TRIPARTITE: L’index dans l’engrenage

Les riches, tout comme les auto-mobilistes, profitent de l’index. A priori, rien de plus normal. Mais en temps de crise, cela se discute.

Ecovoiture, campagne électorale 2009. Le CSV semble prêt pour la neutralisation des produits pétroliers dans l’index.

Faut-il toucher à l’index ? Lors des négociations tripartites de l’automne, cette question sera au centre des débats, avec des prises de position diamétralement opposées des deux Jean-Claude, Juncker et Reding. L’éventail des opinions est large – les Verts plaident pour un « index écologique », le patronat voudrait l’abolir tout simplement – mais les opinions sont souvent exprimées de manière polémique et superficielle. Si nous n’avons pas la prétention de traiter de manière exhaustive ce vaste sujet, nous tenterons au moins d’aller au fond des choses.

Qu’est-ce que l’index ? « Ni une mesure de politique sociale, ni une mesure de redistribution des richesses créées par l’économie, et même pas un instrument de politique salariale, mais simplement un mécanisme de compensation »,
lit-on dans l’« OGBL Aktuell » de mai. Mais alors, pourquoi les syndicats y tiennent-ils comme à la prunelle de leurs yeux ? S’agit-il d’un réflexe de préservation d’un « acquis social », qui empêcherait les syndicats d’accepter des changements nécessaires, comme l’a écrit Marc Glesener dans un éditorial du Wort intitulé « Irrweg der Verweigerer » ?

Même si les argumentations des syndicats et du LSAP en la matière manquent souvent de subtilité, en y réfléchissant un peu, on comprend pourquoi la gauche a raison d’être attachée à l’index. Depuis qu’il existe, cet instrument n’a pas servi à redistribuer, mais à préserver le pouvoir d’achat, une fonction peu sociale en apparence. Mais préserver, c’est empêcher que des redistributions non souhaitées se mettent en place. En clair, sans l’index, le rattrapage de l’inflation devrait se faire, comme c’est le cas à l’étranger, au niveau des négociations salariales. Ce qui désavantagerait les salarié-e-s ne bénéficiant pas d’une convention collective, qui ne sont en général pas en situation de se défendre seul-e-s. Cela augmenterait aussi la pression sur la main d’oeuvre dans les secteurs les moins rentables. Enfin, sans l’index, la part du travail dans le partage des richesses créées serait encore plus facilement réduite.

Enfer social

Reste l’intuition qu’il serait injuste qu’un riche touche une tranche d’index plus importante qu’un pauvre, alors que le prix de sa baguette de pain a augmenté d’autant de centimes. Cette intuition, mobilisée par Juncker comme par Glesener, est fausse – l’index ne fait que compenser la perte de pouvoir d’achat totale de l’un comme de l’autre. Et si le riche ne mangera pas cinq fois plus de baguette, c’est que sa voiture est peut-être dix fois plus chère que celle du pauvre. Réclamer, comme le fait le CSV, que l’index devienne plus juste, c’est au mieux vouloir transformer un instrument de préservation en instrument de redistribution active. Cela est également passablement hypocrite, car un tel instrument existe déjà : la fiscalité directe, domaine dans lequel les baisses d’impôts successives initiées par Juncker ont généré une importante marge de manoeuvre. En temps normaux, avec une inflation faible ou moyenne, le maintien de l’index au Luxembourg est donc possible et souhaitable. Bien entendu, ce jugement doit être réexaminé en tenant compte d’une compétitivité dite défaillante d’une part et d’un éventuel choc pétrolier de l’autre.

Les entreprises luxembourgeoises sont-elles incapables de supporter le coût de la main d’oeuvre ? Supposons que cette affirmation du patronat soit vraie et non pas un stratagème pour augmenter les bénéfices aux dépens des salarié-e-s. L’« index social » proposé par le CSV résoudrait-il le problème ? Rappelons qu’il s’agit de plafonner l’index au double du salaire social minimum (SSM) : en-dessous, rien ne changerait, mais au-dessus l’augmentation serait fixe et non proportionnelle au salaire. Disons qu’une telle adaptation ne serait pas très ciblée en terme de compétitivité. En effet, les entreprises des secteurs à bas salaires continueraient à payer l’index à sa pleine valeur.

S’agirait-il au moins d’un « geste de solidarité », comme l’affirme Jean-Claude Juncker ? Niveler les salaires à partir d’un certain niveau peut être considéré comme social, mais relevons qu’il n’y a aucune redistribution sociale, puisque le manque à gagner de ces salariés bénéficie aux entreprises. Enfin, le plafonnement à deux SSM fait que la classe moyenne sera perdante, d’où une désolidarisation avec les bas salaires et un risque d’abolition complète de l’index.

Admettons néanmoins que certains objectifs économiques ne peuvent pas être atteints sans toucher à l’index. Ainsi, lors de son récent briefing, le premier ministre a évoqué l’Allemagne où, de 1999 à 2009, les salarié-e-s ont subi une baisse de pouvoir d’achat de l’ordre de six pour cent – chose impossible avec une indexation automatique. Juncker a ensuite assuré qu’il désapprouvait cette politique. En effet, au Luxembourg, malgré les manipulations de l’index entre 2006 et 2009, sur dix ans il y a eu une augmentation du pouvoir d’achat de plus de neuf pour cent. Le premier ministre voulait sans doute insinuer que dans une période difficile, les effets préservateurs de l’index mentionnés plus haut entravent l’ajustement de l’économie luxembourgeoise. Des mesures, prévues par la loi tripartite de 1984, seraient alors nécessaires, par exemple l’omission de tranches indiciaires. Cette conclusion est appropriée, à condition que les difficultés des entreprises soient réelles, fait contesté par les syndicats.

Damnation pétrolière

Qu’en est-il de l’effet perturbateur des prix pétroliers ? Leur réalité est indéniable, mais faut-il pour autant les « neutraliser » au sein de l’index ? D’après Jean-Claude Juncker le « boucher de Capellen » ne devrait pas pâtir d’événements extérieurs tels qu’une « plateforme pétrolière dans le golfe du Mexique qui éclate en morceaux » – entraînant une flambée du prix du baril et une tranche indiciaire pour les apprenti-e-s boucher-ère-s. Ce raisonnement, dans sa généralité, est absurde. Il est au contraire normal que l’index reflète le prix du pétrole, tout comme le cours du dollar, du moment qu’ils ont un effet sur l’inflation luxembourgeoise.

Côté écolo, c’est plutôt l’approche moralisante qui fait pencher en faveur d’une neutralisation. Réclamer une taxation des carburants – et accessoirement du tabac et de l’alcool – pour ensuite « compenser » les augmentations de prix par l’index peut en effet paraître absurde. Or, la morale est sauve : la compensation n’est que partielle, et les non-automobilistes sont les grands gagnants. Et il peut paraître bien plus absurde que l’Etat prodigue des primes à l’achat de voitures et soutienne les activités brassicoles et vinicoles.

Mais les écologistes ont aussi une raison pratique de souhaiter une neutralisation du pétrole dans l’index. En effet, une augmentation des taxes sur les carburants induirait une inflation conséquente. En maintenant pleinement l’indexation, cela reviendrait à faire payer aux entreprises l’ensemble de ces écotaxes. Une solution a été proposée par le Mouvement écologique il y a dix ans et est actuellement défendue par les Verts : dés-indexer les augmentations des prix pétroliers et introduire un « écobonus », une « ristourne » d’un montant fixe versée à chaque citoyen-ne. Cette idée pose un certain nombre de problèmes. D’abord, cette mesure risque de léser et d’exclure un peu plus la main d’oeuvre frontalière. Ensuite, à moyen terme, il y aura un effet de nivellement des bas salaires. Enfin, la « ristourne » ne pourra être financé par les recettes fiscales. En effet, l’augmentation des prix fera reculer le tourisme à la pompe, et en volume, les recettes risquent de baisser.

Alternativement, on pourrait maintenir l’indexation et prévoir pour les entreprises des compensations financières conditionnées par des mesures écologiques – avec, là encore, un financement qui reste à trouver. De toute façon, le sujet « index contre écotaxes », depuis vingt ans pomme de discorde entre rouges et verts, sera bientôt marginalisé par la montée des prix – hors taxes – du pétrole.

Une montée rapide du prix du pétrole entraînera une écologisation brutale des comportements et portera un coup d’arrêt à la croissance économique. Les syndicats devront agréer à un partage entre travail et capital du fardeau de ce choc, et la question de l’index ne se posera même plus. Quant aux écologistes, ils et elles devront consentir à l’atténuation du « châtiment » des incorrigibles automobilistes par des « primes d’essence », à défaut de voir s’effondrer l’économie et la société. Ce choc sera d’autant plus dur à encaisser que le Luxembourg est particulièrement mal préparé, avec ses structures de transports et d’urbanisation. Cela, ce n’est pas la faute de l’index, ni des crises internationales, mais des trente années de choix politiques favorisant la dépendance automobile.


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