EXPULSIONS: La rose au poing

En s’attirant les foudres de ceux et celles qui défendent les droits des réfugié-e-s, le LSAP paye cher son manque de courage politique face au CSV.

Déjà de l’autre côté de la barrière. Jean Asselborn lors d’une manif anti-expulsions en novembre 1999. (photo: Melanie Weyand)

„Le LSAP prône la solidarité et l’esprit d’ouverture. Or, depuis que les socialistes sont au gouvernement, les autorités de l’Etat ont perfectionné les expulsions.“ Ces paroles de la députée Vera Spautz, reprises dans le Quotidien de samedi dernier, ont mis du baume au coeur de ceux et celles choqué-e-s par la prestation de Jean Asselborn au journal RTL de la veille. Le LSAP aurait trahi ses principes et même l’accord de coalition gouvernementale ne serait plus respecté, a expliqué la socialiste frondeuse. Depuis, le ministre de l’Immigration n’a fait qu’encaisser des coups: les journaux du groupe Editpress n’en finissent pas de dénoncer son coeur de pierre, et le „Journal“ libéral reproche aux socialistes de se soumettre au diktat du CSV. Le président du LSAP, Alex Bodry, a certes essayé de calmer les esprits, mais précise dans le Tageblatt de jeudi qu’il réserve son avis définitif.

Or, à lire l’accord de coalition, on voit mal en quoi les expulsions, si inhumaines soient-elles, violeraient le compromis passé à l’époque: „Le Gouvernement continuera à régler les cas exceptionnels de familles de demandeurs d’asile, en portant une attention particulière à la situation des jeunes en voie d’accomplissement de leur formation post-primaire.“ Et même le programme électoral du LSAP ne fait pas preuve d’une vision très solidaire de la politique d’immigration européenne: „Der Vorwurf der ‚Festung Europa‘, der manchmal etwas leichtsinnig erhoben wird, ist unangebracht, solange Europa und auch Luxemburg Entwicklungshilfe, Konfliktprävention und Menschenrechtspolitik in den Ursprungsländern der illegalen Einwanderung erweitern und verbessern.“ Aider les pays d’origine suffirait donc, aux yeux des socialistes, pour justifier la fermeture des frontières. Pire: ils se prononcent pour un couplage de l’aide économique aux pays d’origine avec des traités de réadmission des réfugié-e-s refoulé-e-s. Si les socialistes ont pu apparaî tre comme les champions des droits humains, ce n’est que sur fond de la politique extrêmement restrictive du gouvernement précédent et de Luc Frieden en particulier.

Générosité relative

Il est vrai que le programme du LSAP prévoyait aussi un règlement généreux pour les demandeur-se-s d’asile arrivé-e-s après 1998 et n’ayant pas pu bénéficier de la régularisation de 2001. „Bestimmte Personengruppen wie Traumatisierte, Eltern mit kleinen Kindern, Behinderte oder Minderjährige müssen besonders vor Abschiebung geschützt werden. Diese zweite Regularisierung soll einen definitiven Schlussstrich ziehen. Familien mit Kindern, die seit mindestens drei Jahren in Luxemburg sind sowie Junggesellen oder Familien ohne Kinder, die sich schon wenigstens 5 Jahre im Großherzogtum aufhalten, dürfen mit einer Aufenthaltsgenehmigung rechnen.“ Cette revendication est passée à la trappe pendant les négociations de coalition de l’été dernier. Le CSV s’opposait à ce que le terme de régularisation soit mentionné. Cela aurait désavoué ses ministres qui avaient promis – à l’adresse de l’électorat populiste de droite – qu’il n’y aurait pas d’autre régularisation.

Dans les faits, une deuxième régularisation, modeste, a bien été entamée, mais il ne fallait pas qu’elle dise son nom. Lors d’une rencontre avec le Collectif réfugiés, les nouveaux ministres de l’Immigration – Jean Asselborn et son „délégué“ Nicolas Schmit – ont indiqué sous quelles conditions des autorisations de séjour provisoires seraient accordées à des demandeur-se-s d’asile débouté-e-s. Mais, susceptibilité du partenaire de coalition oblige, ils n’ont pas voulu confirmer ces critères par écrit, laissant les concerné-e-s dans une incertitude totale. De même, les autorisations de séjour pour raisons humanitaires semblent avoir sensiblement augmenté par rapport à l’ère Frieden: 70 personnes entre le 1er janvier et le 17 février 2005, alors qu’il n’y en avait eu que 219 sur l’ensemble de l’année 2004. L’attention portée à la situation sociale et économique du Kosovo a également contribué à brouiller la capacité des réfugié-e-s à évaluer correctement leurs chances de pouvoir rester. Des pourparlers diplomatiques sur le statut définitif de l’ancienne province de la Yougoslavie, occupée et gérée depuis six ans par l’Onu, sont en cours. Il y a deux semaines, Caritas a présenté une étude qui constate une grande pauvreté et une absence totale de perspectives pour les habitant-e-s du Kosovo. Conclusion: des rapatriements forcés sont éthiquement inacceptables et ne contribuent en rien à une amélioration de la situation sur place.

Le ministère en a décidé autrement. Apparemment à l’initiative du Luxembourg, un des fameux charters „Benelux“ – négociés par Frieden – est parti pour Pristina jeudi dernier. A bord: 24 demandeurs d’asile déboutés (cinq célibataires et quatre familles). Manquaient à l’appel: une famille „repêchée“ au dernier moment à cause de la maladie grave d’un des enfants, et la mère de K., la jeune fille de 12 ans disparue mercredi matin quand sa famille a été arrêtée, et qui reste introuvable. Interrogé le soir-même par RTL, Jean Asselborn a assuré que l’Etat ne cèderait pas au „chantage“. Concernant la situation au Kosovo, il s’est montré convaincu que le retour était une bonne chose pour les débouté-e-s. „Il y a de l’espoir là-bas. Il faut qu’ils aident à reconsturire leur pays.“

Coeur à gauche?

„Ce n’est pas Jean, il n’est pas comme ça“, assurent en privé certain-e-s de ses camarades. Le ministre socialiste paye aujourd’hui son dérapage verbal. Mais il paye aussi pour le double jeu que lui a imposé l’accord tacite avec le CSV. Comme par miracle, les critères selon lesquels des autorisations de séjour provisoires sont accordées, viennent d’être divulgués en réponse à une question parlementaire du Vert Felix Braz: être arrivé avant le 1er août 2001, ne pas être susceptible de troubler l’ordre public et avoir un enfant dans le post-primaire. Si, après neuf mois, la famille a trouvé travail et logement, l’autorisation est renouvelée.

L’Asti, dans un communiqué, se félicite de cette clarification. L’ONG semble être tellement contente qu’elle en oublie de commenter la portée somme toute limitée de la mesure. Sont notamment exclues toutes les familles avec des jeunes enfants. Parmi les familles expulsées, une seule aurait un enfant dans le secondaire – elle a été victime de l’interprétation sévère de la clause sur l’ordre public. Ainsi une publication de ces critères dès l’automne aurait sans doute évité le spectacle pénible d’un ministre semblant justifier une mesure arbitraire. Le débat public sur ces critères aurait été de portée limitée, car ceux et celles qui défendent les droits des réfugié-e-s ont perdu espoir après toutes les défaites des années passées.

Désormais, le débat va aussi porter sur la manière dont les expulsions sont menées. Descente de police à cinq heures du matin, parents menottés sous les yeux de leurs enfants, isolement total dans la zone d’attente du Findel. „Je suis déçu, je comptais sur une petite amélioration avec un ministre socialiste“, commente Guy Stoos de la Gauche. „Politique d’asile: Le changement? – Dans la continuité!“ écrivent les Verts. En effet, l’attitude méprisante et inhumaine des services envers les réfugié-e-s, leurs avocat-e-s et les ONG n’a pas changé depuis le départ de Luc Frieden du ministère. Le discours non plus. „Nous devons faire ce que l’Etat de Droit nous contraint de faire“, a affirmé Jean Asselborn en jouant les durs. „La loi est la loi“, disait son prédécesseur. La différence c’est que, contrairement à Frieden, lors de leur passage à la télé, ni Asselborn, ni Schmit n’ont donné l’impression de vraiment connaî tre le dossier.

L’ombre du CSV

Dire que le LSAP applique – à contre-coeur – l’accord de coalition, ne suffira sans doute pas pour faire taire les critiques internes. En admettant que le parti aurait „vendu son âme“, ce discours risque d’endommager encore plus l’image malmenée des socialistes. „Il s’agit d’expulsions sur base d’une loi de l’ère Frieden“, précise Yves Cruchten, secrétaire général des Jeunesses socialistes (JSL), interrogé par le woxx. „C’est pour cela que nous ne sommes pas monté au créneau.“ Les JSL demandent que soit au plus vite adoptée la nouvelle loi, qui doit apporter certaines améliorations. Le projet de loi a été déposé fin janvier et la Commission de l’immigration de la Chambre ainsi que le Conseil d’Etat examinent actuellement le texte. „Entretemps, il faut que notre ministre utilise toute la marge de manoeuvre que lui laisse l’accord de coalition“, exige Cruchten.

Le nouveau texte de loi, contrairement à ce que certaines remarques suggèrent, ne changerait rien au sort des familles expulsées. En effet, il traite de la procédure d’asile. Or les personnes expulsé-e-s sont arrivées en bout de procédure, et, juridiquement, ne peuvent faire l’objet que de mesures „exceptionnelles“. Felix Braz, député Vert, fait quand même un lien. „La nouvelle loi doit abréger les procédures, pour éviter de créer des situations telles que celles-ci“, explique-t-il. „Si une personne est déboutée au bout de quelques mois, une expulsion est plus facile à accepter que dans le cas de personnes qui sont là depuis de longues années.“ Donc l’adoption de la nouvelle loi serait une occasion de se montrer généreux envers les débouté-e-s de longue date. „Ils sont dans cette situation par notre faute“, estime Braz. Ce qui nous ramènerait à la fameuse „deuxième régularisation“, désirée par le LSAP. Il reste à voir si les socialistes auront le courage de remettre le sujet sur le tapis, et si les chrétiens-sociaux auront l’impassibilité pour la refuser encore une fois.


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