ENSEIGNEMENT SECONDAIRE: My tailor is rich

Personne ne doute de l’importance de l’anglais au niveau mondial. Mais les fausses évidences peuvent aussi amener à dire n’importe quoi.

Le débat autour de l’importance de l’anglais dans l’enseignement luxembourgeois est désormais lancé avec la réforme du cycle supérieur de l’enseignement secondaire. Oui, l’anglais a supplanté la « lingua franca » mondiale qu’était le français, en attendant peut-être un jour de subir le même sort au profit du castillan, de l’arabe ou du mandarin.

Selon les voeux de la ministre de l’éducation nationale, l’anglais devrait figurer comme langue obligatoire en 13e au détriment du français ou de l’allemand. L’argument est celui de tous les partisans d’une plus anglicisation de l’éducation plus poussée : le caractère incontournable de l’anglais sur le marché du travail. Qui mettrait en doute cette évidence ? Et bien, une étude du Ceps/Instead par exemple, qui place l’anglais en cinquième position des langues les plus parlées au Luxembourg, derrière le luxembourgeois, le français, l’allemand et le portugais. Et cet ordre ne compte pas uniquement pour la vie courante mais également pour le lieu de travail. Certes, pourra-t-on objecter, mais l’anglais est la langue dominante dans certains secteurs d’activité, comme la finance, qui ne joue pas un rôle mineur au Luxembourg.

Reste à savoir si cette situation justifie un renforcement de l’apprentissage de l’anglais au détriment de deux langues officielles que sont le français et l’allemand. Il y a, grosso modo, deux types d’anglais : l’anglais natif parlé parfaitement par les locuteurs des pays anglophones et que seuls des anglophiles chevronnés maîtrisent tout aussi bien et l’anglais « des affaires ». Or, cet anglais parlé le plus souvent par des non-anglophones entre eux est très en deçà des exigences d’excellence que l’on attend d’un élève lors de son oral en 1e ou en 13e. Pourtant, les interlocuteurs français, espagnols, russes ou japonais ne reprocheront pas à leurs partenaires de dialogue les erreurs de vocabulaire ou de syntaxe pour autant qu’ils puissent se comprendre. Car aucun d’entre eux, hors talent exceptionnel, ne conversera en utilisant la multitude d’expressions qu’offre la grande richesse lexicale de cette langue (une des plus importantes des langues indo-européennes). C’est aussi pourquoi certains pédagogues et linguistes proposent une voie plus pragmatique : l’enseignement, dans certaines branches des dernières années de l’enseignement secondaire, d’un anglais approprié en fonction des carrières proposées par ladite section scolaire. Sans oublier que la maîtrise d’une langue se parfait finalement sur le tard, dans la pratique quotidienne d’une activité professionnelle avec assimilation rapide des codes propres à telle ou telle corporation.

Plus concrètement, le renforcement de l’anglais – au détriment des deux autres langues – en dernière année d’enseignement secondaire technique ne rendra pas forcément service à ces élèves, desquels l’on continuera d’exiger, pour la grande majorité, une bonne maîtrise écrite et orale du français et de l’allemand. Si une méconnaissance quasi-totale de l’anglais constitue au Luxembourg un facteur de discrimination professionnelle et sociale, cette discrimination relève la barre de quelques crans pour le français et l’allemand dont on exige, parfois de manière exagérée, une maîtrise presque aussi parfaite que celle des locuteurs franco- ou germanophones natifs.

Et puis, ne nous détrompons pas : le débat sur l’importance de la langue anglaise traîne avec lui une forte composante idéologique. Les langues dominantes exportent avec elles l’idéologie dominante des formes de gouvernement des Etats dont elles sont issues ou des modes de pensées correspondant aux professions dans lesquelles ces langues jouent un rôle de premier plan. Ainsi, l’apprentissage du « dollar english » à travers le monde n’est pas innocent et influe fortement sur les comportements, comme l’affirment certaines études en psycholinguistique. Et est-il vraiment souhaitable que le Luxembourg, non content d’héberger en son sein ce cancer international qu’est la place fincancière, fasse en plus la part belle à une langue qui n’exporte actuellement pas le meilleur de ses modes de pensée ?


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