il faut naviguer à vue à travers une tempête d’emmerdes et d’incertitudes ? Son frère dépressif, non content de squatter son fauteuil depuis des mois est peut-être un délinquant sexuel, ses enfants se désintéressent de lui et sa femme s’apprête à le quitter. Quant à la titularisation tant espérée au sein de l’université dans laquelle il donne des cours de phy-sique quantique, elle se trouve remise en question par d’inquiétantes lettres anonymes.

Dans leur précédent film, « Burn after Reading », Joël et Ethan Coen nous avaient dépeint, sous des dehors faussement légers et frivoles, une galerie de personnages médiocres et méprisables, animés par l’appât du gain, la soif de reconnaissance et cette quête – si contemporaine – d’une existence hors du commun. « A Serious Man » en est l’exact opposé. D’abord parce que nous n’avons pas à faire avec un protagoniste qui essaierait de s’élever indûment au-dessus de sa condition. Il l’assume au contraire et s’efforce simplement de suivre le cours impondérable d’une destinée ordinaire, si possible en faisant de bons choix. Ensuite parce que l’empathie des frères pour leur si banal héros est évidente. Ce n’est pas pour rien que « A Serious Man » a été décrit plusieurs fois, comme leur film le plus personnel et autobiographique.

L’oeuvre des frères Coen se distingue par cette curiosité et cette fascination pour l’Amérique profonde. Il n’y a carrément pas d’autres réalisateurs américains qui aient si délibérément choisi de trimbaler leur caméra aux quatre coins des Etats-Unis, du Minnesota (Fargo) au Sud profond (O’Brother) et de Los Angeles (The Big Lebowski) à New York (Le Grand Saut) en passant par le Texas (No Country for Old Men). Pourtant cette fois-ci, ils ont choisi de situer leur histoire dans les lieux et l’époque de leur adolescence, un foyer juif dans une banlieue résidentielle du Midwest, dans les années 1960. Et si l’on précise que l’action du film est censée se dérouler en 1967, l’on comprend qu’à travers cette évocation actualisée de Job, c’est plus largement sur les questionnements de la communauté juive américaine que se penchent les deux cinéastes.

1967, c’est l’année de la Guerre des Six Jours, ce conflit qui amena les membres des communautés juives de la diaspora à s’interroger de nouveau sur leur identité. D’abord parce qu’elles avaient cru en la possibilité d’un second holocauste, ensuite parce que la victoire éclair de l’armée israélienne et en particulier la prise de Jérusalem Est furent interprêtés comme le signe du renouvellement de l’Alliance – y compris par les laïcs. Or, si les questions de l’assimilation et de la gentrification dans la communauté américaine, de la survie d’une identité juive – et même ashkénaze – dans le melting pot étatsunien ne sont pas abordées de front, c’est parce qu’elles sous-tendent, qu’elles imbibent littéralement le scénario. Voyez vous même : Larry Gopnik est un scientifique qui doit recourir aux lumières de trois rabbins pour trouver une issue à ses tracas, sa femme voulant divorcer mais en accord avec les rituels religieux, son fils prépare sa bar mitzvah en fumant des joints et en écoutant du rock et sa fille lui pique des sous pour se débarasser en clinique de son nez.

Si, fidèles à eux-mêmes, les Coen manient l’humour noir et le sens de la dérision et ils le font au service d’une parabole pessimiste dont la fin ouverte révèle toute la complexité.

A l’Utopolis, au Starlight et au CinéBelval.


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