ALAIN TSHINZA: Yo, Luxembourg Raps !

Le Luxembourg rappe-t-il ? Question pertinente à laquelle le réalisateur et musicien Alain Tshinza a trouvé plus d’une réponse étonnante qu’il nous présente dans « Hamilius ».

Point de rencontre et de départ de la scène hip hop au Luxembourg: le centre Hamilius.

« Notre problème principal étaient les thèmes. Si tu es au Luxembourg, tu ne peux pas vraiment rapper sur la misère des Noirs dans les ghettos des grandes villes nord-américaines », explique à la caméra Sloggy, un des protagonistes de la première vague hip hop grand-ducale, ex-commerçant de vinyles et pionnier dans bien d’autres matières. Quand il découvre vers la fin des années 70 les disques de Grandmaster Flash et autres précurseurs du hip hop, c’est pour lui une révélation : « C’était en fait une vraie révolution, un peu comme le punk et le post-punk quelques années plus tôt ». Mais il était loin d’être le seul à s’enticher de cette nouvelle musique venue tout droit du coeur du Bronx.

Les premiers pas ont été entamés par des groupes de break-dancers. Pour les profanes : le break-dance fait partie de la sainte trinité du hip hop – à côté du graffiti et bien sûr de la musique. C’est la danse de la rue qui se pratique un peu partout en zone urbaine. Une danse qui vient des ghettos et qui aujourd’hui se pratique dans toutes les bonnes écoles de danse au même titre que le ballet. Au Luxembourg, ce fut le centre Hamilius – le sous-sol pour être exact – qui devint le lieu de prédilection des amoureux du hip hop. En un petit laps de temps, de vraies formations de break-dance émergent de la scène et se produisent dans des discothèques ou lors de thés dansants? C’est que le hip hop luxembourgeois à ses débuts était muet, car le grand-duché est aussi une sorte de Babylone pour rappeurs. En effet, dans quelle langue vaut-il mieux s’exprimer ? La réponse a dû attendre le début des années 90 avec la – courte – carrière de Mike MC. Ce jeune homme s’exprimait en anglais et démontrait en même temps toute la pauvreté du hip hop luxo : à part quelques « Move to the Beat » et autres injonctions surtout dédiées à un public féminin, ses textes étaient tout à fait vierges de sens.

Il aura fallu que les immigrés s’en mêlent pour que le rap made in Luxembourg devienne enfin porteur d’un message critique et dirigé contre la société. Les débuts se sont faits dans les studios de la radio communautaire Ara – où une première émission hip hop a vu le jour vers la fin du dernier millénaire. Petit à petit, une communauté s’est créée autour de cette émission et des rappeurs passaient dans le studio pour faire des sessions en live sur l’antenne et aussi hors antenne. « Je savais que c’était contre les règlements internes de la radio d’y enregistrer des morceaux non diffusés par la suite. Mais en même temps, ce fut la seule possibilité pour ces jeunes gens de s’exprimer et de faire circuler leur musique », raconte Guy Antony, responsable de radio Ara. Par ces enregistrements « pirates » qui sont distribués ensuite sur des cassettes audio – les fameux « Mixtapes » – le rap luxembourgeois continue sa longue marche et gagne en adhérents. De la petite centaine qui se donnait rendez-vous régulièrement dans les sous-sols de « l’Aldringer », le mouvement s’est sérieusement développé .

De nos jours, le hip hop luxembourgeois est parfaitement organisé. Plusieurs langues sont utilisées, comme l’anglais, le français, le portugais et le luxembourgeois et les scènes se sont réparties entre le Nord et le Sud du pays.

Avec « Hamilius », Alain Tshinza réalise un double exploit : d’abord parce qu’il se montre en parfait chroniqueur de la scène hip hop au Luxembourg en s’adonnant à un travail de mémoire important. Autre point fort du film : il n’est pas réservé aux inconditionnels du genre. Mais surtout, il donne enfin un visage à la société multiculturelle qu’est notre pays et c’est cela son plus grand mérite. Oui, le Luxembourg rappe?

A l’Utopolis.


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