CONTE DE FEES : VOYAGE GRAND-DUCAL: Henri s’en va à l’autre bout du monde

En quête d’argent et de sucre « qui fait rouler les voitures », le Grand-Duc d’un petit pays très riche s’en va vers l’autre monde, là où le soleil brille toujours.

« Cette machine qui aide à produire le sucre sort certainement tout droit des Enfers ! », se dit le ministre
Jean Le Bon.

Il était une fois un pays du vieux continent que l’on appelait Luxembourg. Ce pays était très petit, mais il était aussi très riche, car ses habitants travaillaient beaucoup et étaient très intelligents. Passés maîtres dans l’art de l’alchimie, ils savaient multiplier l’argent comme Jésus le pain. Ce doux pays était dirigé par Henri, que Dieu avait fait Grand-Duc. C’était évidemment bien moins qu’un Roi ou qu’un Empereur, mais la tâche était bien plus agréable. Dieu lui avait d’ailleurs dit :« Tu seras Grand-Duc, Henri, c’est moins qu’un Roi, mais tu seras plus riche que ton oncle Albert, le tourmenté Roi des Belges. »

Mais voilà, comme les Luxembourgeois sont très riches, ils roulent beaucoup avec leurs grosses voitures, qui sont nourries avec beaucoup d’or noir liquide. Et cet or noir qui sort tout droit des enfers, bientôt la terre n’en aura plus. En plus, ce liquide nauséabond dégage une fumée encore plus dégoûtante qui étouffe de plus en plus les habitants du Grand-Duché. Le Grand-Duc, qui est bon, grand et blond, se dit qu’il faut agir, qu’il ne peut pas laisser son peuple vivre sous cette menace. Heureusement, un jour de grâce, un émissaire de l’Empereur du vieux continent lui apporte conseil : « Monseigneur », lui dit-il, « il existe un pays très lointain, où le soleil brille toujours et qui se nomme Brésil et dont les alchimistes sont capables de faire rouler leurs voitures avec du sucre. Pour l’an 2020, l’Empire appelle tous ses royaumes et républiques à nourrir ses voitures et machines avec un dixième de ces produits de la nature que Dieu nous offre. » « Quel miracle ! », se dit le Grand-Duc, « il faut aller voir ce pays ! »

L’or noir se fait rare

Mais d’autres tourments menacent le petit Grand-Duché. Riche il l’est, mais pour combien de temps ? Les machines à fabriquer de l’argent fonctionnent toujours, mais d’autres Rois et Présidents, d’autres royaumes et républiques, jalousent la richesse du petit Grand-Duché et imaginent mille plans et sortilèges pour mettre fin à ces merveilleuses machines à fabriquer l’argent. Le Grand-Duc n’en dort pas, des cauchemars le torturent durant son majestueux sommeil. Un jour de grâce, les chefs des guildes des machines à fabriquer l’argent lui rendent visite : « Monseigneur », lui disent-ils, « il existe un pays très lointain, où le soleil brille toujours et qui se nomme Chili. Dans ce pays, l’affreux sorcier Augusto avait remis la gestion des épargnes de retraites des vieilles gens aux guildes de marchands. Une bonne partie de cet argent se trouve déjà chez nous Sire, mais ils peuvent nous en donner bien plus ! » – « Alors, nous irons quérir cette manne divine ! », ordonne le Grand-Duc.

Sitôt dit, sitôt fait. Le Grand-Duc fait venir à lui ses ministres Jean Le Bon et Jeannot Le Fort et leur fait part de ses plans : « Jeannot, tu es fort et sévère. C’est toi qui dois ramener l’argent au Grand-Duché et tu as la confiance des chefs des guildes de marchands. Tu m’accompagneras dans ces lointains pays ! Jean, tu es bon et aimable, tous les Rois et Présidents sont tes amis. Tu m’accompagneras également dans ce long voyage et feras de nouveaux amis au Grand-Duché ! » Mais comme les habitants de ces pays lointains ne parlent pas la même langue, il appelle sa femme, la Grande-Duchesse, une femme d’une grande beauté et née dans une île lointaine où le soleil brille toujours. Mais parce que l’ogre rouge Castro chassa toute l’auguste société de cette île, la belle dû rejoindre le riche pays des Helvètes, qui, comme le Luxembourg, connaît le secret des machines à fabriquer l’argent. C’est là que le Grand-Duc la rencontra. Il l’épousa et ils firent beaucoup de beaux enfants. « Marie-Thérèse ! », dit-il à la Grande-Duchesse, « toi qui viens de ces contrées ensoleillées et parle leur langue, tu dois m’accompagner dans ce long périple ! » « ¡ Nos volvemos a casa ! », jubile la Grande-Duchesse et exécute une danse de joie au rythme endiablé, sous le regard attendri de son époux qui ne la comprend pourtant pas toujours.

Le pays de l’argent des vieilles gens

Le voyage fût long et pénible. Mais après 22 heures de vol dans son vaisseau argenté, le Grand-Duc, la Grande-Duchesse et ses ministres Jean et Jeannot arrivèrent dans cet étrange pays de l’autre côté du monde que l’on nomme Chili, où les gens parlent une langue étrange et où l’hiver est en été. Là-bas, point de Grand-Duc ou de Roi pour diriger le peuple, mais une présidente, la sympathique Michelle. Cela n’étonne guère le Grand-Duc, il existe bien des républiques sur le vieux continent, comme en France, où règne l’horrible Nico le Bref. Mais celui-ci n’est pas sympathique et le Grand-Duc, comme beaucoup de rois et de présidents, ne l’aime guère.

« Monseigneur ! », dit la gentille Présidente au Grand-Duc, « notre pays est plein de richesses. C’est nous qui détenons un tiers des réserves mondiales de cuivre. Mais ce précieux métal ne vous est pas destiné, gens du vieux continent. Nous préférons le vendre à nos amis de l’Empire du Milieu et d’autres contrées d’Asie, dont seul l’océan Pacifique nous sépare. Contrairement à vous, ils ne sont pas si éloignés et loin du déclin. Par contre, nous pouvons, si vous le voulez, placer les retraites de nos vieilles gens dans vos machines à fabriquer l’argent. » « C’est à ce propos que nous nous sommes déplacés, chère présidente », lui rétorque le Grand-Duc, enthousiaste.

Malgré cette heureuse attention, tous ne sont pas si enthousiastes. Le ministre Jean, qui est bon, sait qu’il peut être dangereux de laisser toutes ces richesses des vieilles gens dans les mains des marchands. Le règne d’Augusto a laissé des empreintes indélébiles sur le Chili. Maintenant, pendant vingt années de labeur, les Chiliens doivent verser un dixième de leur salaire aux marchands des « fondos de pensiones », comme cela se dit dans leur étrange idiome. Mais que se passe-t-il lorsqu’un Chilien connaît de longues années de chômage ? Il doit endurer de longues années d’attentes avant de profiter de sa retraite. Le ministre Jean le sait et il espère que le Luxembourg « ne connaîtra jamais un tel système ». Mais voilà : la guilde des marchands du Chili et celle du Luxembourg est là pour rappeler que, tout de même, les deux tiers de cet argent qu’ils placent dans d’autres pays vont dans les machines à fabriquer de l’argent du Grand-Duché. Voyant la détresse dans laquelle la bonne conscience a plongé son ami ministre, Jeannot, qui est fort et qui comprend les marchands, lui tape sur l’épaule et le réconforte : « Allons Jean, laisses-moi me charger de cette affaire. Notre petit pays a besoin de cet argent. »

Le pays du sucre

Mais le voyage doit continuer. La froideur des marchands du Chili encore envoûtés par les sortilèges du sorcier Augusto commençait à trop morfondre le Grand-Duc et sa suite. « Il suffit maintenant », ordonne-t-il. « Nous avons accompli notre mission, il nous faut nous rendre au Brésil, là où les voitures roulent avec du sucre ! »

Et ils arrivèrent dans cet étrange et vaste pays où l’air est chaud et humide, dans une grande ville dénommée Sao Paulo, bien plus grande que ne le sera jamais le Grand-Duché, et où les gens habitent des tours immenses ou des cabanes de tôle et de planches de bois. A nouveau, ni Roi, ni Grand-Duc, mais un président trapu et barbu que les habitants locaux appellent Lula, qui veut dire le « calamar », dans leur langue chantante. « Si un crapaud peut devenir prince, pourquoi pas un calamar président ? », se dit le Grand-Duc, émerveillé par ce continent si vaste et chaud.

« ¡ Monseigneur ! », lance le petit prsident du grand pays au Grand-Duc du petit pays, « nous connaissons vos difficultés avec l’or noir. Il empeste votre air, et un jour, il sera si rare que même vous, riches Luxembourgeois, ne pourrez plus en acheter. » « Vous dites vrai », lui répond le Grand-Duc, « et d’ailleurs, l’Empereur du vieux continent nous adjoint, à moi et aux autres Rois et Présidents, de réduire notre consommation d’or noir. » « Bien, votre voyage aura porté ses fruits. Je m’en vais vous montrer comment nos alchimistes font fonctionner leurs machines à base du jus de nos cannes à sucre ! » Et le calamar-président du Brésil prend par l’épaule le Grand-Duc et le mène vers les gigantesques fermes de transformation de sucre en carburant.

« Voyez-vous majesté », dit Lula au Grand-Duc, « mon pays est si conscient des difficultés liées à l’or noir que nous augmentons sans relâche l’exploitation de la canne à sucre. Maintenant déjà, nos champs s’étendent à plus de cinq millions d’hectares, ce qui est bien plus vaste que votre pays. Combien en voulez-vous ? Achetez-nous ce combustible et le monde pourra à nouveau respirer! »

Mais le ministre Jeannot, qui est fort et qui connaît le langage des marchands, souffle au Grand-Duc ses doutes : « Monseigneur, inutile de nous précipiter. Je n’aime pas trop leur manière de vouloir nous vendre leurs sucreries. J’ai vu leurs machines, rencontré leurs alchimistes et je me demande, si, en fin de compte, nous aurions vraiment quelque chose à y gagner. De plus, ils déciment leurs grandes forêts pour leurs plantations. »

Jeannot n’est pas un ministre dupe. Mais il n’a pas tout dit. Le Brésil cultive le sucre-combustible depuis le règne des sorciers armés, il y a déjà trois décennies. Depuis, de nombreux marchands s’enrichissent et ont compris qu’ils pouvaient vendre de plus en plus de sucre à travers un monde riche qui étouffe et qui sait que l’or noir disparaîtra un jour. Mais si l’on commence à ne cultiver que du sucre, qui cultivera des denrées alimentaires ? Deviendront-elles aussi rares et chères que l’or noir ? Ci et là, le Grand-Duc et ses ministres entendent des rumeurs se faire grandissantes. On leur parle de la vie misérable des coupeurs de canne à sucre, même si les propriétaires des fermes leur ont permis de s’entretenir avec des travailleurs triés sur le volet. Pire, l’on se demande si les marchands de canne à sucre s’approprient les terres dans les règles de l’art.

« Rentrons chez nous ! Je pense que nous devrons réfléchir à tout ce que nous avons vu et entendu », déclare le Grand-Duc à son entourage. « Les puissants de ce vaste pays sont aimables et sympathiques, mais j’avais l’étrange impression que l’argent les intéressait plus que l’amitié », constate Jean, le bon ministre sous le regard étonné de son ami Jeannot, qui tente de le consoler par ces paroles : « Tu sais Jean, les marchands sont tous pareils, même à l’autre bout du monde ! »


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