SUFFRAGE ET SONDAGE: L’égalité implique la liberté

L’interdiction de sondages pré-électoraux ne sert à pas grand chose, mais repose sur un raisonnement dangereux.

Le Wort, RTL et TNS-Ilres sont-ils un danger pour la démocratie ? Suite à la publication, à trois semaines des élections communales, d’un sondage sur la popularité de deux douzaines de politicien-ne-s, le parquet vient d’ouvrir une enquête contre eux. En effet, certaines personnalités se retrouvent sur les listes de candidats du 9 octobre, et la loi interdit la publication de tout sondage ayant un lien direct ou indirect avec des élections durant le mois qui les précède. D’un point de vue légal, il semble indéniable qu’un lien indirect existe. Mais qu’est-ce qui peut légitimer cette chasse aux sondages, qui ne constituent a priori qu’une application de la liberté de la presse ?

Bien entendu, la publication de sondages en période pré-électorale peut générer des problèmes. A l’étranger, il arrive que les instituts de sondage ou les médias partisans cèdent à la tentation de manipuler les résultats ou leur présentation. Au Luxembourg, la manière tape-à-l’oeil de commenter les enquêtes d’opinion n’incite pas la population à y voir un outil d’information sérieux mais qu’il faut manier avec précaution. Enfin, quelles que soient les intentions, la publication de sondages peut toujours provoquer des réactions dans l’électorat et donc « perturber » le processus électoral.

Faut-il donc protéger la démocratie en interdisant les sondages pré-électoraux ? Tout d’abord, cela est techniquement délicat : le sondage luxembourgeois incriminé n’est pas à proprement parler pré-électoral, mais perturbe potentiellement le suffrage du 9 octobre. Pire : la justice devrait contrôler les nombreux sondages en ligne, désormais omniprésents dans les blogs et les forums.

Mais ce qui gêne surtout dans l’option d’interdire pour protéger, c’est la façon de raisonner. En prenant connaissance du sondage, les électeurs risqueraient de mal l’interpréter, donc il vaudrait mieux leur en refuser l’accès. Ne serait-il pas alors plus simple de retirer le droit de vote à tous ceux et celles qui manquent des moyens intellectuels pour bien l’exercer ?

Ce rapprochement n’est pas fortuit. Tout au long de la route vers le suffrage universel, c’est avec ce type d’arguments qu’on a refusé le droit de vote aux classes populaires, aux femmes, aux noirs … Aujourd’hui encore, les discussions autour du vote étranger font surgir la question si l’immigré est capable de lire les journaux luxembourgeois et de comprendre les institutions grand-ducales. Tandis qu’à gauche, la mise au pilori du panachage a souvent recours à l’argument que les gens seraient trop bêtes pour faire un usage intelligent de ce système électoral.

En somme, les enquêtes d’opinion constituent une information parmi d’autres dans le débat politique. Il faut laisser aux gens – et aux médias de qualité – le soin de faire la part des choses, plutôt que de décider à leur place. Interdire les sondages est contre-productif, surtout à une époque où la méfiance à l’égard des partis et des médias les fait apparaître comme une façon authentique et directe de s’informer sur la politique.

Quant aux manipulations et abus, ils sont souvent sanctionnés au sein de la sphère politique elle-même par la réaction des électeurs. De toute façon, les coups tordus et les rumeurs de dernière minute sont bien plus fréquents et ravageurs qu’un sondage biaisé dont l’effet est incertain. Or la justice n’en a jamais fait grand état. Et si on croit vraiment nécessaire d’établir un garde-fou, qu’on restreigne l’interdiction autant que possible, par exemple au seul jour du vote.

Reste un détail, qui plaira moins que ce qui précède à ceux qui font leurs choux gras de l’intérêt des citoyens pour la chose politique. Rappelons que notre raisonnement repose sur le principe d’égalité des citoyen-ne-s, qui leur attribue une participation égale à la vie politique. Pour préserver cette égalité, il ne faudrait pas que des résultats de sondages soient à la disposition des uns et pas des autres. Il conviendra donc également d’imposer un accès public aux chiffres de tout sondage politique, qu’il soit commandé par un secrétariat de parti ou un consortium médiatique en position dominante.


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