BRIGADES INTERNATIONALES: Italiens aux fronts

Historien des mouvements syndicaux et anarchistes à l’université de Trieste avec une spécialité sur l’Espagne contemporaine, Claudio Venza interviendra, ce lundi 15 novembre au Circolo Curiel sur le thème « Les anarchistes italiens dans la guerre d’Espagne ».

S’est penché sur le détail des interventions anarchistes italiennes à l’extérieur : Claudio Venza.

woxx: Qui étaient les anarchistes italiens engagés dans les brigades internationales ?

Claudio Venza : Les volontaires antifascistes internationaux ne participaient pas uniquement aux brigades internationales, constituées avec le soutien de la troisième internationale moscovite à Albacete en octobre 1936, mais étaient impliqués aussi dans d’autres formations de combats d’où émanèrent les sections internationales. Par exemple, cela est arrivé avec la colonne Durutti, composée de personnes issues de milieux anarchistes divers et non seulement espagnols. Déjà en juin 1936, ceux-ci partirent de Barcelone vers le front aragonais où ils se devaient de se battre malgré une carence d’armes et de munitions. Les anarchistes italiens membres de ces troupes venaient surtout de l’étranger et en particulier de France, leur pays refuge. En effet, ils avaient dû fuir la répression du régime fasciste instauré avec violence en Italie à la fin de la première guerre mondiale.

Qu’ont-ils apporté à la lutte ?

Les exilés libertaires ont continué la lutte sous des conditions assez précaires, contre le pouvoir de la hiérarchie fasciste, en réalisant aussi des attaques contre le régime italien en terre étrangère où sévissaient des réseaux d’espions et de provocateurs à la solde de Mussolini. Les réfugiés anarchistes étaient généralement des travailleurs manuels, par tradition ou ils ont pris ces métiers pour survivre. Ils se sont organisés en groupes dans les centres urbains, spécialement à Paris, et étaient actifs à travers des journaux et des réunions qu’ils organisaient malgré la surveillance accrue des autorités des pays « hôtes ». Les premiers groupes de volontaires partaient déjà en juillet 1936 en collaboration avec « Giustizia e Libertà », le mouvement antifasciste mené par Carlo Rosselli. En même temps, d’autres formations politiques importantes étaient en train de discuter s’ils devaient participer et – si oui – sous quelle forme. Mais ce n’est qu’en septembre 1936 que les militants communistes et socialistes s’enrôlèrent dans le « Battaglione », puis dans la « Brigata Garibaldi », sous le commandement des brigades internationales.Au courant des premières semaines après le putsch réactionnaire du 17 et 18 juillet, qui était quasi totalement raté, les militaires rebelles revoyaient leurs plans de crise suite aux déconfitures subies dans les principales villes espagnoles de Barcelone à Madrid, en passant par Bilbao et Valencia. L’intervention opportune des volontaires anarchistes, pas uniquement des Italiens, fut accueillie avec enthousiasme par la CNT et par les FAI, le syndicat et l’organisation spécifique des anarchistes espagnols. Ce fut le moment où les putschistes se retrouvaient dans une grave impasse – vu que trois quarts de la population espagnole était restée du côté de la deuxième république et donc des forces révolutionnaires. C’est pourquoi les généraux rebelles ont dû se remettre à Mussolini et à Hitler, sans l’aide desquels leur victoire aurait été impossible.

Comment ont évolué les participants italiens ?

En chiffres, le total des volontaires italiens est estimé entre 3.500 et 4.000 hommes et les libertaires entre eux étaient évalués à plus ou moins 1.000. En grande partie, ils combattaient dans les colonnes menées par Rosselli et par l’intellectuel libertaire Camillo Bernaro, c’est-à-dire dans la section italienne de la division Ascaso des CNT-FAI. Ils entrèrent en combat une première fois, fin août 1936 à Monte Pelato, du nom d’une hauteur près d’Huesca dans l’Alta Arragona. Malgré leur maigre expérience militaire et le peu d’armes qu’ils portaient, ils réussissaient à repousser un assaut de combattants putschistes beaucoup plus nombreux et mieux équipés. La colonne Rosselli-Berneri a essayé à plusieurs reprises de libérer la ville d’Huesca, sur la route vers Saragosse, mais a dû abandonner car ils ne disposaient pas de l’armement à la hauteur du défi. En avril 1937, la colonne italienne est divisée par un conflit interne qui oppose tenants et opposants à une militarisation, c’est-à-dire l’encadrement dans une armée populaire fondée sur la hiérarchie traditionnelle, la discipline imposée et le pouvoir centralisé. Certains anarchistes comme Emilio Canzi et Giuseppe Bifolchi resteront tout de même au front dans les formations des CNT-FAI.
Des groupes de libertaires italiens participaient aux affrontements de Barcelone en mai 1937 d’où sortirent comme vainqueurs les forces restauratrices du contrôle institutionnel républicain, des communistes aux nationalistes catalans, contre les tendances révolutionnaires. Cela est arrivé aussi à cause du choix des CNT-FAI de ne pas faire éclater une guerre civile entre les antifascistes. En cette occasion, les staliniens exécutèrent divers militants italiens, parmi lesquels Camillo Berneri, tandis que d’autres comme Enrico Zambonini furent grièvement blessés.

Qu’est-il advenu des brigadiers à leur retour ? Et sous Mussolini ? Et sous les Allemands ?

Après la victoire de Francisco Franco au printemps 1939, les premiers camps de concentration peuplés par des combattants anarchistes italiens ouvraient leurs portes sur le sol français. Mais si certains, à l’image d’Umberto Marzocchi, restaient libres et allaient même joindre à une unité espagnole dans le maquis français. Dans ces camps croupissaient depuis des mois plus de mille ex-combattants livrés à la faim et aux maladies. Il faut dire que le gouvernement français se méfiait de ces antifascistes d’action. Puis, après un accord passé entre l’Italie fasciste et victorieuse et la France défaite en juin 1940, les Italiens furent extradés des camps sur sol français. Les survivants – anarchistes, communistes, socialistes et autres – se retrouvèrent à la relégation de Ventotene, une île proche de la ville de Naples. En 1943, le fascisme italien s’effondre et les premiers prisonniers sont libérés. Cela ne valait pas pour les anarchistes qui furent déportés à nouveau dans le camp de Renicci d’Anghiari, près d’Arezzo, d’où ils s’échapperont un peu avant l’arrivée des nazis le 9 septembre 1943. Plusieurs militants participèrent à la résistance à partir de septembre 1943, mais plutôt dans des formations partisanes d’orientation libertaire, actives en Lombardie, Ligurie, Emilie-Romane et Toscane. Forts de leurs expériences espagnoles, certains – Emilio Canzi dans les alentours de Piacenza et Giuseppe Bifolchi en Italie centrale – devenaient même des dirigeants de la résistance. D’autres perdirent la vie au cours de cette dernière étape de la lutte antifasciste, comme Enrico Zambonini, fusillé près de son village natal dans l’Apennin émilien.

Quel est le poids de la mouvance anarchiste en Italie de nos jours ?

De nos jours, le mouvement anarchiste participe à beaucoup de mobilisations anti-autoritaires : de l’opposition aux projets qui déciment la nature et l’environnement à la lutte antiraciste dans ses expressions les plus diverses. Il participe aussi au mouvement contre la mondialisation, comme il milite toujours contre les bases militaires, mais aussi contre le cléricalisme et tous les projets de répression et de contrôle de la population. Le mouvement anarchiste ne néglige pas l’engagement dans les organisations alternatives comme dans les syndicats majoritaires dans les domaines de l’éducation, de la santé et des services publics. En tout cas, l’anarchisme italien a développé un rôle propulseur dans des mouvements de plus grande ampleur comme on peut l’observer dans de nombreuses villes avec des actions antiracistes, écologistes et revendicatives. De plus, il existe des communes libertaires comme Urupia dans les Pouilles, où sont expérimentés des modes de vie et des principes de gestion de l’économie alternatifs. D’autre part, des maisons d’édition importantes de littérature libertaire – comme « Elèuthera » – ou d’analyse politique historique et quotidienne, comme « Zero in Condotta » existent toujours. Toutes les deux résident à Milan, tandis que la bibliothèque Franco Seratini, spécialisée dans les études historiques est à Pise et celle de La Fiaccola, qui dévolue une attention particulière à l’anticléricalisme est en Sicile. Dans le Sud aussi, mais en Campanie, une petite mais prospère maison d’édition est active autour de l’historien (non-académique) Giuseppe Galzerano. Point de vue publications, l’Italie n’est pas en reste non plus puisque y est publié un des deux hebdomadaires anarchistes les plus importants de la planète : « Umanità Nova », fondé en 1920 par Errico Malatesta. Cet hebdomadaire est diffusé régulièrement depuis 1946 par une rédaction à rotation au début encore affiliée à la FAI. Chaque mois voit aussi la parution de « A rivista anarchica », avec une optique plus culturelle, et tous les trois mois un numéro de « Libertaria », ouvert aux problèmes internationaux, sort des presses. Finalement, il y a beaucoup de publications locales comme « Germinal » à Trieste et ses environs. La présence anarchiste et libertaire est évidente dans des régions à tradition anti-autoritaire comme la Toscane et l’Emilie Romane, mais aussi dans les villes avec de forts mouvements de base, comme Turin ou Milan. Ce qui fait que les activités ne répondent qu’en partie aux projets de niveau national, comme la « Federazione Anarchica Italiana ».
Un problème à part est le rapport difficile avec les moyens d’informations plus affirmés, commerciaux ou gouvernementaux, qui donnent beaucoup d’espace aux informations marginales et ignorent, sinon boycottent les initiatives durables, sérieuses et consciencieuses.

Conférence : « Les anarchistes italiens dans la guerre d’Espagne », par Claudio Venza, lundi 15 novembre à 19h30 au Circolo Curiel. Dans le cadre des « Hommages aux volontaires des brigades internationales ».


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