MUSIQUE: « Je suis devenue plus prudente »

Claudine Muno, depuis une bonne décennie une des artistes les plus prolifiques du pays, vient de présenter son nouvel album « Noctambul », enregistré avec les Luna Boots.

woxx : Après une dizaine d’années de présence dans la scène artistique, comment vis-tu ton image publique ?

Claudine Muno : Pas très bien. C’est pourquoi je préfère l’ignorer. Pour moi, avoir une image publique, correspond plutôt au côté négatif de l’existence d’artiste. L’idéal serait de pouvoir créer sans toujours devoir mettre mon nom en-dessous et de voir ma photo un peu partout.

N’as-tu jamais pensé à travailler sous un pseudonyme ?

Si, j’y ai pensé. Mais, vu que je travaille depuis dix ans sous mon vrai nom, c’est difficile de changer. Et peut-être même ne serait-ce pas vraiment sérieux. Et puis, le Luxembourg est tellement petit et le bouche-à-oreille tellement puissant que le secret ne ferait pas long feu. Mais, c’est vrai que cela aurait été une bonne idée. Au moment où nous avons signé notre contrat en Belgique, je pensais sérieusement à ne prendre que le nom du groupe sans le mien. Mais c’était trop tard. Ainsi, j’essaie de faire ce que j’ai à faire, c’est-à-dire d’écrire quand je veux écrire et de faire de la musique quand je veux en faire. Pour le reste, je n’ai pas trop envie de me montrer partout.

Y a-t-il une grande différence entre l’écrivaine et la musicienne ?

Quand j’écris je suis toute seule et je prends mes décisions que je dois aussi assumer. Tandis qu’avec le groupe, les choses se font en collectif.

Même si c’est toi qui écris les chansons ?

Oui, j’écris les chansons et je fais même des arrangements chez moi sur mon ordinateur. Pourtant, cela ne veut pas dire que le groupe ne soit pas impliqué. Si je joue une ligne de piano chez moi et que je l’amène, notre pianiste l’interprêtera à sa façon. La même chose vaut pour les lignes de guitare. Ainsi, les choses se mélangent – c’est un pot-pourri de personnalités différentes qui s’expriment sur mes compositions. Alors que l’écriture, c’est vraiment une histoire solitaire.

Et plus proche de toi ?

C’est surtout plus difficile et éprouvant. Pour la bonne et simple raison que je manque alors toujours de feedback direct. Donc, le risque de se tromper dans ce qu’on veut faire est beaucoup plus grand. Tandis que dans le groupe, il y a toujours cinq ou six personnes à pouvoir me dire `Stop ! Cela ne fonctionnera pas comme ça‘. Par contre, en écrivant il peut t’arriver que tu sois complètement immergé dans une matière pendant des mois et des mois et un jour tu en viens à te demander dans quel film tu étais et tu fous tout à la poubelle.

Cela t’est déjà arrivé de jeter des manuscrits ?

A chaque fois même. Et toujours juste avant la publication du livre. A ce moment là je n’ai pas envie de le donner à l’éditeur ou à l’imprimeur. Je pense que c’est un mécanisme qui s’est installé petit à petit. Avant chaque livre, je me mets à le détester et pour compenser cela je me dis qu’il faudra écrire quelque chose de beaucoup mieux. Car, avec les bouquins, la critique arrive toujours après coup.

Est-ce que la critique t’importe ?

Cela dépend. Il y a toujours des gens qui me disent ne pas lire ou ne pas supporter mes livres. Je ne sais d’ailleurs pas si tel est vraiment le cas. Ce n’est jamais facile de se faire critiquer, mais tout dépend aussi du ton de celui qui émet la critique. Une fois, j’étais allée voir Roger Manderscheid, pour une interview. Et il m’a donné une analyse complète de mon dernier livre à ce moment-là. Il m’a montré point par point les choses qui ne lui plaisaient pas ou celles que je n’avais pas vraiment réussies à son avis. Et c’était une sorte de critique avec laquelle je n’ai aucun problème.

C’était aussi une critique technique?

Absolument. En fait, je pense que toutes les critiques devraient être techniques? enfin pour moi. Car ce sont les seules qui me permettent d’avancer dans mon travail. En effet, si tout le monde acclame ce que tu fais, ça ne t’aide pas vraiment. Je sais toujours qu’il y a des choses dans ce que je fais qui ne sont pas bonnes. Par contre, ce que je ne supporte vraiment pas, c’est les attaques personnelles, les gens qui déchirent des choses juste pour le plaisir de les déchirer. Si je tombe sur des critiques pareilles, je préfère qu’elles parlent de la musique – c’est plus simple à supporter, car cela implique encore une partie d’autres personnes avec lesquelles on peut partager.

Pour revenir à la musique, sur « Noctambul » tu joues plus souvent du piano que sur les disques précédents. Est-ce un hasard ?

Je pensais plutôt que `Noctambul‘ était plus porté sur les guitares et l’ancien disque plus sur le piano.
Mais cela se peut bien que moi j’en joue plus cette fois-ci. Car, cela ne fait que trois ans que je joue du piano et toujours un peu en dilettante. Donc, j’en joue plus sur cet album, même s’il y en a moins que sur le précédent.

Est-ce que ta façon de composer a changé depuis que tu joues du piano ?

J’ai toujours rêvé d’en posséder un. Malheureusement, mes parents n’avaient ni la place, ni les moyens de nous en procurer un. Alors quand – il y a trois ans – une copine à moi a vendu le sien, j’ai sauté sur l’occasion. Et depuis cette époque je l’utilise pour composer – même si cela n’a pas trop changé mon approche.

Avec les Luna Boots, tu as aussi composé la bande originale pour le film « La Régate » (voir article agenda p. 16). Comment cette collaboration est-elle née ?

En fait, c’est grâce à Claude Waringo, le co-producteur luxembourgeois du film. Notre premier disque Songs of Faith, Death and Love traînait toujours sur son bureau, et tandis qu’il cherchait de la musique pour illustrer le film en compagnie du réalisateur Bernard Bellefroid, ils sont tombés sur `Strange Bird‘ qui leur plaisait énormément. Surtout au réalisateur, qui voulait quelque chose de similaire pour son film.
Son idée était de faire contraster ma musique avec les moments durs et introspectifs – afin de suggérer une présence maternelle, ou plutôt l’absence de celle-ci, car la mère du garçon n’apparaît jamais dans le film. Et c’est ainsi que les Luna Boots se sont mis à écrire une bande originale pour ce film.

Connaissais-tu les images sur lesquelles la musique allait être montée ?

Oui, même s’il a fallu reprendre plusieurs fois jusqu’à ce que le réalisateur soit satisfait. C’est surtout une affaire d’une extrême précision. Je me rappelle qu’au studio – où nous avons fait les enregistrements définitifs – c’était très difficile de trouver le bon moment pour lâcher mon piano. Les mesures en musique ne se laissent pas traduire tel quel sur des images. La musique de film est décidément un genre auquel j’aimerais revenir à l’avenir.

Dans d’autres disciplines tu chômes un peu, comme pour le théâtre. Est-ce que l’envie d’en faire n’est plus là ?

Non, je ne pense pas que j’en referai de sitôt. Même si on vient de me contacter pour un projet, je n’en ai plus envie. On ne peut pas tout faire dans la vie. D’autant plus que le théâtre ne me passionne pas autant que la musique par exemple. Et on ne devrait faire ce qui déclenche vraiment une passion. Je ne me sens tout simplement pas à la hauteur pour faire quelque chose de nouveau dans le monde théâtral.

Et l’écriture journalistique ne te manque pas ?

En fait, oui. Surtout parce que pour les deux ou trois articles que j’ai écrit depuis mon passage au woxx, j’ai éprouvé des difficultés énormes. J’ai vraiment perdu la routine, ce que je regrette beaucoup. Ce que j’ai aimé avant tout dans ce métier, c’est que j’étais forcée de m’occuper de plein de choses différentes. Même si le temps me manquait parfois d’aller au fond des sujets. Mais maintenant, j’ai l’impression de vivre dans une bulle, de ne plus être au courant des choses. J’ai déjà raté plein de trucs intéressants à cause de ça.

En général, es-tu satisfaite de ce que tu as atteint aujourd’hui ?

C’est très difficile de répondre à cette question. La plupart du temps, je pense que non. Mais bon, je ne suis pas du genre à planifier longtemps à l’avance. Il y a des gens qui prennent leur temps pour faire des projets, tandis que moi, je suis plutôt quelqu’un qui pense en faisant les choses. Même si je suis devenue plus prudente. J’ai commencé très jeune et à l’époque je ne me posais pas tellement de questions sur mes capacités – ce qui n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. Je me mets beaucoup plus en question.

As-tu l’impression de produire des choses plus noires et déprimantes au fil des ans ?

C’est vrai que le nouveau CD est plutôt en mode mineur, tant du côté musical qu’en ce qui concerne les textes. J’avais remarqué qu’avec « Petites Chansons Méchantes » – notre précédent album qui s’est fait un peu à la va-vite – on s’était acquis une image plus légère et drôle. Mais c’est quelque chose qui ne me ressemble pas – ni au reste du groupe d’ailleurs – et qui m’a choqué un peu. Vu que je n’écoute jamais de musique drôle, il m’est difficile de composer des chansons allant dans cette direction. Moi, j’aime bien la musique triste, et cela correspond parfaitement à mon caractère. Et je n’aurais aucun problème à enregistrer un album entier de chansons déprimantes et lentes.


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