MARCO BELLOCCHIO: Chemises noires pour nuits blanches

Dans son nouveau film « Vincere », Marco Bellocchio raconte l’histoire méconnue de la femme cachée du dictateur Benito Mussolini. Une romance nerveuse d’un formalisme époustouflant.

Une passion commune pour les choses pas communes : Ida Dalser et Mussolini en prototypes du fascisme italien.

A la veille de la Première Guerre mondiale, Ida Dalser tombe sous le charme de Benito Mussolini. Subjuguée par le charisme et la fougue du jeune leader socialiste, elle n’hésite pas à vendre ses biens pour financer sa carrière politique. Ils se marient et de leur union naît Benito Albino, le premier fils du futur dictateur. Seulement ce dernier a déjà une femme dans sa vie, Rachele Guidi, son amie d’enfance, qui lui a donné une fille. Répudiée, Ida n’aura de cesse de vouloir faire reconnaître ses droits ainsi que ceux de son enfant. Afin de faire taire cette irrédentiste qui sape l’image du Duce, le pouvoir fasciste naissant la fait disparaître dans un asile psychiatrique.

Une femme belle et amoureuse, trahie par le père de son enfant et sacrifiée au nom de la raison d’Etat. Ida Dasler, effacée par la marche implacable de l’histoire : son destin réunit tous les ingrédients qui font les grands mélodrames. Autant prévenir tout de suite ceux qui s’attendent à cela – et qui y ont éventuellement été encouragés par la bande annonce – qu’ils risquent d’être déçus. Car le film de Marco Bellocchio n’est pas une tragique histoire d’amour livrée clé en main mais une passion nerveuse et dérangeante, qui commence dans l’affrontement politique et se termine dans la fosse commune.

Il n’y a rien de lisse dans l’Ida Dasler que nous dépeint le réalisateur italien. Ce qui l’attire chez Mussolini, c’est l’énergie brute qui se dégage de lui, ce sont ses poses viriles, son jusqu’au-boutisme, son pouvoir de séduction sur les auditoires et la capacité qu’elle soupçonne en lui de renverser violemment l’ancien monde. Elle l’aime intégralement, le veut intégralement pour elle et tout comme lui et ses squadristi, elle n’est prête à accepter aucun compromis, faisant sienne leur credo : la victoire ou la mort. Cela signera non seulement son arrêt de mort mais également celui de son fils.

Cette disposition d’esprit peut expliquer le titre d’un film – « Vincere » – qui nous amène bien au-delà du simple drame personnel. Ce que semble vouloir démontrer l’artiste engagé qu’est Bellocchio, c’est que le pouvoir de séduction de Mussolini entraîna dans l’abîme cette femme qui le vénérait, tout comme ces millions d’Italiens qui furent prêts à le suivre. Une thèse qu’il illustre en déployant toute sa virtuosité formelle, jouant habilement avec les images d’archives et les codes de la propagande des années 1910 à 1930.

De ce point de vue, les trente premières minutes sont les plus riches, les plus intenses – mais aussi les plus troublantes. Bellocchio y met en scène la passion initiale, l’attraction qu’exerce Mussolini sur Ida, en recourant délibérément à l’esthétique du cinéma fasciste et de l’art futuriste. Les scènes d’amour crues et intenses ainsi celles de combats de rue reproduisent cette image de vitalité et de masculinité qu’aimaient donner d’eux-mêmes les chemises noires et leur leader incontesté. Leur force est intensifiée par le sifflement des locomotives, le mouvement des rotatives et les mélodies expressionnistes martelées sur un piano incandescent.

L’une d’elles est particulièrement importante. Ida et Benito se retrouvent une nuit dans un parc brumeux de Milan. Alors qu’il lui dit tout son dégoût pour une existence qui serait vécue dans la médiocrité, l’on voit apparaître, à l’arrière plan, la marche de soldats casqués, sortis tout droit d’une affiche de la Guerre mondiale. Les troupes ne sont pas encore levées, sauf dans deux esprits tout à coup unis par un rêve morbide de grandeur…

« Vincere », à l’Utopia.


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