Réforme des pensions : Libéralisation rampante

Le débat d’orientation à la Chambre a longtemps tourné autour du pot. L’intervention ministérielle a permis de mettre en perspective les propositions avancées pour une réforme des pension – perspective sombre !

Vivre plus longtemps pour se consacrer aux loisirs, ce n’est plus tenable. Selon l’arithmétique du docteur Di Bartolomeo, chaque heure supplémentaire passée au boulodrome devra être gagnée à l’usine.

« Un sujet difficile, compliqué, mais passionnant », c’est ainsi que la députée LSAP Lydia Mutsch a introduit le débat d’orientation sur la réforme du système de pensions, mercredi dernier à la Chambre. La difficulté du sujet explique sans doute le flou dans lequel Mutsch a ensuite enveloppé son diagnostic et ses propositions : les faits seraient clairs, mais il ne faudrait pas trop se fier aux pronostics à long terme, les départs à la retraite seraient trop précoces, mais les emplois des seniors seraient difficiles à maintenir …

En fait, mis à part quelques « petites phrases » d’autres intervenants, il a fallu attendre la fin du débat pour entendre une prise de position tranchée, celle du ministre de la Sécurité sociale Mars Di Bartolomeo : « Puisque l’espérance de vie augmente d’un mois par an, il faut aussi travailler un mois plus longtemps. » En effet, si le temps durant lequel les gens touchent leurs pensions s’allongeait sans qu’ils ne travaillent plus longtemps, le niveau de la pension devrait baisser. La réforme tiendrait compte de cette « évidence arithmétique » en introduisant un « automatisme » liant l’espérance de vie et l’âge de la retraite.

Souvent, dans les discussions complexes, les arguments les plus percutants sont basés sur une simplification abusive. Celui du ministre ne fait pas exception. La stabilité du système de pensions et le niveau des prestations dépendent de multiples facteurs. Certains sont difficiles à contrôler, comme la productivité du travail et le taux de chômage, qui pourtant peuvent changer l’équation du tout au tout. D’autres sont déterminés par des choix et des rapports de force politiques, comme la manière de répartir les prélèvements et la part du PIB consacrée aux retraites. Enfin, dans le contexte de l’allongement de la vie active, le chiffre de l’espérance de vie habituellement donné, celui à la naissance, n’est pas une notion pertinente. En effet, son amélioration provient aussi de la baisse de la mortalité infantile, qui n’influe pas sur l’équilibre entre générations. D’un point de vue arithmétique, il faut tenir compte de l’espérance de vie aux environs de 60 ans, qui augmente nettement moins rapidement. Enfin, d’un point de vue humain, c’est l’espérance de vie en bonne santé à cet âge-là qu’il convient de considérer. A défaut, un allongement de la vie active reviendrait à un raccourcissement net du temps pendant lequel on peut vraiment « profiter » de sa pension.

Erreur de calcul

Notons que si le raisonnement de Di Bartolomeo ne tient pas debout, le chiffre qu’il a donné est à peu près exact : chaque année, nous gagnons un mois d’espérance de vie en bonne santé à 65 ans. Il semble raisonnable de proposer qu’au moins une partie de ce gain soit consacrée à un allongement de l’activité professionnelle.

A l’image de la plupart des intervenant-e-s du débat, le ministre a également évoqué le problème du rejet des seniors par le marché du travail, accentué par la situation de crise et d’augmentation du chômage. Pour conclure qu’il ne convenait pas d’augmenter l’âge de la retraite dans la situation actuelle. Mais qui lui dit que le jour où l’« automatisme » planifié obligera les gens à travailler plus longtemps, cette situation se sera améliorée ?

En célébrant le consensus sur cet allongement différé de la vie active – une exigence à l’origine formulée par les néolibéraux – Di Bartolomeo feint d’ignorer le positionnement du député « Déi Lénk » André Hoffmann : celui-ci avait rappelé que les gains de productivité pourraient contribuer substantiellement au financement des retraites, à condition de les redistribuer du côté du travail et non de celui du capital. Hoffmann a aussi émis le soupçon que le débat sur l’augmentation de l’âge de la retraite servirait surtout à imposer une baisse de facto des prestations. Exiger des assurés des carrières plus longues conduirait selon lui à multiplier les carrières incomplètes. Le ministre a confirmé les pires craintes en annonçant que ceux qui se refuseraient à l’« évidence arithmétique » devraient en assumer les conséquences : une décote de leurs pensions.

En faisant de l’augmentation de l’âge de la retraite son cheval de bataille, Mars Di Bartolomeo semble croire qu’il pourra sauver le système de pensions en évitant d’autres sujets délicats comme le niveau des cotisations, celui des prestations, et la question de la justice sociale. Or, d’une part, son équation est faussée, et l’allongement seul ne résoudra rien. D’autre part, si l’opposition face à cette approche néolibérale est ultra-minoritaire à la Chambre, l’argumentation d’Hoffmann ressemble fortement à celle de l’OGBL, syndicat proche du LSAP … et majoritaire dans le pays.

Risque de désolidarisation

Le véritable affrontement sur la réforme des pensions aura sans doute lieu entre les partenaires sociaux, vu les positions antagonistes publiées par l’Union de entreprises luxembourgeoises et par la Chambre des salariés. Sur le terrain de l’appréciation générale du système de pensions luxembourgeois, Mars Di Bartolomeo s’est habilement positionné entre les deux camps. D’un côté, il a affirmé que les conditions offertes par le système actuel pouvaient être pérennisées en adoptant des réformes pour stabiliser son financement. De l’autre, il a mis en garde contre une mauvaise interprétation de la fonction du fonds de réserve : « Ces montants considérables ne résoudront pas les problèmes futurs, mais il nous permettront d’amortir le choc. »

Le grand tabou du débat à la Chambre a été la question de la baisse des prestations. Seul l’ADR et « Déi Lénk » semblent refuser de telles mesures, les autres intervenant-e-s insistant lourdement sur le fait qu’il ne fallait pas toucher aux « petites pensions ». En d’autres mots : à partir d’un certain niveau, les prestations pourront baisser. Quant aux promesses de pension acquises à ce jour, qui resteraient soi-disant intactes, leur valeur risque d’être rapidement érodée par le simple jeu de l’inflation. Or, seuls les Verts ont explicitement évoqué une telle baisse. Felix Braz après avoir dénoncé le « système pyramidal à la Madoff » que constituerait le mode de financement actuel, a critiqué le fait que le système public finance des pensions loin au-dessus du salaire moyen. Pour rajouter prudemment que le plafonnement actuel des cotisations et des prestations, situé à cinq salaires minimum, était « probablement trop élevé ».

L’idée de « sortir » du système public une partie de l’assurance-vieillesse des personnes à revenus confortables est sans doute justifiée du point de vue social, a fortiori dans un système fortement fiscalisé comme le nôtre. Mais ce type de mesure comporte toujours un risque de désolidarisation, et il faudra veiller à ne pas trop baisser le plafonnement. Ce qui est bien moins social, c’est l’idée de renforcer les incitations fiscales en faveur des pensions complémentaires privées. ADR et « Déi Lénk » mis à part, l’ensemble des partis semble s’engager dans cette voie de redistribution du bas vers le haut. Et comme ces pensions complémentaires sont basées sur la capitalisation, ce type de mesure ébranle d’autant la confiance dans le système par répartition. Ce n’est pas en ménageant ainsi la chèvre et le chou qu’on arrivera à préserver le système public de la voracité des assureurs privés.


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