HORECA: De la bière pour tout le monde

Après la tentative de révolution républicaine en 1919 qui avait débuté dans une brasserie, c’est le milieu des bistrots qui risque d’en vivre une avec le dépôt d’un projet de loi libéralisant la profession.

Plus de diversité ou gueule de bois programmée? La libéralisation de la profession des cafés et bistrots risque en tout cas de chambouler le milieu.

« Beim Béier hällt de Spaass op ». Non, au Luxembourg, avec la bière, on ne rigole pas. D’ailleurs, une boutade dans les milieux gauchistes consiste à espérer que le gouvernement décide un jour de décupler le prix du Humpen par dix et voilà que seraient réunies les conditions favorables pour déclencher une révolution dans ce petit pays si enclin au consensualisme politique. Plus sérieusement, le slogan cité plus haut fut bel et bien utilisé lors de la manifestation à Diekirch cet hiver contre la fermeture de la brasserie locale. Et puisque l’on parle de révolution, une petite est en effet en train de voir le jour. Le dernier conseil de gouvernement avant le début des vacances estivales avait adopté un projet de loi réformant la législation sur le cabaretage. Et nous nous sommes procuré le texte en question que le ministre des finances, Luc Frieden (CSV), a déposé à la Chambre le 31 août.

Il fallait s’y attendre: le projet de loi est une transposition de la directive européenne relative aux services dans le marché intérieur, plus connue sous le nom de son auteur, l’ancien commissaire européen Frits Bolkestein. Et ce texte concerne aussi le domaine du « cabaretage » – néologisme bien de chez nous – c’est-à-dire tout ce qui touche aux bistrots, cafés, bref, les débits de boissons alcoolisés. A l’instar d’autres pays (il y aurait 17 systèmes différents au sein de l’Union européenne), le Luxembourg réglemente et contingente cette activité. Un peu comme les pharmacies, ce qui n’a rien d’étonnant tant nous avons tendance à considérer le jus de houblon comme un remède universel contre toutes sortes de maux. Au-delà de la plaisanterie, c’est bien d’une question d’ordre et de santé publique qu’il s’agit, lorsque la profession fut réglementée une première fois par la loi sur les cabarets notamment afin de faire face au phénomène de l’alcoolisme.

Plus de bistrots = plus d’alcoolos ?

D’ailleurs, la réglementation des bistrots est souvent mise en parallèle avec un meilleur contrôle de la consommation d’alcool. Un exemple notoire fut la décision, en 2005, du gouvernement travailliste de s’attaquer aux sacro-saintes heures d’ouverture des pubs anglais (les législations sont différentes dans les autres nations de l’île britannique). Considérant que la fermeture radicale des pubs à 23 heures enjoignait les sujets de Sa Majesté à consommer leurs bières en trop grande quantité et trop rapidement (surtout avant le fatidique coup de cloche du « last call »), le gouvernement permit ainsi aux pubs d’ouvrir à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Mais voilà, très rapidement, les actes de violence entre 3 et 6 heures auraient augmentés de 25 pour cent et un tiers d’entre eux seraient commis par des personnes fortement alcoolisées. Résultat, le nouveau gouvernement tory-libdem envisage de revenir sur cette réforme en taxant les établissements ouverts au-delà de 23 heures. Et de toute façon, seuls 3.000 sur 200.000 pubs auraient réellement profité de cette libéralisation.

Au Luxembourg, c’est aussi de libéralisation qu’il s’agit dans le nouveau projet de loi « modifiant la loi du 29 juin 1989 portant réforme du régime des cabarets ». Car pour l’instant, le nombre de bistrots est contingenté : à quelques exceptions près que la loi autorise – justifiées notamment pour des raisons d’intérêt touristique -la règle est d’un établissement pour 500 habitant-e-s par commune. En clair, il n’est pas possible d’ouvrir un tel commerce comme l’on ouvrirait une épicerie. Il faut tout de même savoir que cette loi ne régit pas les établissements qui ne vendent que des boissons non-alcooliques ou des boissons à faible teneur d’alcool (c’est-à-dire ne dépassant pas les 1,2 pour cent). En tout cas, si le projet de loi devait passer le vote de la Chambre en l’état actuel, cette réglementation serait jetée aux oubliettes. Car avec ce texte, l’ouverture d’un débit de boissons alcoolisées serait autorisé sur simple paiement d’une taxe forfaitaire et non remboursable de 15.000 euros.

« C’est trop peu », estime Raymond Martin, président du conseil d’administration de la « Brasserie nationale ». Selon lui, cette somme ne correspondrait pas au capital de départ nécessaire pour faire tourner une telle affaire. « Cela tournerait autour de 35.000 euros », estime-t-il. Et c’est d’ailleurs cette recommandation qu’il compte faire parvenir au gouvernement. Pour sa part, l’Horeca élève un peu plus la barre et aimerait que ce montant soit fixé à 50.000 euros. « Le problème », dit Raymond Martin, « c’est qu’avec 15.000 euros, tout le monde, pour ne pas dire n’importe qui, pourra ouvrir un bistrot ». Et ceci constituerait un danger. Selon ses calculs, le nombre actuel de bistrots dans la capitale, qui s’élève à 600, croîtrait rapidement à 800 avant de connaître une centaine de faillites. Et en plus, les « nouveaux » bistrots ainsi installés causeraient de lourdes pertes à ceux déjà en place. Et de prendre la Belgique pour exemple, dont la législation très libérale mènerait à des faillites à la chaîne. « Il suffit pour cela de lire quotidiennement les journaux et les annonces de dépôts de bilan pour s’en rendre compte », ajoute Martin. En réalité, les brasseries et le milieu de l’Horeca auraient préféré garder le principe du contingentement, mais, comme le dit Raymond Martin, « il faut s’adapter aux nouvelles réalités ».

Le spectre des faillites

Cette opposition de principe mais tout de même assez peu virulente n’est pas sans raison. Les brasseries ont un certain intérêt à ce que l’ancien système reste en place. Car le marché des débits de boissons est particulièrement juteux pour ces dernières qui sont propriétaires de nombre de locaux et peuvent ainsi dicter leurs conditions aux exploitant-e-s de bistrots. Et il n’est pas rare d’entendre des patrons de cafés se plaindre du « joug » que les brasseries leur imposent. Et en effet, certains contrats de bail sont non sans rappeler une certaine forme de féodalisme. Dans un exemple que nous nous sommes procuré, un article stipule par exemple que « les preneurs s’obligent à occuper personnellement le 1er étage de l’immeuble », car ces « lieux qui servent d’habitation à preneurs sont considérés comme simple accessoire des lieux exploités commercialement et sont destinés à faciliter l’exploitation commerciale ». Plus loin, le contrat établit que « les changements, aménagements et transformations effectués resteront acquis à bailleresse, qu’il y ait eu autorisation ou non de cette dernière, et ce sans que preneurs ne puissent prétendre à une indemnité quelconque de ce chef ». Et évidemment, c’est « la bailleresse, et elle seule (qui) pourra demander la résiliation du présent bail ». Le tout sans compter, évidemment, la liste exclusive des boissons que l’exploitation se devra de servir. Ce qui, notamment en matière de bière, est parfois un peu fâcheux pour le client, qui se voit parfois obligé de boire la marque qui ne lui plaît pas.

Mais la Brasserie nationale tient à « tordre le cou » aux « légendes » selon lesquelles 90 pour cent des débits seraient dans leurs mains. S’appuyant sur les chiffres de l’administration des douanes, Martin affirme qu’ils ne possèdent seulement qu’un tiers des 3.020 débits alcoolisés le reste étant dans des mains privées. La donne risque donc peut-être de changer dans quelques mois.


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