FONCTIONNAIRES: Sévices publics

Alors que les scrutateurs dépouillent consciencieusement les bulletins électoraux pour le renouvellement de la Chambre des fonctionnaires et des employés publics, le gouvernement soumet un grand nombre de réformes à la négociation.

20.000 bulletins à dépouiller par une douzaine de fonctionnaires. Qui dit qu’ils se la coulent douce?

Il fallait s’y attendre : les résultats des élections pour la Chambre des fonctionnaires ne seront connus, sauf imprévu, que le jeudi en fin d’après-midi ou début de soirée. Chic, c’est le moment où les pages du woxx sont imprimées. Re-chic, on s’attelle tout de même à ce sujet. Mais bon, le problème n’est pas dramatique. Nous osons même cette prédiction, parce que nous sommes fous et audacieux : la Confédération générale de la fonction publique (CGFP) et ses syndicats affiliés ont de grandes chances de remporter la quasi-totalité des sièges. De mauvaises langues, et pas uniquement l’Apess, le syndicat des enseignants du secondaire et du supérieur indépendant, vous diront que les dés sont truqués, que la CGFP utiliserait illégalement les fichiers de la fonction publique pour faire sa propagande électorale. Et malgré le fait qu’un bon nombre de fonctionnaires non affiliés affirment avoir reçu cette propagande, ni le ministère de tutelle, ni la Commission nationale de protection des données n’y voient quoi que ce soit à redire. Honni soit qui mal y pense. Ce genre de tracas pourrait pourtant être évité si tous les syndicats en lice recevaient du gouvernement un jeu d’étiquettes, le même, afin d’informer à armes égales leurs électeurs.

En tout cas, la petite visite ce mardi au ministère de la fonction publique où une bonne douzaine de fonctionnaires s’affairaient à décompter les plus de 20.000 bulletins retournés (sur les 32.000 envoyés), ne nous a pas laissé de grandes illusions. En donnant des petits coups d’oeil par-ci, par-là, nous avons pu constater que les tas de bulletins dépouillés présentaient en tout cas tous une petite croix sur les listes du syndicat dominant. Pour rappel, lors des dernières élections, en mars 2005, la CGFP et ses syndicats sectoriels avaient remporté 24 sièges sur 26, les deux restants étant allés à l’Apess et à la FNCTTFEL. Et cette dernière, particulièrement bien implantée auprès des fonctionnaires et employés communaux, surtout dans la capitale, devrait garder son mandat, malgré la concurrence renouvelée de l’OGBL qui présente également une liste dans cette catégorie. Il semble que le désaccord entre les deux syndicats frères sur la marche à suivre concernant les chargés d’éducation continue de les diviser.

Quoi qu’il en soit, cette chambre aura du pain sur la planche dans les années à venir. Le gouvernement prépare en effet un grand nombre de réformes, dont certaines sont particulièrement sensibles. Le document de base du gouvernement concernant les négociations avec la CGFP, que nous nous sommes procuré, à l’instar de nos confrères du « Journal » qui y ont consacré un article dans leur édition de mercredi, donne un aperçu sur l’ampleur des changements envisagés. Evidemment, la discussion sur l’abaissement des rémunérations de début, évoquées par François Biltgen, alors président du CSV, pendant la dernière campagne électorale, continue à faire des remous. Ce n’est pas un pur hasard si ce dernier a hérité du portefeuille de la fonction publique au sein du nouveau gouvernement. Le problème évoqué par le gouvernement est que d’un côté, les salaires de départ seraient trop élevés et croîtraient trop vite et que de l’autre côté, les traitements de la haute fonction publique seraient bien en deçà des salaires perçus dans le secteur privé. Le tout ? rabaissement des traitements de départ et hausse des traitements d’arrivée ? devrait se réaliser dans la neutralité budgétaire, c’est-à-dire que cela n’aurait aucune répercussion sur les finances publiques. Or, les syndicats déplorent que cette thèse gouvernementale ne soit pas documentée.

La tendance, et ce n’est pas nouveau, est en tout cas aux économies. D’autres exemples en témoignent. Affirmant que « dans le cadre de la réforme de la structure des traitements, il y a lieu d’adapter le statut aux exigences d’une fonction publique moderne et performante », le document prévoit également une « réforme du stage ». Une réforme qu’un gouvernement précédent, vers la fin des années 80, avait déjà tenté, mais qui avait échoué face à la résistance syndicale. Ces derniers redoutent en effet que le « plan d’insertion professionnelle » prévu dans les « mesures immédiates » du document n’aboutisse à une forme d’« apprentissage » avec à la clé, sur une période de deux ans, un traitement sensiblement réduit, transformant les stagiaires ainsi en proto-fonctionnaires bon marché.

Economies masquées

Mais les mesures d’épargne pourraient aussi se réaliser à d’autres niveaux. Ainsi, dans le cadre de la « professionnalisation de la gestion des ressources humaines », que le document affuble de l’abréviation GRH, un « mécanisme d’appréciation » sur trois niveaux est prévu : l’auto-évaluation, le supérieur hiérarchique et une commission spéciale paritaire, présidée par un médiateur (fonction que le gouvernement entend créer) et composée de l’Etat et du syndicat nationalement représentatif. « Qualité du travail », « assiduité », « valeur personnelle » et « atteinte des objectifs » sont les quatre critères selon lesquels les agents devraient être jugés au rythme de 18 mois. Au bout de cette appréciation, c’est la carotte et le bâton : en fonction d’une des quatre mentions que l’agent pourra obtenir (allant de « très bien » à « insuffisant »), il verra son avancement soit progresser de six mois au maximum, soit reculer de trois mois pour chaque appréciation insuffisante. Là aussi, les syndicats ont des doutes, car ils craignent une dérive subjective de l’appréciation et une détérioration du climat de travail.

Le problème avec la fonction publique luxembourgeoise, c’est qu’elle se retrouve souvent coincée entre deux écueils : d’un côté un corporatisme obtus, de l’autre, une logique d’« amélioration » néolibérale qui prend exemple sur le secteur privé. Or, il devrait être possible de réfléchir à d’autres pistes qui pourraient améliorer le service aux citoyens sans en altérer le caractère public. L’imperfection ? inévitable ? du service public a trop souvent servi d’argument à son démantèlement et la focalisation sur les traitements jugés trop élevés masque le problème des difficultés que rencontrent un nombre croissant de salarié-e-s dans le secteur privé. A propos d’épargne : d’un côté le gouvernement propose l’introduction du principe du « lifelong learning » qui permettrait à un agent de profiter d’une dispense de 10 à 20 pour cent sans réduction de salaire pour suivre une formation, mais également la création d’un compte-épargne temps. La question en suspens est celle de savoir dans quelle mesure les deux principes pourraient se croiser.

Le document contient d’autres propositions sensibles. Exemple : « la possibilité de décharger, sur base de décision motivée, certains titulaires occupant des postes à responsabilité particulière, lorsque les conditions nécessaires à l’exercice de leurs fonctions ne sont plus remplies ou qu’il existe un désaccord fondamental par rapport à la politique générale du gouvernement ». Ce passage sent fortement l’interdiction de service pour des motifs politiques. La formulation « certains titulaires occupant des postes à responsabilité » est en effet assez floue car elle pourrait s’appliquer aussi bien au directeur administratif qu’au simple chef de bureau. Au niveau de la carrière supérieure, cela pourrait revenir à mélanger le rôle des « conseillers », qui est évidemment politique et qui dépend des ministres et celui des directeurs administratifs qui doivent veiller à l’exécution des tâches. En tout état de cause, l’imprécision de la formulation de cette proposition n’est pas rassurante. Et risquerait de provoquer des « désaccords profonds avec la politique générale du gouvernement ».


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