SCANDAR COPTI/YARON SHANI: Pas de réveil

« Ajami », film hautement annobli par la presse et les jurys internationaux, fait un pari dangereux : Comment faire un film sur Israël et les Palestiniens sans causer politique ?

Quand la pauvreté frappe votre famille de plein coeur, la violence n’est jamais loin.

Ajami, quartier défavorisé de la ville de Jaffa est un véritable melting pot : Israéliens, arabes israéliens, Palestiniens illégaux et chrétiens arabes y cohabitent, pas toujours de façon très pacifique. Mais l’arrière-fond de leurs différences n’est jamais politique, ni religieux – il s’agit de conflits sociaux, plutôt normaux pour un quartier précaire et voué à l’abandon par les autorités. Ainsi, c’est le quartier qui prend le rôle principal du film : c’est dans le confinement de ses murs et de ses rues que se lient et délient les trames des tragédies que nous allons vivre dans le film.

D’abord il y a Omar, jeune arabe israélien, qui bosse dans la cuisine d’un restaurant appartenant à Abu Elias, un chrétien. Omar se retrouve – contre son gré – dans une situation digne d’un drame grec : Parce que son oncle a abattu, à ce qu’il paraît dans un acte de défense légitime, un Bédouin qui lui réclamait de l’argent de « protection », le clan de ce dernier décide de se venger – pas seulement sur l’oncle, mais toute la famille. Malheureusement, ils confondent Omar avec son petit voisin de quinze ans et l’abattent à bout portant en pleine rue. Même si Abu Elias, qui jouit de bonnes relations avec toutes les communautés, parvient à marchander un cessez-le-feu de quelques jours, le prix en est exorbitant et Omar, pour sauver sa famille, doit prendre le chemin de l’illégalité.

Mais il n’est pas le seul à souffrir de ces conditions : il y a aussi Malek, un jeune Palestinien en situation illégale à Jaffa et collègue d’Omar, qui tente de gagner assez d’argent pour sauver sa mère souffrante d’un cancer. Lui-aussi a du mal à repousser la tentation criminelle. Normal, il a sa vie devant lui, mais s’il veut sauver sa mère il doit s’endetter corps et âme envers Abu Elias, c’est-à-dire renoncer à tout.

Du côté israélien, les choses ne vont pas mieux. On y croise Dando, un flic téméraire, père de famille et obsédé par la disparition de son jeune frère soldat. A travers son quotidien morose et ponctué par l’absence de son frère, ses journées brutales de service dans un quartier pauvre, et ses méthodes souvent violentes et expéditives, on entrevoit un sujet soumis à une presssion insoutenable – qui le conduit droit à l’erreur.

« Ajami » est étonnant de plus d’un point de vue. Si dans le film, les destins s’entrecroisent et qu’il n’y a pas de personnage qui se superpose à d’autres, pas d’héros ou antihéros protagoniste, c’est qu’ils sont tous soumis à la loi du quartier. Ce qui a des conséquences aussi sur le plan formel : à la façon de « Magnolia », l’histoire n’est pas racontée de façon linéaire mais différentes scènes reviennent toujours sous des angles qu’on ne connaissait pas, montrant ainsi la complexité de la réalité et les dangers d’une utilisation univoque d’images. Et à l’instar du cinéma de Tarantino, le film est divisé en chapitres.

Pourtant, en fin de compte, « Ajami » est plus proche d’un « City of God », film brésilien mettant en scène la misère des favelas de Rio de Janeiro. Pour une bonne et simple raison : « Ajami » met le doigt dans la plaie et dans la bonne. Au lieu de se préoccuper des sempiternels conflits militaires ou religieux, qui ne sont malheureusement pas secondaires, il montre les gens tels qu’ils vivent la situation, il montre que les différences humaines entre les différentes communautés ne sont pas insurmontables. Certes, les personnages du film s’identifient toujours à travers leur appartenance religieuse, mais celle-ci n’influe jamais sur leurs actions. Finalement, « Ajami » démontre une bonne fois pour toutes que tout conflit religieux est corrélatif à un conflit social – qu’il faudrait résoudre davantage. Surtout parce qu’une solution aux conflits religieux, cela fait plus de 2.000 ans qu’on la cherche.

« Ajami », à l’Utopia.


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