RENTRÉE SCOLAIRE: La même chose, mais différemment

C’est étrange, mais la guerre scolaire n’oppose pas les camps traditionnellement opposés. Les principaux belligérants sont en fait d’accord sur les objectifs, mais pas sur la méthode.

Dans la basse-cour des classes, le combat des coqs de la pédagogie fait rage…

Lorsque vous avez quitté l’école depuis un certain temps déjà et qu’il n’y a ni élève, ni enseignant dans votre entourage, mais que vous devez néanmoins vous « coller » aux sujets relatifs à l’éducation pour des raisons professionnelles, vous avez parfois l’impression de naviguer d’une planète étrange et inconnue à l’autre. Des planètes où, si l’on y parle de drôles de langages pleins d’abréviations, personne ne partage la même perception de la réalité. Alors, l’on se dit que, somme toute, l’on est très satisfait d’avoir quitté ces planètes scolaires recouvertes de déserts d’ennui(s).

Cette semaine, en raison de la rentrée scolaire, nous avons visité trois de ces planètes qui ont tenu leurs conférences de presse respectives : la planète Syndikat Erzéiung a Wëssenschaft (SEW), le syndicat des enseignants affiliés à l’OGBL, la planète Ministère de l’éducation nationale et de la formation professionnelle (MENFP) et la planète « verte », le parti écologiste ne ratant jamais une occasion de prendre la parole sur un de ses sujets de prédilection. Bref, trois planètes où l’expertise en matière scolaire n’est pas contestable.

Mais contrairement à d’autres sujets où les différents protagonistes campent sur des positions politiquement, voire idéologiquement opposées (voir les retraites, l’index, l’intervention de l’Etat dans l’économie), les trois acteurs que nous avons énumérés plus haut disent tous partager les mêmes objectifs. Et après tout, qu’il s’agisse des Verts, de la ministre socialiste de l’éducation nationale Mady Delvaux-Stehres ou du SEW, tous sont issus du camp progressiste. Ce camp qui s’est historiquement, au Luxembourg, toujours opposé aux conservateurs et aux réactionnaires de manière assez unie sur la question scolaire, s’entredéchire aujourd’hui avec allégresse.

Car si Monique Adam, la présidente du SEW, a tenu à rappeler à la presse lundi dernier que son syndicat était favorable à la réforme et qu’il en saluait « beaucoup d’aspects », c’est pour mieux démonter, pièce par pièce, d’autres aspects. Mais c’est surtout l’approche globale adoptée par le MENFP pour mener à bien ses réformes que le SEW ne digère pas. « On ne laisse pas aux enseignants le temps pour la réflexion », selon le SEW, et ils se verraient imposer un modèle dont beaucoup d’aspects seraient « copiés de l’étranger, mais peu adaptables au Luxembourg en raison de la spécificité du pays ». Et d’y déplorer l’absence de discussion avec les enseignants et les parents.

La ministre quant à elle ne nie pas les difficultés et concède que les ressources humaines au sein de son administration touchent à leurs limites face à l’ampleur du travail à accomplir. « Qu’une réforme pédagogique implique également une réforme administrative ne doit pas étonner la ministre », rétorque le député vert Claude Adam lors de sa conférence de presse ce mercredi. Et d’ajouter : « En plus, les deux réformes, pédagogique et administrative, ont été toutes les deux bâclées ! » Faisant également écho au SEW, les Verts, en principe favorables à l’abolition de la notation par points, se soucient du « sentiment d’insécurité » éprouvé par les parents d’élèves face au nouveau système d’évaluation. Il est vrai que ce système qui entend évaluer des compétences telles que « utiliser des structures syntaxiques simples appartenant à un répertoire mémorisé » pour le français ou bien de « modéliser correctement en langage mathématique et par écrit les données d’un problème », n’est pas fait pour rassurer des foyers où les parents eux-mêmes n’ont pas pu poursuivre un parcours scolaire prolongé.

« Ils peuvent lâcher leur colère »

Là aussi, le ministère se dit être conscient de la problématique et a d’ailleurs demandé aux enseignant-e-s et aux parents de remplir un questionnaire relatif aux nouveaux bilans d’évaluation. Donc dialogue. Et donc, forcément, dialogue de sourds. Car ce questionnaire est lui-même critiqué par la présidente du SEW : « On ne nous demande pas de juger le système, mais uniquement si on le comprend. Il n’y a donc pas de place pour des critiques plus élaborées. Il ne reste donc plus qu’aux enseignants de dire s’ils ont compris ou pas. Ce qui explique que beaucoup d’entre eux n’ont tout simplement pas répondu au questionnaire. » Une critique que la ministre n’accepte pas : « A la fin du questionnaire, il y a une case où les enseignants peuvent lâcher toute leur colère. Et puis, le questionnaire garantit l’anonymat. » L’anonymat, en effet. Devinez ce qu’en pense le SEW : qu’étant donné que ce questionnaire en ligne nécessite un nom d’identification, personne ne peut être certain que l’anonymat soit garanti.

Mais le gros de la réforme reste à venir : le passage de l’enseignement primaire vers l’enseignement secondaire (ES) et secondaire technique (EST). Et l’on peut s’attendre à une véritable gigantomachie lorsque le sujet deviendra concret. Ce sera bientôt le cas, car la ministre entend faire publier le nouveau système de passage pour juillet 2012 afin qu’il soit effectif pour la rentrée 2012/2013. Le problème, c’est qu’un système exécrable (l’examen de passage) fut remplacé par un système loin d’être parfait. Car actuellement, l’orientation est décidée (avec possibilité de recours pour les parents) par un « conseil d’orientation » composé de l’inspecteur d’arrondissement, du titulaire de classe, d’un-e professeur-e de l’ES et d’un-e professeur-e de l’EST, flanqué-e-s d’un psychologue avec voix consultative. A l’arbitraire des notes (les chiffres et leur emploi sont aussi idéologiques) s’est donc substitué l’arbitraire de l’inconscient d’un collège d’expert-e-s. D’autant plus que la psychologisation de la scolarité est également un point discutable. Car selon que l’élève est issu d’un milieu populaire ou non, immigré ou non, ces critères sociologiques et ethniques entrent souvent en considération – les psys aussi ont un subconscient et des préjugés sociaux et moraux – même si l’intention n’est pas forcément mauvaise. D’ailleurs, ce système a aussi déjà produit quelques ratés avec des élèves cumulant les « 1 » et se retrouvant orientés vers l’EST. Ce à quoi la ministre répond, non sans raison théorique, que l’EST n’est pas à considérer comme un enseignement de second choix. Or, c’est là que réside la perversité, car si en théorie rien ne justifie une dévaluation de l’EST par rapport à l’ES, c’est ainsi qu’il est perçu aussi bien par les parents d’élèves que par certains enseignants. Et l’ancien système qui comprenait un examen d’admission consacrait ce préjugé en réservant un examen plus « facile » aux candidats de l’EST.

Le problème, c’est que le ministère se refuse à abolir les deux ordres d’enseignements. Le SEW souligne d’ailleurs que l’introduction du « tronc commun » – qui garderait les élèves dans le même ordre d’enseignement jusqu’à 15 ans – est essentiel pour assurer une meilleure égalité des chances. La thèse est partagée par les Verts et le député Claude Adam a rappelé mercredi l’attachement de son parti au tronc commun (cette revendication est soutenue au sein du parlement par les Verts et Déi Lénk). De plus, l’introduction du tronc commun est le corollaire logique de l’abolition de l’examen de passage.

La réticence du ministère à introduire le tronc commun, amène ainsi le SEW à privilégier un système d’orientation plus qu’audacieux : l’orientation vers l’ES ou l’EST devrait rester la décision exclusive des parents. Interrogés à ce sujet lors de sa conférence de presse de rentrée, la ministre et ses conseillers tiraient des mines amusées. L’idée est-elle pourtant si saugrenue ? Car entre le choix de laisser la décision à un examen arbitraire ou à d’autres institutions ou organismes qui ne le sont pas forcément moins, les meilleurs guides restent peut-être les parents. A défaut de ne pas être à l’abri de l’arbitraire non plus, ils ont l’avantage de connaître et de se soucier viscéralement de leur progéniture. Et si cette thèse peut paraître absurde à certains, peut-être est-ce également une tentative pour répondre par la provocation ou l’absurde à un positionnement du ministère qui l’est tout autant.


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