DROITS HUMAINS: Perquisitionner, intimider, torturer

Que valent les droits humains aux yeux du gouvernement et de la justice luxembourgeoise? La réponse dessinée par l’avis de la CCDH sur les perquisitions de mars dernier n’est pas rassurante.

Un non-lieu, c’est tout ce qu’a obtenu la famille A., malmenée „par erreur“ lors des perquisitions du 31 mars dernier dans les milieux islamistes. Le tribunal n’a pas jugé utile de poursuivre l’affaire. Une non-réponse, c’est tout ce qu’a obtenu la Commission consultative des droits de l’Homme (CCDH), lorsqu’elle a sollicité la collaboration des instances officielles pour enquêter sur cette opération des forces de l’ordre.

La CCDH n’en a pas moins publié, mardi dernier, un avis sur les perquisitions et leurs conséquences. Elle y critique d’une part les excès de violence d’une partie des policiers impliqués. D’autre part la commission dénonce l’expulsion d’un ressortissant tunisien arrêté lors de cette opération et torturé par la suite en Tunisie. La CCDH, mise en place par le ministre d’Etat, est la première instance officielle à reprendre les critiques formulées il y a huit mois déjà par des ONG et une partie de la presse (voir woxx no 688). La réponse des ministères et de la police n’a d’ailleurs pas varié: assurances que les mesures prises étaient nécessaires, invocation du secret de l’enquête pour refuser de donner plus d’explications.

Violence

Le mérite de l’avis de la CCDH est d’abord de donner une vision d’ensemble du déroulement des perquistions, après l’audition de huit personnes concernées, choisies „en raison de leur diversité“, comme le précise le rapport. Selon ces témoignages, une première unité de police spéciale a pénétré dans les maisons „dans un climat de grande violence physique et psychologique, provoquant un sentiment de peur et d’angoisse qui a profondément marqué les personnes concernées.“ Une deuxième unité de police judiciaire a, de manière générale, montré beaucoup plus d’égards et accepté de fournir des explications quant à leur présence. La commission rapporte néanmoins des faits choquants: refus de laisser boire les gens pendant quatre heures, comportements xénophobes, menottage d’un enfant de neuf ans.

„Etait-ce nécessaire d’entrer comme cela?“, interroge Bernadette Jung, membre de la CCDH. „Une fois qu’il était clair que les personnes perquisitionnées étaient inoffensives, fallait-il continuer à appliquer autant de force?“ La commission invoque le principe de proportionnalité entre la force utilisée et le but recherché, inscrit entre autres dans le Code européen d’éthique de la police. Elle constate que „le principe de proportionnalité ne semble pas avoir été toujours un des principes directeurs dans la façon de procéder.“ Et: „Le climat de peur et d’angoisse entretenu par la volonté de mutisme de certains policiers … ne paraî t non plus avoir aucune justification.“

Face à ces graves reproches, l’Etat se retranche derrière le secret de l’instruction. Or il semble qu’aucune sanction à l’égard d’agents fautifs n’ait été prise à ce jour et que les responsables de la police temporisent en espérant étouffer l’affaire. On peut craindre que le résultat des différentes plaintes déposées contre la police soit le même que pour la famille A. Dans ce cas, l’absence de condamnation reviendrait à une caution apportée par l’Etat luxembourgeois à tous les excès et abus de pouvoir.

Quant à Salmi Taoufik, le ressortissant tunisien expulsé, le „Quotidien“ avait révélé en août dernier qu’il avait subi des tortures: „… suspension au plafond les mains menottées, coups de poing et bastonnades sur toutes les parties du corps y compris la tête et les parties génitales“, selon le témoignage de son avocate, Radhia Nasraoui. Luc Frieden avait alors déclaré: „La décision d’expulser Salmi Taoufik a été une décision difficile, mais bien réfléchie.“ D’autres déclarations officielles laissaient entendre qu’une éventuelle incarcération aurait exposé le Luxembourg à des représailles terroristes. Au-delà, le caractère secret d’informations provenant du service de renseignements interdirait toute explication – une manière confortable de se soustraire aux questions.

Torture

Nic Klecker, président de la CCDH, a repris une déclaration de Jean-Claude Juncker sur Saddam Hussein: „Même le plus grand criminel a droit à un procès équitable.“ „Cela ne vaudrait-il pas pour un islamiste, même soupçonné d’être un terroriste?“, a demandé Nic Klecker. La CCDH estime que, indépendamment de la dangerosité des personnes en question, le respect des droits fondamentaux ne supporte aucune dérogation. C’est ce que la Cour européenne des droits de l’Homme a établi dans une affaire opposant un terroriste présumé en instance d’expulsion au gouvernement anglais: „L’intérêt national de l’Etat ne saurait l’emporter sur celui de l’individu.“ L’interdiction d’expulser quelqu’un dans un pays où sa vie et sa liberté sont gravement menacés, contenue dans la Convention européenne des droits de l’Homme, vaut a fortiori dans le cas de Salmi Taoufik, contre lequel la justice luxembourgeoise n’avait établi aucune charge.

Qu’est-ce qui se cache derrière le mutisme des responsables des perquisitions et de l’expulsion? Si la CCDH se contente de parler de manque de préparation, certains indices pointent en direction d’une incompétence totale des personnes en charge. Ainsi, devant une commission parlementaire, la représentante de la police a évoqué l’appartenance de Salmi Taoufik à al-Nahda, mouvement comparable à al-Quaï da, selon elle. Or ce mouvement est le plus grand groupe d’opposition en Tunisie, défend certes des idées de type islamiste, mais n’a rien d’un groupe terroriste.

Cette incompétence se prolonge dans les milieux politiques: plutôt que de lire attentivement l’avis de la CCDH, les instances en cause ont préféré s’attaquer à la commission. Dans un communiqué, le ministre de la Justice, le ministre de l’Intérieur et la Police grand-ducale lui reprochent entre autres de faire abstraction du contexte de danger dans lequel ont eu lieu les perquisitions. Or la CCDH consacre tout un paragraphe à cette question avant de conclure que certaines mesures étaient injustifiées. Visiblement, les responsables ne l’entendent pas de cette oreille et espèrent encore faire croire que l’opération se serait déroulée de manière irréprochable.

Mauvaise foi

Autre reproche fallacieux: un des auteurs du rapport serait concerné, en tant qu’avocat, par les procès en cours. „Faux“, a répondu Nic Klecker à la télé, „Maî tre Dean Spielmann, dont l’intégrité est mise en cause, s’est abstenu de collaborer au rapport, précisément pour cette raison.“ Enfin la question de l’expulsion de Salmi Taoufik donne lieu à des points de vue opposés. Le ministre de la Justice rappelle que sa demande d’asile avait été refusée et conclut que l’expulsion s’est faite sans violer le droit international et national. „Le fait que le ressortissant tunisien concerné ait été débouté par les juridictions administratives de sa demande d’asile au titre de la Convention de Genève, est sans rapport avec cette question“, maintient la CCDH. En effet, les conditions de la Convention de Genève sont plus restrictives que la clause générale de non-refoulement de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Comble de mauvaise foi, Luc Frieden feint d’ignorer que cette clause est reprise dans les textes de loi luxembourgeois. Il existe même une jurisprudence récente en la matière: en février, le Tribunal administratif avait statué, au grand déplaisir du ministre, que des demandeurs d’asile déboutés albanais ne pouvaient être renvoyés dans leur pays s’ils risquaient d’y subir de mauvais traitements.

Une bavure judiciaire a succédé aux bavures policières, pourrait-on conclure. A moins que la disproportion des moyens, la violence des actes, la dureté des paroles ne soient pas accidentelles. Les perquisitions auraient traduit la volonté de tirer une sorte de coup de semonce en direction des milieux tentés par un islamisme violent. Quel signal plus fort dans ce contexte que d’envoyer la personne la plus engagée dans cette voie, avec toute sa famille, dans les bras d’une dictature? Si cette hypothèse s’avérait exacte, l’Etat luxembourgeois aurait fait usage d’un des procédés modérés qu’emploient de telles dictatures, celui de l’intimidation musclée. Et le gouvernement se retrouverait complice des tortionnaires.


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