BUDGET EUROPEEN: Rien ne va plus!

La course aux „rabais“ lors du Sommet européen donne une triste image de l’Europe. Elle occulte aussi les carences structurelles du budget de l’Union.

„C’est une évolution très dangereuse, qui inaugure un retour sans gêne à l’Etat-nation et indique une tendance au nombrilisme dans de nombreux pays.“ C’est ainsi que Jean-Claude Juncker commenta le rejet de la Constitution au lendemain du non néerlandais. Mais l’égoï sme national caractérise moins les partisan-e-s du non que les chantres de l’Europe et de la Constitution, les 25 chef-fe-s d’Etat et de gouvernement. Les négociations autour du budget européen pour les années 2007 à 2013 ressemblent à une partie de poker avec des surenchères, des bluffs et la fièvre qui monte. On en oublierait presque qu’il ne s’agit pas d’un jeu à somme nulle, mais que le projet européen est supposé apporter un plus à l’ensemble de l’Union, à condition que chacun-e y mette du sien.

Faisons le tour des principales demandes. Certains pays „contributeurs nets“ souhaitent plafonner le budget à seulement un pour cent du PIB communautaire, alors que la Commission en avait demandé 1,14. Le Royaume-Uni voudrait conserver son fameux „rabais“, qui lui permet de récupérer automatiquement deux tiers des contributions qu’elle verse. La France enfin, rejette toute mise en cause du budget agraire, dont elle est le plus grand bénéficiaire. Or, si l’on tenait compte de ces trois exigences, il ne resterait plus grand chose pour les volets du budget européen les plus ambitieux: les investissements dans la croissance et le développement durable ainsi que la solidarité avec les nouveaux pays membres.

Vaches grasses

Martin Rocholl, directeur de „Friends of the Earth Europe“ (FOEE), voit le principe de solidarité remis en cause. „Ce serait pourtant notre intérêt que de soutenir les nouveaux adhérents, afin qu’ils ne soient pas obligés de recourir au dumping social.“ Si le Sommet opère des coupes budgétaires, elles risquent de s’appliquer à des dépenses jugées utiles par FOEE. En effet, des domaines comme les aides directes à l’agriculture ou les fonds Euratom sont „sanctuarisés“ – impossible d’y toucher.

Il y a deux ans, les Etats membres ont passé un accord sur le montant des dépenses agricoles jusqu’en 2013. Elles représentent environ 40 pour cent du budget européen. C’est à la fois trop et trop peu. En effet, les agriculteurs des nouveaux pays membres ne reçoivent que des aides directes réduites. Elles passeront de 25 pour cent du „montant de référence“ (les aides normalement dues) en 2004 à 75 pour cent en 2010. Or, les problèmes auxquels ces paysan-ne-s sont confronté-e-s sont autrement plus dramatiques que ceux de leurs collègues à l’Ouest. En Pologne par exemple, l’agriculture occupe près d’un cinquième de la population active et compte de nombreuses petites exploitations à productivité réduite.

FOEE a d’ailleurs vivement critiqué l’extension du modèle d’agriculture intensive aux nouveaux adhérents. Cela signifie un usage accru de pesticides et d’engrais chimiques, entraî nant la contamination de l’eau et des sols ainsi que la réduction de la biodiversité. Martin Rocholl plaide pour un renforcement des aides au développement rural, consacrées notamment au soutien de l’agriculture biologique. „Les populations voient qu’on dépense énormément d’argent pour l’agriculture. Mais elles ne voient pas les résultats souhaités“, constate le directeur de FOEE. Il met en avant la qualité des aliments, la sauvegarde de l’environnement rural et la création d’emplois dans l’agriculture.

Difficile alors de trancher entre les demandes de Blair et de Chirac. Ni le „rabais“ concédé aux contribuables britanniques, ni le „fourrage“ concédé aux paysan-ne-s français-es n’apparaissent aujourd’hui comme justifiés. La plus récente proposition du président du Conseil européen Jean-Claude Juncker prévoit d’ailleurs de s’attaquer aux deux problèmes à la fois … pour 2013. En attendant, on se dispute sur des centièmes de pour cent.

„On parle beaucoup du montant global du budget et combien chacun y contribue, mais on néglige les détails de la redistribution effectuée“, constate Sándor Richter, économiste auprès du „Wiener Institut für internationale Wirtschaftsvergleiche“ qui étudie les effets de l’élargissement. Il qualifie le compromis proposé par le premier ministre luxembourgeois de „fin“. A première vue, les 1,06 pour cent apparaissent comme une concession aux contributeur nets. „Par rapport au projet plus généreux de la Commission, la politique de cohésion s’en tire assez bien“, estime Richter. Les fonds attribués à la compétivité et à la recherche sont plus touchés. Ce sont justement ceux dont bénéficient le plus les anciens pays membres, en particulier les contributeurs nets.

Equilibrisme budgétaire

Sándor Richter se félicite qu’il y ait un accord pour ne pas économiser sur le dos des nouveaux pays membres. „Si on plafonne le budget à 1,06 pour cent, il y aura un prix à payer.“ Pour garder intacts les transferts vers l’Est, il faut réduire les fonds structurels des régions pauvres dans les pays riches. Cela entraî ne d’ailleurs de nouveaux problèmes. Ainsi l’Italie a brandi la menace du veto si les aides au Mezzogiorno étaient coupées.

Le problème semble inextricable. Le budget européen est le produit de mesures et de mécanismes nouveaux cumulés sur des dizaines d’années – sans qu’on ne revienne sur les anciens. „Peut-être que cette crise-ci conduira à une réforme en profondeur“, dit Sándor Richter.

Les idées ne manquent pas. Face à la situation des contributeurs nets, dont les soldes plus ou moins élevés défient toute logique, la Commission avait proposé un mécanisme de „rabais généralisé“ à partir d’un certain seuil – sans succès. Le fameux rapport Sapir, publié en 2003, allait plus loin. Il proposait de remplacer les contributions des pays par un mécanisme d’imposition européenne. Une autre idée du rapport – rejeté à l’époque – est en train de faire son chemin: affecter les fonds structurels prioritairement aux nouveaux pays adhérents.

De la part des chef-fe-s d’Etat et de gouvernement, si enthousiastes pour élargir l’Union européenne, mais guère prêt-e-s à en payer le prix, ce serait la moindre des choses. Faire converger les niveaux de vie sur le continent, pour le plus grand bien des Européen-ne-s de l’Est comme de l’Ouest, cela mérite bien quelques centièmes de pour cent.


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