EXPO SHANGHAI 2010: Chine éternelle, Chine durable ?

Qui cherche des recettes toutes faites pour un développement durable à l’Expo de Shanghai risque d’être déçu. Pourtant, au vu des multiples expérimentations se déroulant en Chine, le bilan n’est pas tout noir.

Bruits de circulation assourdissants, soleil de printemps assommant. Le parc Jing’an avec son petit lac promet d’offrir un peu de fraîcheur en ce dimanche de mai. Et une forme de quiétude typiquement chinoise : le bourdonnement des promeneurs, le gazouillis des oiseaux, la musique de danse au loin parviennent à faire oublier les bruits de la métropole. La terrasse qui s’étend le long de l’eau aligne quelques tables protégées par des parasols et qui ne restent jamais longtemps inoccupées. Sur le ponton d’en face, un homme en costume du dimanche, sac en papier à la main, se met à chantonner par-dessus le lac, au bénéfice de la nature, des passants, de lui-même… Une meilleure ville, une meilleure vie, c’est le slogan de l’Exposition universelle qui vient d’ouvrir ses portes. Qu’est-ce qu’une vie meilleure ? Et si la réponse était à chercher du côté de ces Shanghaïen-ne-s profitant de leur jour férié d’une manière qui ne génère de problèmes ni écologiques ni économiques ?

« Activer ses sens. C’est cela la `meilleure vie‘, et non pas gagner beaucoup d’argent et s’ennuyer à mort dans des centres commerciaux. » Lors de la conférence de presse présentant la participation luxembourgeoise, François Valentiny, l’architecte du pavillon, exprime une idée semblable. Pourtant, en cette semaine d’ouverture de l’Expo, la vie des Européen-ne-s venu-e-s à Shanghai célébrer la « Better City » ne se déroule pas dans les parcs chinois mais dans les hôtels et restaurants occidentalisés. Ainsi, le soir de l’ouverture, la « Benelux Chamber of Commerce in China » avait invité sur la terrasse d’un restaurant sélect au bord du Huangpu. Grand écran diffusant en direct la cérémonie d’ouverture – mais sans le son, et sans que personne ne regarde. Ah si, maintenant que le président parle, quelques Chinois rassemblés au coin du comptoir regardent. Il est vrai que les hôtes occidentaux sont surtout venus pour le « networking ». Et que pour eux, même sans le son, le spectacle ouvrant l’Expo suinte le kitsch. Quant au rapport avec le sujet du développement durable, ne cherchez même pas.

C’est que, au-delà des slogans, les Expositions universelles sont supposées rapporter un bénéfice sur le plan économique, comme l’explique ouvertement le ministre de l’économie Jeannot Krecké. Cela est très apparent du côté du pavillon américain : entièrement financé par des acteurs privés, il a été aménagé surtout pour accueillir les VIP lors de réceptions organisées par ces mêmes acteurs.

VIP et vanités

Aucun pavillon ne néglige d’ailleurs la promotion économique, que ce soit en accueillant les bras ouverts des personnalités importantes comme les journalistes étranger-ère-s ou en mettant en valeur ses produits d’exportation et ses attraits touristiques. En visitant le pavillon autrichien, on peut ainsi s’amuser à balancer des boules de neige sur des cibles virtuelles. Les fleurs et les poissons qui s’écartent sous vos pieds sont tout aussi virtuels… et donc indestructibles. En considérant les dégâts quotidiennement infligés à l’environnement et à la biodiversité, ce show prend une tournure involontairement ironique.

Quant au pavillon espagnol, mis à part son toit organique et recylable en rotin, il est entièrement consacré à la promotion de l’Ibérie, avec une authentique danseuse de flamenco. Pour le reste, des projections sur écrans gigantesques plutôt réussies célébrant le monde d’hier, d’aujourd’hui et de demain. A la sortie, un bébé mécanique haut de six mètres est supposé symboliser l’avenir de l’humanité. Là encore, sa mine sur le point d’éclater en pleurs, combiné à son artificialité irritante, inspire le doute.

Côté architecture, le pavillon luxembourgeois ne démérite pas non plus. Les matériaux – acier et bois – sont recyclables, et, mis à part le VIP lounge au premier étage, une habile ventilation par le sous-sol a permis de se passer de climatisation… la validité de l’approche restant à vérifier en plein été. A l’inverse, le pavillon allemand mise sur son contenu pour faire passer un message écolo, même si son architecture « mur en béton » doit – paraît-il – suggérer l’interpénétration de la ville et de son environnement. Les conceptions et l’expérience allemandes en matière de planification urbaine sont présentées de manière exhaustive, tout en tentant de se montrer pédagogique. Ainsi on peut y observer une hôtesse d’accueil chinoise expliquant à un groupe les avantages du car-sharing. Sachant que la possession d’une voiture reste un des symboles de l’ascension sociale pour les Chinois-es lambda, on ne peut que lui souhaiter beaucoup de courage.

C’est la Chine qui bien entendu s’est réservé le plus grand et le plus beau pavillon, mais qu’en est-il du contenu ? Le film montré dans un grand amphithéâtre n’augure rien de bon : rubans rouges, visages souriants, tragédie du Sichuan, aide efficace des secouristes et des militaires – tous les clichés de la construction du socialisme sont repris, pour finir avec un gros plan sur un visage de bébé bien radieux. Dans le grand hall, le sujet « Better city, better life » retrouve ses droits : nature au milieu, présentations animées de technologies vertes alentour. Les transports en commun sont valorisés, tout en consacrant une « vitrine » aux « zero emission cars », ces voitures électroniques qui suscitent un engouement en Chine comme ailleurs. Or, ces prototypes servent surtout à entretenir l’illusion que, grâce à de nouvelles technologies, le modèle de mobilité individuelle occidental pourrait être rendu compatible avec la protection du climat.

Toujours plus vert

Ce même discours se retrouve aussi du côté des politiciens luxembourgeois interrogés sur les perspectives du développement durable de la Chine. « Si bientôt plus de la moitié du PIB mondial est produit par les pays d’Asie, il faut accepter que la consommation de ces populations augmente en conséquence », constate Robert Goebbels, commissaire du pavillon. Pour ensuite vanter la manière dont la Chine aborde les problèmes de CO2, en construisant des barrages et des centrales nucléaires, « options honnies en Europe ». Et Jennot Krecké de souligner que des entreprises luxembourgeoises comme Paul Wurth, Arcelor-Mittal et Cargolux, à travers leurs innovations, contribuent énormément à freiner la croissance des émissions de gaz à effet de serre. Le problème, c’est que ces gains d’efficacité permettent tout au plus un ralentissement de l’augmentation de la quantité de CO2 mondialement émis, alors qu’il faudrait que celles-ci se mettent à baisser substantiellement durant les décennies à venir.

Un autre sujet de débat parmi les visiteur-se-s est la manière dont la Chine gère son renouvellement urbain. Typiquement, des entrepreneurs et politiciens comme François Valentiny et Robert Goebbels se réjouissent de la vitesse à laquelle avancent les projets de construction, alors que la plupart des journalistes et des touristes pleurent à chaudes larmes la disparition des « vieux quartiers ». « A Shanghai, on a maintenant compris que l’éradication de ces quartiers pose des problèmes », estime Marc Schmit, architecte luxembourgeois actif en Allemagne et en Chine. Mais les opérations de réhabilitation du bâti conduisent en général à remplacer les logements par des galleries et des commerces : « Vu le peu de surface habitable, personne n’est prêt à rénover ces logements tels quels. » Et une rénovation coûteuse serait indispensable selon lui : « J’explique à mes visiteurs choqués par les démolitions quelles sont les conditions de vie dans ces quartiers, par exemple qu’il y a des rats partout, et pas de canalisation. » D’ailleurs, il semblerait que la plupart des affrontements si médiatisés entre expulsés et promoteurs ne portent pas sur le principe des expropriations, mais sur le montant des indemnisations : si celles-ci suffisent pour s’acheter un nouveau logement plus confortable, la majorité des expulsés estimeront avoir gagné au change.

Comme les relogements se font en général dans les nouveaux quartiers de la périphérie, il importe de mettre à disposition des habitant-e-s des transports en commun. Le développement du métro de Shanghai est à cet égard exemplaire : 12 lignes, 268 stations, 420 kilomètres de rails et une moyenne journalière de passager-ère-s de quatre millions. Notons aussi que le fonctionnement sans accroc de la « Shanghai Public Transportation Card » fait apparaître le Luxembourg et son système « E-go » comme un pays en voie de développement. Pour l’Expo, un court tronçon de la future ligne 13 a été mis en service, et les possesseurs d’un billet d’entrée y circulent gratuitement – ce qui, pour le moment, ne semble pas attirer les foules. Ainsi, le soir du 4 mai, la délégation média luxembourgeoise s’est retrouvée toute seule dans la rame allant vers la station « Avenue de l’Expo ». Et a été surprise, une fois arrivée au terminus, de se retrouver nez à nez avec une foule chinoise s’engouffrant dans les wagons afin de quitter l’expo. C’est que les Occidentaux, infime minorité dans le flot des visiteur-se-s durant la journée, réaffirment leur présence le soir quand ont lieu les événements spéciaux, tels ce dîner offert au pavillon luxembourgeois par Robert Goebbels.

Cette autre Shanghai, croisée dans le métro, on la retrouve aussi en arrivant dans la partie nord de la rue Changping, là où se trouvent les locaux de « Playze », le bureau d’architecte de Marc Schmit. Trottoirs délabrés, nombreux passants vêtus simplement, petits commerces – on est loin des quartiers chics. Et puis cette odeur, mélange typique de sauce de soja et de gaz d’échappement, de poubelles qui débordent et de toilettes publiques, que respirent au quotidien 19,9 millions de Shanghaïen-ne-s.
« Nous avons consciemment choisi un tel quartier », raconte Schmit, « nous voulions nous imprégner de la manière de vivre des gens. »

La Chine, côté cour

En effet, si le bureau « Playze », qu’il gère avec un partenaire suisse et un autre chinois, est présent en Chine, ce n’est pas seulement pour des projets de prestige. « Bientôt chaque ville de province aura sa salle d’opéra », ironise Schmit. « Le véritable défi pour les architectes occidentaux, c’est la construction de logements adaptés au contexte chinois. » La manière de construire actuelle ne va pas du tout dans le sens du développement durable, explique Schmit : « Il y a une clim dans chaque pièce. De plus, en hiver, quand l’administration bloque le chauffage central pour faire des économies, les gens chauffent avec les appareils de climatisation. C’est complètement dingue du point de vue du bilan énergétique. » Le problème, c’est que cela ne gêne pas les investisseurs, qui cherchent à construire le moins cher et à vendre le plus cher possible sur les parcelles qu’ils ont pu acquérir.

« Nos études et nos expériences européennes ne nous ont pas préparés à la situation ici », admet l’architecte luxembourgeois. Ainsi on a abandonné dès les années 70 la construction de tours de HLM, avec leur densité d’habitation élevée et leur potentiel de conflits sociaux. « En Chine, cette densité pose moins de problèmes », constate Schmit, « et les besoins en matière de nouveaux logements sont énormes. » Les maîtres-mots sont la croissance et le progrès, et cela se ressent quand on visite l’Expo. « Au lieu de juxtaposer ces pavillons d’exposition nationaux, on aurait dû faire venir les meilleurs planificateurs de mobilité, des ingénieurs en écotechnologies, et construire une ville modèle… », se met à rêver
Schmit. Il faut dire qu’un tel projet a existé, la fameuse écocité de Dongtan et qu’il a été abandonné discrètement (woxx 1056).

Ainsi, l’approche reste celle d’une croissance qu’on essaye ensuite de rendre plus efficace, voire de freiner : construire des autoroutes, promouvoir les voitures économes, limiter le nombre de véhicules en circulation… plutôt que d’aménager les villes de manière à réduire les besoins en mobilité individuelle. L’approche par suffisance (« Suffizienz ») n’est pas plus populaire en Extrême-Orient qu’en Occident.

Marc Schmit n’est pas pessimiste pour autant : « Les Chinois s’adaptent très facilement, ils intègrent en permanence les expériences passées. » Il cite en exemple l’amélioration continuelle des normes de construction, les exigences croissantes en matière de sécurité et d’hygiène, la prise en compte progressive de l’importance de l’espace public dans la planification urbaine. Schmit compte sur l’effet d’entraînement de projets ayant du succès. « Nous recherchons des partenaires ouverts à de telles idées. La manière de penser chinoise conçoit les choses comme un processus permanent, dans la perspective d’une adaptation et d’une amélioration progressives. Une fois que des projets de type développement durable seront réalisés, un changement de cap pourra se produire très rapidement. »

 

GÉOPOLITIQUE
Le dessous des pavillons

(RK) – Les Expositions universelles, comme les Jeux olympiques, n’ont rien à voir avec la politique, c’est entendu. Néanmoins, la façon dont s’affichent certains pavillons attire l’attention des observateur-trice-s internationaux-ales. Ainsi, après qu’ils aient longtemps envisagé une non-participation, c’est désormais sur la forme de la participation des Etats-Unis que la presse outre-Atlantique se déchire. En effet, il semblerait que le pavillon en question – entièrement financé par le sponsoring – soit très cher, très commercial, et très « cheap » au niveau du contenu : « Rather than experience a USA pavilion that exhibits American ingenuity, creativity, and accomplishment, I saw a pavilion that represents an America that spends too much time watching TV », lit-on par exemple sur le site Shanghaiscrap.
Il est vrai que les Européen-ne-s n’ont pas de leçons à donner, puisqu’ils n’ont même pas fait le geste symbolique d’être présent-e-s avec un pavillon à part entière. L’Union européenne est sous-locataire du pavillon belge, et sa prestation est aussi rudimentaire que celle des Etats-Unis, président charismatique en moins. Autre localisation se prêtant aux interprétations, celle du pavillon iranien, placé à côté du libanais et surtout… du nord-coréen.
Enfin, les subtilités de la politique extrême-orientale sont mises en évidence dans le voisinage immédiat du grand pavillon rouge de la République populaire. A sa droite, on trouve les pavillons de Macao et de Hongkong, et à distance égale à sa gauche celui de Taïwan, en principe considéré comme province dissidente par Pékin. Considérant la déclaration récente du président taïwanais Ma Ying-jeou de ne pas faire appel aux Etats-Unis pour défendre son île contre une annexion, on peut y voir l’annonce d’une réunification – plus ou moins volontaire – dans un avenir proche. Mais les initié-e-s auront relevé que, au contraire des pavillons des deux « régions administratives spéciales », celui de Taïwan est séparé du grand édifice rouge par une large rue.


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