TABLE RONDE PRISON: Faillite d’un système

Plutôt que de débattre de l’emplacement pour un second centre pénitentiaire, le woxx a préféré organiser un débat sur le principe même de la politique d’incarcération. Compte-rendu.

Il n’y a pas que des populistes à la Luc Frieden qui parlent de politique carcérale. Ici, les participant-e-s à la table ronde du woxx.

« Le problème au Luxembourg, c’est que l’on investit chaque centime dans la construction de bâtiments, mais rien dans les personnes ». Cette phrase de la députée socialiste Lydie Err, prononcée lors de la table ronde sur la politique carcérale organisée par le woxx lundi dernier, ne résume certainement pas l’ensemble des propos tenus, mais donne une bonne indication du malaise par rapport à la politique pénale du Luxembourg. La décision de construire un second centre pénitentiaire dans la commune de Sanem a en effet provoqué une levée de boucliers et la création d’une association opposée à ce projet.

Comment un journal comme le woxx peut-il aborder le sujet ? Peser les arguments pour ou contre la construction d’un tel bâtiment dans cette commune ? Ainsi, l’on cautionnerait le réflexe « nimby » (« Not in my backyard ») de certains citoyens persuadés que leur commune n’est définitivement pas le bon endroit (comme probablement l’ensemble des communes du pays), tout comme la logique gouvernementale d’agrandissement du parc carcéral. Ni l’un, ni l’autre ne nous satisfait. Au contraire, il nous a paru bien plus important de traiter le sujet de manière plus globale et de poser la question qui s’impose : à quoi une politique pénale doit-elle ressembler ? Faut-il agrandir les prisons, faut-il déplacer les problèmes ou bien changer fondamentalement de concept ?

La surpopulation carcérale est un mal connu depuis bien longtemps. Aux yeux du ministre de la justice Luc Frieden (CSV), il n’y a donc qu’une seule réponse valable : construire une seconde prison et soulager la première à Schrassig. D’ailleurs, ce dernier se félicite régulièrement d’avoir doublé le nombre d’incarcéré-e-s depuis qu’il détient le portefeuille de la justice. Logique simpliste du ministre : s’il y a plus de détenus, c’est que la police se montre plus efficace dans la lutte contre la criminalité. Mais ce bilan n’est-il pas plutôt le résultat de la faillite du système pénal luxembourgeois ?

Plus de prisonniers : un succès ?

Premier point du débat, s’interroger sur le type de personnes incarcérées. Des tueurs en séries ? De dangereux maniaques ? De grands chefs mafieux ? Selon Claude Frentz, l’un des six intervenants (voir encart), entre 40 et 50 pour cent des détenu-e-s le sont pour des délits liés à la drogue. A une interpellation de la salle, affirmant que, selon l’administration pénitentiaire, les prisonniers liés à des délits de stupéfiants seraient en grande partie des dealers, Lydie Err rappelle que les toxicomanes doivent souvent vendre eux-mêmes leurs drogues afin de pouvoir s’en procurer. « Mais les véritables gros dealers ne se trouvent pas en prison. Ils sont assez rusés et expérimentés pour y échapper », ajoute-t-elle.

« Il est évident qu’il faut un changement de paradigmes dans la politique des drogues », affirme Thorsten Fuchshuber, qui rappelle que le Conseil de l’Europe appelle ses Etats membres à dépénaliser certains délits. Une revendication pas très en vogue auprès des autorités luxembourgeoises, tant le gouvernement s’enferme dans l’illusion d’une poli-
tique répressive.

Mais d’autres catégories de personnes s’ajoutent à la population carcérale : des mineurs, des ressortissants de pays tiers en attente d’être expulsés ainsi qu’une cohorte de détenus provisoires. Si l’ensemble des participant-e-s à la table ronde est d’accord pour condamner l’emprisonnement de ces personnes, le débat tourne vite autour de la question de la détention provisoire. « Ces personnes sont en prison, alors qu’elles sont innocentes ! », lance Fuchshuber. Les tribunaux luxembourgeois auraient en effet la fâcheuse habitude d’abuser de la détention provisoire. Selon Rosario Grasso, « beaucoup d’avocats ont l’impression que les juges se disent `On les met en détention provisoire, comme ça, ils sont tranquilles‘ ». Sur ce point, le Luxembourg est en effet un très mauvais élève. Fuchshuber souligne qu’avec un taux de 41,5 pour cent d’incarcérés « provisoires », le grand-duché se situe à la neuvième position au niveau des pays européens. Seul point qui semble faire consensus en relation avec la construction de la prison à Sanem : la nécessité de séparer les condamnés et les détenus provisoires.

En règle générale, les juges luxembourgeois n’y iraient pas de main morte avec les incarcérations. « C’est pour eux une solution de facilité », estime Grasso, pour qui il revient également au gouvernement de trouver des alternatives à l’emprisonnement. Il en existe déjà quelques-unes, comme les travaux d’intérêt général. « Les juges ne doivent pas hésiter à employer ces moyens ». Par ailleurs, il a été ajouté que les étrangers résidant en-dehors du territoire national n’auraient quasiment aucune chance de profiter d’une liberté provisoire, parce que les autorités craignent une éventuelle fuite. Mais ce serait aussi le cas avec les étrangers vivant au Luxembourg.

Abus de la détention provisoire

L’emprisonnement n’est pas vu comme une solution par les participant-e-s, loin de là. Pour beaucoup de prisonniers, cela coïncide avec le début d’une déchéance sociale et financière à cause des grandes difficultés à la sortie pour réintégrer le marché du travail. Ainsi, la prison fait partie intégrante d’un cercle infernal. « En plus, les victimes ne souhaitent pas forcément que celui ou celle qui leur a causé du tort se retrouve derrière les barreaux. Des excuses ou une réparation leur irait tout autant », estime Grasso et d’ajouter que « le problème, c’est que souvent ni les juges, ni les avocats ne connaissent toutes les lois. En principe, un juge peut expérimenter ».

Une expérience est actuellement en cours, avec l’introduction des bracelets électroniques. Pour l’instant, cette mesure ne dispose encore d’aucune base légale, et seuls quatre condamnés y seraient assujettis. « Je ne sais pas encore si j’y suis favorable », avoue Lydie Err, « mais ce qui est positif, c’est que l’on expérimente avant de faire une loi. » L’important, selon Err, reste que le condamné maintienne ses liens sociaux. « C’est un droit fondamental et une revendication des prisonniers qu’ils puissent se retrouver dans leur environnement social », ajoute Fuchshuber.

Resocialisation, retissage du lien social : tel est le défi posé par le « Projekt Chance », un projet-pilote d’exécution des peines pour jeunes délinquants dans le Land de Baden-Württemberg, en Allemagne. « Nous accueillons des jeunes entre 15 et 21 ans. Ces jeunes sont tout à fait en marge de la société. A 12-13 ans, ils peuvent déjà avoir commis entre 20 et 30 infractions et ce nombre s’élève à une cinquantaine vers les 16-17 ans », explique Georg Horneber, un des responsables du projet. « Nous voulons leur apprendre à prendre leurs responsabilités, à participer à l’organisation du quotidien et leur redonner une certaine discipline. » Le déroulement d’une journée type dans un tel « camp » ne ressemble pas à une colonie de vacances : lever à six heures suivi d’un jogging, petit-déjeuner à sept heures, cours à huit heures et une après-midi consacrée au travail. « Quand ils ressortent, ces jeunes ont tous un diplôme de la `Hauptschule‘ ou une formation », affirme Horneber.

Mais ce n’est pas tout : afin de leur éviter des déboires financiers dus aux amendes qu’ils doivent payer, le projet aide aussi ces jeunes à éponger leurs dettes. Par ailleurs, afin d’augmenter leur responsabilisation et d’améliorer leur comportement social, des séances de confrontation avec leurs victimes sont organisées. Ce principe de la « médiation » tient aussi à coeur à Lydie Err. Vincent Klein cite l’exemple du Canada qui pratique la « justice réparatrice ». « Souvent, les prisonniers ne voient aucun sens à la punition qui leur a été infligée et se mettent eux-mêmes en position de victime. S’installe alors en eux une certaine haine », explique-t-il.

Réparer au lieu d’enfermer

C’est bien connu : une mauvaise resocialisation des détenus et un manque de perspectives à la sortie sont les meilleurs moyens pour les pousser à la récidive. Sur ce point, la journaliste du Land Ines Kurschat présente dans la salle rappelle que l’administration pénitentiaire est dans l’incapacité de communiquer à la presse des chiffres relatifs aux cas de récidive. « Depuis 1967, le Conseil de l’Europe appelle ses Etats à publier leurs chiffres. C’est un scandale qu’ici, ils n’existent pas », estime Fuchshuber. Cette incapacité est-elle involontaire ? Honni soit qui mal y pense.

Face aux nombreux constats d’échec de la politique d’incarcération et aux diverses formes de peines alternatives, la question de savoir si la prison ne doit tout simplement pas être abolie est posée. Aux yeux de Grasso, le principe de la prison se montre inefficace pour la grande majorité des détenus. Celle-ci ne ferait sens que pour une minorité d’individus particulièrement dangereux : meurtriers, violeurs, etc… Ceci dans le but de protéger la population contre leurs crimes potentiels.

Si Horneber ne peut s’imaginer une société sans prison, qui doit à ses yeux rester entre les mains de l’Etat, Fuchshuber établit le lien entre une société capitaliste parcourue de contradictions sociales et un Etat qui, in fine, est le garant même de cette société. Selon lui, les diverses alternatives à l’incarcération constituent une forme « d’ingénierie sociale », mais certainement pas la solution du problème : « Cela se limite à aider les gens dans le système existant, mais ne résout pas les problèmes sociaux qui nécessiteraient des changements structurels fondamentaux de la société ». Une manière comme une autre de dire que le système pénal n’est rien d’autre que le reflet de la prison parfois dorée, parfois rouillée, du capitalisme.

 

Les participant-e-s à la table ronde :

Vincent Klein, aumônier du Centre pénitentiaire de Schrassig
Lydie Err, avocate, médiatrice, députée LSAP et membre du Conseil de l’Europe
Thorsten Fuchshuber, journaliste au woxx
Rosario Grasso, pénaliste
Claude Frentz, membre de Déi Lénk
Georg Horneber, pédagogue au « Projekt Chance », projet-pilote pour l’exécution des peines pour jeunes dans le Land de Baden-Württemberg
Renée Wagener, modération, journaliste au woxx


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