POLITIQUE CULTURELLE: D’un commun accord

Après le pacte culturel pour les élections parlementaires, le Forum Culture(s) a pondu un manifeste pour les communales. La table ronde sur ce sujet a surtout démontré les différences dans les approches et le désintérêt politique pour la culture.

La ronde des intervenants issus du monde culturel. De gauche à droite: l’animateur du débat et président de Forum Culture(s) Raymond Weber, Danielle Igniti, Emile Eicher, Ainoa Achutegui et Jemp Schuster.

Les tables rondes qui ont lieu à l’Exit07 presque tous les mercredis ne sont pas toujours des plus excitantes. Pourtant, celle qui a eu lieu cette semaine pourrait éventuellement battre le record négatif. La soirée, organisée par le Forum Culture(s), sur le thème « All Gemeng Kultur » s’est donc déroulée devant un public clairsemé, mais ce n’était pas cela le pire. Ce qui frappait davantage, c’est que parmi les personnes présentes, la grande majorité était issue du milieu culturel ou associatif, la société civile aussi bien que les politiciens – à l’exception des cinq invités – étaient absents. Dommage surtout parce que les discussions entre les deux panels, l’un rassemblant des acteurs culturels et l’autre des politiciens communaux, ont pu donner lieu à plusieurs constats plutôt étonnants – même si, malgré les élections communales, le consensuel dominait largement.

Le manifeste culturel, le document de base pour la table ronde, reprend les principes du pacte culturel que tous les partis avaient signé en 2009 tout en les appliquant au niveau communal. Il y est question de la culture qui détermine l’identité de la commune, qui peut renforcer la cohésion sociale tout en étant un facteur économique important. Les auteurs ont ainsi développé six principes qui devraient – selon eux – gouverner la politique culturelle au niveau communal : l’accès à la culture, la valorisation du patrimoine, la cohésion interculturelle, l’introduction de la culture dans le développement général de la commune, l’ouverture sur la région et par delà les frontières et la création dans chaque entité communale d’un plan de développement culturel. Voilà pour la belle théorie. Pour des raisons de temps, seulement trois points – l’accès, le développement et l’interculturalité – ont pu être discutés par les deux panels.

Il faut admettre que la liste des participants a été établie dans le souci d’être la plus complète possible. Ainsi, on trouvait sur le côté des acteurs culturels : Danielle Igniti, du centre culturel opderschmelz à Dudelange, l’artiste-„cabarettiste“ Jemp Schuster, Emile Eicher président du Naturpark Our (et accessoirement député-maire CSV de Munshausen) et initiateur culturel, Ainhoa Achutegui, du Cape à Ettelbrück et actuelle présidente du réseau des centres culturels décentralisés. Pour les partis politiques, les conseillers communaux Martine Mergen (CSV à Luxembourg), Colette Mart (DP à Luxembourg), Marc Baum (Déi Lénk à Esch), Claude Adam (Déi Gréng à Mersch), ainsi que le candidat socialiste René Penning d’Esch – qui est aussi directeur administratif de la Kulturfabrik – étaient montés au créneau.

Le premier round était donc dédié à l’accès à la culture. Une problématique complexe, car même si le grand-duché dispose depuis 1995 de beaucoup d’infrastructures coûteuses, les taux de fréquentation de ces temples culturels ne dépasse pas les 10 pour cent, selon les estimations les plus optimistes. Que faire donc pour améliorer la fréquentation des services culturels ? Le cabarettiste Jemp Schuster a ramené une part de son expérience pour pointer que si le Luxembourg avait fait des efforts importants en matière d’infrastructures culturelles, cela ne voulait pas dire qu’elles étaient toutes égales et d’exprimer son « horreur des salles polyvalentes, où tout est possible mais où on ne peut rien faire ». D’autant plus qu’en tant qu’artiste qui tacle souvent les politiques, il a souvent été confronté à une peur diffuse de certains responsables communaux de se voir ridiculisés. Répondant de l’autre point de vue, Ainhoa Achetegui a pointé les nombreux workshops et autres projets à l’adresse des franges de la population qui sont normalement exclues du business culturel, comme les personnes handicapées, les chômeurs et les étrangers. Mais elle a dû admettre que cela n’était pas suffisant et que « le devoir des communes dans la médiation culturelle, ce n’est pas seulement de mettre à disposition des moyens financiers mais aussi de mobiliser d’autres ressources ».

Si Danièle Igniti a partagé ce constat, c’était aussi l’occasion pour elle d’aller plus loin dans la critique. Pour Igniti, c’est aussi la faillite de l’intelligentsia locale qui est en cause. « Je ne vois presque jamais des hommes politiques locaux à nos manifestations. Alors qu’ils devraient être des modèles à suivre pour les gens de leur communes », a-t-elle constatée. Et de regretter que la culture était le plus souvent vu comme un luxe et non pas comme une nécessité, voire même un droit. Malheureusement, la plupart des centres culturels seraient tellement occupés à leurs boulots administratifs qu’il ne resterait plus assez de ressources pour la médiation. C’est Emile Eicher qui avec son expérience d’initiateur culturel dans le Nord du pays a donné le plus d’exemples positifs comme la mobilité culturelle pratiquée par le Cube 521, qui va aussi à l’encontre des localités rurales par le biais d’un bus et qui a justement pointé la nécessité pour les centres culturels locaux de refléter aussi l’identité régionale. Les politiciens ont largement partagé ces constats, tout en soulignant quelques particularités.

Conflit Nord-Sud

Ainsi, Claude Adam a rappelé que des initiatives comme le Kulturpass étaient insuffisantes pour garantir l’accès de tous à la culture. Pour Martine Mergen, il s’agit de renforcer les initiatives au niveau associatif qui garantirait une meilleure intégration, tandis que René Penning a affirmé que l’accès se faisait dès l’école primaire et qu’il faudrait donc élargir des initiatives comme le Traffo. Marc Baum de son côté, a insisté sur la différence entre médiation et communication et que l’accès à la culture pourrait être un moyen de briser la reproduction de la misère sociale dès le plus jeune âge.

Mais la contribution la plus intéressante venait sans doute de Colette Mart. Pour elle, le plus important n’est pas seulement de garantir un accès équitable à tout le monde, mais aussi d’expliquer ce qui peut se passer une fois qu’une personne franchit le seuil d’une institution culturelle : « Nous ne réussissons pas à faire passer le contenu de l’expérience culturelle, de ce que la culture peut provoquer au niveau individuel. C’est quelque chose que nous avons oublié petit à petit dans tout le cérémoniel des vernissages et autres fêtes. Pour pallier à cela, il faudrait aussi que les artistes reprennent leur place dans la société y compris sur la scène politique. Si les politiciens invitent souvent des architectes et d’autres experts, pourquoi n’inviteraient-ils pas des artistes ? ».

Le deuxième round, concernant le développement de l’offre culturelle, a été révélateur des différences dans les approches des différents centres culturels selon qu’ils se situent au Nord ou au Sud du pays. Tandis que tous les participants se disaient satisfaits des investissements dans les budgets culturels de leurs communes, on a pu constater que le développement culturel répondait à des nécessités très différentes selon les régions. Au Sud, l’investissement culturel a été une nécessité économique du fait que les communes ont dû se redynamiser après la désindustrialisation.

Tandis qu’au Nord, dans les communes rurales, la problématique est différente. S’y pose avant tout le souci de la mobilité entre les différentes institutions et puis de la place de la culture dans l’espace rural. Jemp Schuster a mis le doigt sur la plaie en accusant surtout les commissions culturelles locales de léthargie, laissant le champ libre au milieu associatif, qui reste tout de même dépendant de la politique. Une carence qui peut parfois produire des scènes assez absurdes, comme l’a raconté le comédien : « Il m’est même arrivé une fois qu’une commission culturelle me priait presque sur les genoux de venir jouer pour eux. Juste parce qu’il leur restait tellement de budget avant la fin de l’exercice et que si je ne venais pas, ils seraient forcés de tout dépenser en allant manger ».

Les réactions du banc politique étaient presqu’unanimes aussi. On s’est plaint du peu de considération de la culture dans les programmes électoraux ainsi que dans la société en général. Comme l’a fait remarquer René Penning, il n’existe même pas de statistiques sur le nombre de personnes qui gagnent leur vie dans les institutions culturelles. On était aussi largement d’accord qu’il fallait donner plus d’espace libre à la culture dite « alternative », même si on ne peut pas être sûr que tout le monde en avait la même définition.

La seule petite pique a été lancée par Marc Baum à l’adresse de son concurrent eschois : selon lui, il ne suffit pas de faire construire de beaux monuments à la gloire des politiciens locaux, ni de faire dans l’événementiel, mais il faudrait penser la culture politique communale dans le vecteur du développement durable.

La question finale du dialogue interculturel a surtout été l’occasion de ressasser ce qui a été dit avant en mettant encore plus l’accent sur les frontaliers et les étrangers. Cette problématique n’a pas pu être laissée sur le bas-côté, vu la réalité socio-démographique qu’est la nôtre. On a surtout mis en exergue la nécessité d’intégrer les communes frontalières dans la politique luxembourgeoise et de les traiter sur un pied d’égalité, « nous ne devons pas y aller avec l’objectif de faire dans l’aide humanitaire », a remarqué Marc Baum. Généralement, l’apport transfrontalier est perçu de façon positive ne serait-ce que parce que sans eux, de nombreuses salles demeureraient vides.

En général, la table ronde tant par son contenu que par son déroulement a démontré encore une fois que la politique culturelle reste un sujet complexe et compliqué, tellement qu’il fait beau en parler sans pourtant agir vraiment dans un sens comme un autre.

Plus d’infos: www.forumcultures.lu


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