ASGHAR FARHADI: Un regard persan

Une mise en scène inspirée, une interprétation sublime. « About Elly » ne se contente pas de nous plonger dans la complexité de la société iranienne. Il s’agit d’une oeuvre cinématographique magistrale, qui a valu à Asghar Farhadi l’Ours d’argent du meilleur réalisateur lors de la Berlinale 2009.

A travers le film, la mer devient une métaphore qui régit la société – pas seulement celle de l’Iran.

Un groupe d’amis part passer le weekend sur les bords de la mer Caspienne. Soudés depuis leurs années d’études à la faculté de droit de Téhéran, ils comptent bien passer du bon temps ensemble et laisser les enfants se défouler. Mais Sepideh, qui s’est chargée d’organiser le séjour, a encore une autre idée en tête : trouver une fiancée iranienne à Ahmad, un ami qui revient à peine d’Allemagne, où il vient de vivre un divorce éprouvant. C’est pourquoi elle a conviée Elly, l’institutrice de sa fille, à se joindre à eux. La quasi-inconnue est fort appréciée ; elle est discrète et aimable. Pourtant elle semble avoir quelques zones d’ombres, que ses hôtes ne perçoivent pas d’emblée. Tout particulièremment Sepideh qui, toute à sa tâche d’entremetteuse, n’hésite pas à la brusquer gentiment. Le drame éclate lorsqu’Elly disparaît. A-t-elle été avalée par les flots, en tentant de sauver l’un des enfants de la noyade ?

Le premier mérite de ce film est de nous donner une image plus complexe de l’Iran que celle que diffusent régulièrement les médias de ce côté-ci du conflit des civilisations. Ce sont d’abord les ressemblances qui frappent ; ces files de voitures sur la route des vacances, les tentes fluos au bord des cours d’eau, les réflexes d’étudiants attardés de ces personnages issus des classes moyennes, leurs vêtements? Dans sa première partie, « About Elly » fait penser au cinéma italien des années 1960 et 70 qui, ne fut-ce qu’à l’arrière-plan, montrait un pays en pleine mutation, sa modernisation et sa transformation en société de consommation.

Bien sûr, dès le début il y a le voile. Mais les femmes que nous voyons ne sont pas simplement les esclaves dociles d’hommes barbus et arriérés. Ces bourgeois sont tout aussi naturellement attirés par le modèle occidental qu’ils restent attachés aux conventions – comme l’illustre le personnage d’Ahmad, qui a vécu en Europe puis en est revenu, à tout point de vue. Ce sont ces contradictions de la société iranienne qui font ce vaudeville cauchemardesque, avec ses quiproquos et son fiancé trahi. Le placard à amants est simplement remplacé par la chambre froide de la morgue. Mais peut-être aurait-on tort de n’y voir que cela.

Car que nous dit la mise en scène ? Asghar Farhadi filme les eaux de la mer Caspienne de front, comme un adversaire – mais un adversaire inégal et infini, face auquel les personnages se retrouvent complètement démunis. Réduits à l’impuissance, ils finissent par s’empêtrer dans un tissu de mensonges puérils et pitoyables. L’on peut y voir une métaphore du régime actuel qui tente d’étouffer et d`infantiliser la société. D’un autre côté, l’on constate que la caméra semble coller aux émotions. Qu’à partir de la disparition d’Elly, l’image s’assombrit et, surtout, devient plus floue. Tout devient plus difficile à distinguer et le désarroi laisse tout à coup émerger l’égoïsme, la mesquinerie, la médiocrité, en un mot, l’individualité de chacun des personnages. Ce ne sont ni la peur de la police, ni même celle du qu’en-dira-t-on, qui les pousse à agir comme ils le font, mais un besoin de retrouver un calme et des habitudes qui ont été troublés par quelqu’un que, finalement, personne ne connaissait vraiment.

Si le scénario part d’une situation particulière à l’Iran, il aborde ensuite des sentiments profondément humains et absolument universels, illustrant la vivacité et la sophistication de la culture iranienne.

À la Cinémathèque.

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