DICTATURES EN CRISE: Sursauter, somnoler

Indignation, consternation devant ce qui se passe en Libye. Nos dirigeants sont parfois prêts à « intervenir » en situation de crise. Mais pas de remettre en question l’instrumentalisation des dictatures par la realpolitik et le business.

tageblatt.lu 01.05.2010

« Je ne puis m’imaginer que le monde entier observe sans rien faire quand des centaines, demain peut-être des milliers de personnes, se font simplement égorger. » C’est sur base des images de Libye diffusées par les télés du monde entier que Jean Asselborn a demandé, au micro du Deutschlandfunk, que l’ONU mette fin au « génocide ». Les raisonnements au ras du sens commun sont la spécialité du ministre des affaires étrangères luxembourgeois. Le poids des images, l’évocation de génocide, la présentation d’un dirigeant comme fou dangereux, tout cela ne peut qu’inquiéter les observateurs lucides de la politique internationale des dernières décennies : L’Occident se préparerait-il à une nouvelle intervention militaire, pardon, humanitaire, dans la veine de celles effectuées, entre autres, en Irak, au Kosovo, en Afghanistan … ?

L’enthousiasme pour le New World Order proclamé par Bush père en 1991 semble bien loin quand on fait le bilan de l’interventionnisme occidental. Tout d’abord ces opérations ont été follement coûteuses en vies humaines et en argent, et malgré leur durée, elles ont en général échoué à apporter stabilité et démocratie aux pays ciblés. Rappelons aussi les dérives des interventions, menées par des armées aux ordres de gouvernements occidentaux et obéissant à la logique de la realpolitik plutôt qu’à celle des droits humains : protéger les génocidaires mêmes au Rwanda, soutenir des gouvernements pourris au Kosovo et en Afghanistan. Enfin, l’implication des grandes puissances n’est jamais désintéressée – et parfois, comme en Irak, la ruée sur les richesses matérielles d’un pays rappelle l’époque coloniale. Est-ce un hasard que la Libye, aux abondants gisements pétroliers, se trouve au centre de l’intérêt médiatique ?

Bien entendu, la plupart des critiques de cet interventionnisme occidental sont indignés au même titre que les diplomates par des situations comme celle en Libye – et les ont souvent dénoncées depuis bien longtemps. Mais on se trouve devant un dilemme : ni des actions diplomatiques « douces », ni une de ces interventions « dures » mais tardives, inadéquates et jamais désintéressées n’offrent une solution satisfaisante face à l’urgence humanitaire.

« Il est insupportable que Gaddafi puisse actuellement agir à l’abri des regards », a déclaré Asselborn au Wort. Faut-il entendre que d’autres agissements seraient « supportables », parce que les régimes restent nos amis : au Bahraïn aujourd’hui, au Yémen et en Algérie demain ? Son collègue Luc Frieden s’est exprimé plus franchement. Interrogé par le même Wort, il a qualifié la possibilité de fermer la place financière à l’argent en provenance de dictateurs de « pas très réaliste ». Il estime difficile de définir qui tomberait sous une telle exclusion – puisqu’il faut bien que les affaires continuent.

Ainsi, que ce soit au nom de la « stabilité » ou au nom du profit, l’Occident n’est pas près de s’attaquer aux dictateurs avant qu’ils ne soient déchus … et préfère « intervenir » plutôt que de prévenir.

Enfin, il y a les « intouchables », des gouvernements si puissants qu’une intervention militaire est de toute façon inimaginable, et des sanctions fortement déconseillées. Hélas pour ceux qui rêvent de se libérer des lenteurs onusiennes grâce à des « shérifs » au service des causes humanitaires, ce sont ces pays qui ont les plus gros fusils.

On parle des Etats-Unis, bien sûr, que leur tradition démocratique n’empêche pas de pratiquer ailleurs l’oppression militaire, pardon, la contre-insurrection. Mais surtout la Chine, qui viole à grande échelle les droits humains, ainsi que la Russie, dont la guerre en Tchétchénie a causé des centaines de milliers de morts. Hélas, les images de ces « agissements » se font rares à la télé – et sont ignorées du citoyen lambda comme de notre ministre des affaires étrangères.


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