MARC DUGAIN: Un Staline ordinaire

En mettant en scène son propre roman « Une exécution ordinaire », Marc Dugain tombe dans le piège le plus voyant de l’adaptation littéraire : personnages vidés de toute substance et scénario boîtant derrière l’univers romanesque.

La Belle et la Bête, version 1953…

La vie au cours des derniers mois du règne de Joseph Staline n’a sûrement pas été de tout repos. Si les grandes purges d’avant-guerre n’étaient plus d’actualité, le régime totalitaire et voué à la personnalité de Staline avait repris de plus belle après la victoire des Alliés et la terreur dans l’entourage du leader soviétique atteignait son apogée. Soumis à un dictateur paranoïaque et confus, les proches de Staline ainsi que les membres de l’appareil ont dû se faire à l’idée d’une vie en permanence sur la sellette. A chaque instant et pour n’importe quelle raison la sentence de la disgrâce pouvait tomber. Les conséquences : torture, emprisonnement, déportation en Sibérie ou exécution sommaire – tout un menu pour s’assurer que personne ne songe même à interroger l’autorité suprême de celui qui avait pris les rênes du pays en 1924, l’année de la mort de Lénine.

Ce mode de vie mortifiant frappe aussi de plein fouet le couple d’Anna et de Vassili. Habitants de Moscou, bien placés – lui brillant physicien, elle médecin dans un grand hôpital – leurs vies vont tout simplement se décomposer à partir du moment où Staline jette son dévolu sur eux. Ou plutôt sur Anna, car c’est elle l’objet de la convoitise du dictateur en fin de règne – le film commençant à l’automne 1952, quelques mois avant la mort de Staline. Sa faute : être plus brillante que les autres médecins de son hôpital, ce qui crée des jalousies parmi ses collègues et les pousse à faire des rapports malveillants sur elle. Dans leurs dénonciations, ils évoquent aussi une pratique théoriquement proscrite en URSS, mais qu’Anna exerce à merveille – le soulagement des douleurs, voire même la disparition totale des maladies par? magnétisme.

Et c’est exactement là où le film de Marc Dugain commence à basculer vers le roman à l’eau de rose. Certes, le sort que le dictateur réserve à Vassili n’est pas vraiment enviable – par peur que son intérêt pour ces pratiques considérées par lui-même comme obscurantistes ne s’ébruite, Staline le fait arrêter et torturer. Mais la relation improbable entre la belle jeune femme et le monstre mourant ne prend pas vraiment. Tour à tour séducteur ou tyran imprévisible, le « petit père des peuples » ne se démystifie jamais vraiment et reste inatteignable. Entre deux anecdotes sur son cheminement politique, il glisse des détails d’un rapport sur la torture infligée à son mari, laissant à Anna vaguement le temps de s’essouffler. Car son personnage souffre aussi de la volonté absolue de Dugain de transformer son roman en film. Ainsi, la vie quotidienne d’Anna devient une improbable course poursuite entre les sollicitations de Staline, qui peut la faire venir à n’importe quelle heure, les railleries de ses collègues à l’hôpital moscovite et l’appartement de son couple désormais vide. En d’autres mots : subir et surtout survivre à une telle pression pendant des mois entiers est totalement irréaliste.

Pourtant, accuser les acteurs d’avoir coulé « Une exécution ordinaire » serait faux. Cela vaut avant tout pour André Dussollier qui brille dans son rôle de dictateur cynique, assujetti à sa paranoïa et tissant complot après complot, de peur d’en être victime à son tour. C’est le corset romanesque que l’écrivain-réalisateur fait porter à ses acteurs qui gâche le film. Néanmoins, on peut lui accorder un mérite historique : avoir évoqué l’antisémitisme qui plombait les dernières années du stalinisme. En effet, cette spécificité du règne de Staline était longtemps passé aux oubliettes. Mais pour le reste, on peut vraiment passer à côté de ce film sans rater grand chose.

A l’Utopia.


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