LIVRE POLITIQUE: Ce prince n’était pas le bon sujet

Dans „L’Aube, le Soir ou la Nuit“ la dramaturge Yasmina Reza retrace la campagne qui mena Nicolas Sarkozy à la présidence. Attendu comme l’évènement de la rentrée littéraire, le silence est retombé sur ce qui n’est que la chronique d’une rencontre ratée.

Bien avant sa sortie, ce livre était férocement critiqué. Il ne pouvait être que l’avatar littéraire de cette sarkomania qui s’étend à tous les domaines de la sphère publique française. Ecrit par une femme de surcroît, donc doublement suspect. Car comment s’imaginer que cette icône du parisianisme, que l’on dit aussi brillante que frivole, puisse résister à son charme, lui, l’homme politique sur la voie du triomphe ?

Son approche parut d’autant plus suspecte lorsque des bruits commencèrent à circuler au sujet du fameux „G“, auquel le livre est dédié. Décrit comme un homme politique de premier plan, candidat infortuné à la candidature, „G“ serait à l’origine même du livre puisque, selon l’hebdomadaire français „Le Point“, c’est afin de mieux le saisir que Yasmina Reza aurait souhaité suivre Nicolas Sarkozy. Finalement, Matthew Campbell, correspondant du Sunday Times à Paris, vendit la mêche en révélant que „G“ n’était autre que Dominique Strauss-Kahn dont le second prénom est Gaston.

Quelques semaines plus tard le sujet semble tari. Ce qui est d’abord lié au caractère artificiel d’un débat uniquement nourri d’a priori et de rumeurs – après tout, qu’importe qu’on parle de ce livre en bien ou en mal, tant qu’on parle. Tel fut le calcul d’un auteur et d’une maison d’édition (Flammarion) qui, jusqu’au bout, en gardèrent le contenu secret. Ce qui est dû au fait que ce livre est raté sans être exécrable. Il est raté comme le sont certaines rencontres dont en attendait tant.

Si l’on se place en aval du projet, l’on peut tout à fait comprendre l’inflation enthousiasmante des ambitions croisées. Celle d’un éditeur, qui se réjouit que l’homme politique le plus ambitieux et le plus polarisateur du moment devienne le sujet de la dramaturge française vivante la plus jouée à l’étranger. Celle d’un écrivain qui, par la force de son art (forcément) et non de la froide analyse, souhaite saisir l’essence du prince. Celle du prince enfin qui, flatté par la notoriété de l’écrivain, se voit déjà transmué par l’immortalité de l‘?uvre littéraire. Chacun se sentant grandi par l’image de l’autre. Mais le prince ne fut pas un bon sujet.

Yasmina Reza, a eu, dans les rares interviews qu’elle a accordées depuis la sortie du livre, plusieurs fois l’occasion de dire qu’elle ressentait une certaine tendresse pour Nicolas Sarkozy. Une tendresse qu’elle tente d’exprimer dans son livre en quelques vaines tournures maternantes, qui ne parviennent pas à donner du relief à un portrait sans surprises.

Nerveux – à l’occasion d’une intervention d’André Glucksman : „il est de plus en plus affaissé dans son fauteuil, le haut du corps configuré pour la patience, les jambes affolées, s’écartant et se resserrant dans un mouvement perpétuel.“

Egoïste : „Les lieux, les gens, les circonstances, peu importe, il tisse sa propre étoffe, sa trame de fer, ses revers, ses coutures étranglées. Sa grande armure de comédie.“

Féroce – abordant les problèmes du système de santé lors de la préparation au débat face à Ségolène Royale : „J’en parle vous n’êtes pas contente. Je crée une recette pour la sécurité, vous n’êtes pas contente, vous n’êtes jamais contente, pauvre conne ! Dites-moi où vous trouvez l’argent ? J’ai un de mes proches qui est devenu sourd, son prénom est Jacques, il faut bien qu’on lui trouve de l’argent pour son sonotone !“

Plus l’on avance dans le livre, plus l’on a l’impression de se trouver face au journal d’une déception que Yasmina Reza n’ose avouer. Chez l’auteur, qui au début semble transportée par la griserie du témoin de l’histoire en marche, c’est la lassitude qui finit par l’emporter. Au bout de 180 pages, elle abandonne au lecteur la description incomplète d’un homme anhistorique, semblant uniquement préoccupé par l’ici et le maintenant, virtuose dans un monde où les hommes sont des événements et les événements des saisons. Un personnage étrangement monodimensionnel, que le mot ne saurait saisir, tant il est fait pour l’image.

Vers le début du livre, Yasmina Reza évoque cette mise en garde du journaliste et écrivain Eric Neuhoff : „Ne faites pas ça Yasmina, ils sont plus forts que nous.“ Ce à quoi celle-ci oppose : „Lorsque nous nous quittons, je repense à cette phrase et au mot fort. Pour être menacé par quelqu’un, il faut se trouver en compétition avec lui.“ Ou peut-être suffit-il de s’aventurer imprudemment sur son terrain. Un peu plus loin l’écrivain accompagne le candidat à un grand meeting à Saint-Etienne. Alors le candidat se penche vers l’écrivain. „Regarde, dit-il, tu as fait cinq ans à Londres, deux ans à New York, mais à Saint-Etienne tu n’es rien !“


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