OLIVIER MASSET-DEPASSE: Salauds !

« Illégal », coproduction belgo-franco-luxembourgeoise qui a déjà été largement applaudie dans la presse est à double tranchant : d’un côté il dénonce l’inhumanité de la rétention, de l’autre, il donne la possibilité aux politiques de se distancer d’une réalité dont ils sont pourtant responsables.

Timides essais d’approche entre gardienne et « retenues », cela restera pourtant impossible.

Deux choses méritent d’emblée d’être mentionnées au sujet du film « Illégal ». Primo, ce film est à déconseiller vivement aux âmes sensibles, et deuxio, tous les faits évoqués sont authentiques et ne représentent pas des cas isolés. « Illégal » raconte un destin typique de sans-papiers en Europe, que ce soit en Belgique – comme dans le film – au ailleurs dans l’Union, les lois et les traitements infligés à ces femmes et hommes de seconde catégorie sont partout les mêmes.

Tania est russe et arrive en Belgique au début des années 2000 avec son jeune fils Ivan. Même si nous ne savons rien des raisons de la jeune femme de fuir sa patrie, la détermination avec laquelle elle s’est attachée à sa nouvelle terre d’élection montre qu’elle n’attend plus rien de sa Russie natale. En Belgique, elle s’adapte assez vite, apprend le français, travaille et cotise comme tous les autres – ceci est important à souligner, car la majeure partie des sans-papiers d’Europe le font ainsi et ne sont donc pas les « parasites » tant décriés par les philosophes de comptoir et leurs représentants politiques.

C’est en 2000 aussi que Tania voit sa demande d’asile rejetée et que le royaume belge lui ordonne de quitter son territoire. Elle choisit pourtant de rester et par conséquent de glisser dans l’illégalité. Pour ne plus se faire repérer, elle se brûle l’extrémité des phalanges afin de se débarrasser de ses empreintes digitales. Pour elle et surtout pour Ivan, la Belgique et l’Europe sont synonymes d’avenir. Cela se passera bien jusqu’en 2008, quand – le jour de l’anniversaire d’Ivan – Tania et son fils se font interpeller en pleine rue. Tandis qu’Ivan réussit à prendre la fuite, Tania est arrêtée et incarcérée. La suite du film se passe dans le huis-clos d’un centre de rétention proche de l’aéroport de Schaerbeek. L’ambiance glauque de cette structure qui est spécialisée dans l’accueil des femmes et des familles se reflète autant dans les yeux vides et tristes des enfants que sur les murs désuets et les pauvres distractions laissées aux emprisonné-e-s. Mais au moment où Tania pense qu’elle a survécu au premier choc de l’enfermement, les autorités se jettent sur elle pour la faire craquer. Car voilà, son unique lueur d’espoir de se sortir de là est de tenir cinq mois sans que les autorités ne découvrent son identité. Mais la police sait comment exercer la pression sur la jeune femme : elle menace notamment de la traîner en justice pour usage de faux, si elle continue à refuser de révéler son identité, ou, plus cruel encore, évoque sans cesse son fils dont elle ne peut même pas avouer l’existence. D’autant plus qu’Ivan, dont s’occupe désormais une amie de travail biélorusse, manque de ressources et doit bien travailler un jour ou un autre pour Monsieur Nowak, le mafieux russe du quartier qui leur procurait les faux documents d’identité.

Ainsi, Tania tentera tout pour échapper à sa propre expulsion en même temps qu’elle doit assister impuissante à la déchéance de son propre fils. Et ni sa nouvelle amie Aïssa – qui, tabassée une fois de trop par les flics qui tentaient de l’expulser, se pend dans les douches – ni l’une ou l’autre gardienne qui essaie de nouer des liens avec les « retenu-e-s » ne lui ouvrent un horizon d’espoir.

Et tout cela se passe au beau milieu d’une Europe qui ne manque pas une seule occasion de faire la morale à ses voisins en matière de droits de l’Homme, alors qu’elle compte sur son territoire des centaines de milliers de travailleurs sans droits qu’elle traite en criminels et qui sombrent dans une zone grise à l’abri du grand public.

Le plus grand mérite d‘ « Illégal » est de ne pas être un film à thèse. Au contraire, c’est sa sobriété qui choque le plus : il évoque aussi les difficultés du personnel des centres de rétention, incarné par le personnage de Lieve, qui finit par craquer et quitter son travail. Tous les personnages du film sont humains et dépeints comme tels, la seule chose qui est et reste inhumaine est le système en soi : le fait d’incarcérer des innocents et des travailleurs qui cotisent et de leur enlever tout espoir d’un avenir meilleur.

A entendre notre ministre de la justice François Biltgen se féliciter après un débat sur le film (voir woxx 1080)
qu’« heureusement nous n’avons pas une situation belge au Luxembourg », on se demande jusqu’où ira encore le cynisme de nos politiques : des suicides en rétention nous en avons déjà eus et des gens expulsés et torturés aussi. Et combien de familles devront encore être déchirées avant que la politique n’admette que la terre appartient à tous les hommes quelles que soient leurs origines ? En ce sens, « Illégal » est un film nécessaire, mais il faut néanmoins rester vigilant et dénoncer à chaque fois qu’un politique veut s’en servir comme cache-sexe afin de mieux cacher ses intentions

A l’Utopia


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